jeudi 4 février 2021

COUPS DE COEUR POUR LE PRINTEMPS... A VENIR

 

Les Orages, Sylvain Prudhomme, L’Arbalète Gallimard, 180 p., 18 €

Connu comme romancier (notamment avec Sur les routes, Prix Fémina 2019), S. Prudhomme s’aventure ici sur une distance plus courte avec un recueil de treize « histoires » qui se distinguent par sa tonalité et  par une conception traditionnelle de la nouvelle. Car si elles commencent souvent par des situations dramatiques, elles ne se terminent pas pour autant par une chute spectaculaire et fatale.

Ainsi dans « Souvenir de la lumière », Ehlmann, jeune père qui a veillé quinze jours dans la chambre d’hôpital 817 son enfant de cinq mois qui a frôlé la mort, constate à sa guérison que ce moment « a changé sa vie » et que « sa vie entière se passe désormais dans cette clarté » (p. 30).  

Le titre du recueil donne donc un indice car si les orages grondent, chacun sait qu’après après la pluie, c’est l’éclaircie, et que « l’orage a lavé le ciel » comme dans la nouvelle intitulée « L’île » (p.110).

Ainsi les personnages sont saisis dans un moment où un événement tragique vient faire irruption dans leur vie. Telle Awa, jeune sénégalaise sur le point d’ouvrir son salon « Awa beauté » qui apprenant que son jeune frère Boubacar est atteint d’un cancer, décide alors de consacrer tout son argent pour qu’il soit soigné.

Dans « La nuit », la femme qui a failli se vider de son sang lors d’une fausse-couche avoue : « j’ai peur et je suis heureuse » et elle ne retrouve sa sérénité qu’en plongeant dans la mer : « je nage dans l’eau qui m’a ramenée à la vie… unie à la mer par une nuit sans lune ».

Dans « La baignoire », une femme prend un bain régénérateur avant de partir vers une autre vie. L’eau vient effacer les affres du passé et permet de se ressourcer pour affronter l’avenir.

Dans « L’appartement », un homme ferme la porte sur le silence des pièces vides qu’il a occupées plus de vingt ans avec sa compagne et leurs enfants, et sort retrouver la rue et « son fracas ».

Alors que tous ces personnages sont confrontés à la maladie, la vieillesse ou la mort, comme dans « Les cendres », la nature reste immuable et semble leur offrir refuge ou réconfort. Ainsi c’est au moment où un homme enterre son grand-père et pense à sa propre fin, qu’il voit qu’« au loin la mer brille » et que « l’immobilité des choses est la même ».

Au-delà des petits drames intimes qui ponctuent le quotidien, chacun retrouve donc sereinement  la tendre indifférence d’un monde qui continue dans  le calme, le silence, l’eau, la lumière.

 Il y a beaucoup de simplicité et de délicatesse dans ces nouvelles qui amènent le lecteur à ressentir les interrogations et les vibrations intérieures des personnages, mais qui au final se terminent sur une note apaisée.  

Joël Glaziou

 

Face à la mer, Pierre Montbrand, Quadrature, 100 pages 15 €

Certains nouvellistes comme certains peintres ou musiciens composent leur œuvre comme  une série de variations sur quelques motifs récurrents. C’est le cas de ce recueil de six nouvelles où des couples composés d’hommes et de femmes d’âges différents, reviennent des dizaines d’années plus tard sur un  épisode  marquant de leur vie.

Ainsi dans la nouvelle « Face à la mer » qui donne son titre au recueil, un commandant de ferry cherche à retrouver la jeune baigneuse nue qu’il aperçoit à chacun de ses passages entre les îles suédoises et qui lui rappelle tant la photo d’Andreas Feininger « Nude against sea » vue dans un musée des années auparavant. 

Une autre photo (celle tirée du film Jeux d’été d’Ingmar Bergman où l’on voit une jeune femme courir nue dans une crique de l’île d’Ornö) est à l’origine de la recherche d’un universitaire français qui arrivé sur place trouvera… une certaine Katherine qui acceptera de poser pour lui dans la même crique. Un autre universitaire, américain, cette fois, part sur les traces de William Faulkner, dans « on dirait le sud »en compagnie d’une jeune serveuse de snack…

C’est aussi quand il revoit une « photo de classe » et quelques photos plus intimes, que le passé assaille Pierre, lors de la sépulture de Jacqueline, celle qui fut sa professeur d’anglais au lycée. Il se souvient alors de la relation torride qu’il a entretenue avec elle il  y a plus de quarante ans. Un autre Pierre (ou le même) lors de retrouvailles familiales, se souvient de ses dix sept ans et du bain de minuit avec sa tante Karen dans le lac de Genève « au clair de lune ».

Il en est de même pour Marianne à la mort de son père Henri, peintre et sculpteur, quand elle vient faire valoir ses « droits de succession » sur la maison, les œuvres et l’atelier… et qu’elle découvre la statue d’une « jeune femme, en bronze, la pointe des seins dressée… » qui n’est autre que son double puisqu’adolescente, elle avait accepté de poser nue pour son père.

Roman, film, photos, sculpture comme autant de traces du passé qui sont ici des « pré-textes » invitant à partir à la recherche de l’éternel féminin et à revivre au présent une « scène primitive ».

Joël Glaziou

Les Funérailles de Roberto Bolaño, Emmanuelle Favier, La Guépine, 56 pages, 14 €

 Le romancier et nouvelliste chilien Roberto Bolaño a été incinéré le 16 juillet 2003 à Barcelone et ses cendres dispersées dans la Méditerranée. Pourtant, il reste ça et là des cendres toujours vives chez ses fidèles lecteurs… dont E. Favier qui lui rend ici un hommage appuyé en reconnaissant l’importance que la lecture de son œuvre a eu sur elle et sur son écriture.


Ce besoin d’écrire sur R. Bolaño n’est d’ailleurs pas nouveau puisque l’un de ses premiers textes publiés était « une nouvelle en forme de pastiche ou d’hommage » intitulée « Prise de vue » (à lire dans Harfang N° 43, 2003), qui faisait référence à une photo où Bolaño figurait au milieu de ses compagnons du groupe « infraréaliste » dans les années 70 et pastichait la nouvelle « Labyrinthe » qu’il avait écrite autour d’une photo du groupe « Tel Quel ».

En partant sur ses traces, elle fait revivre Bolaño à travers ses textes et les lieux qu’il a fréquentés et elle constate que « les écrivains sont parfois plus réels, ils modifient le cours de notre existence bien plus radicalement que l’immense majorité de ceux que l’on rencontre dans ce que l’on appelle la vraie vie. » 

Joël Glaziou

(Lire entretien et nouvelles d’E. Favier dans Harfang N° 43 et 51)


Ajoutons quelques mots sur les éditions La Guépine (www.laguepine.fr)

et signalons au passage l'excellent travail de cette petite maison d'édition qui fabrique  à l'ancienne des petits livres (la lecteur a le plaisir du massicotage) qu'il s'agisse d'inédits comme ceux de M.-H. Lafon (La demie de six heures) ou d'Emmanuelle Favier ou de textes anciens, difficiles à trouver, "impertinents et piquants" dont l'écriture mêle pensée et poésie (comme des textes de Florian ou de Ramuz)


Chroniques à suivre dans Harfang N° 58  à paraître en mai 2021

lundi 1 février 2021

Meilleure micro nouvelle de l'année 2020 : Rayon d'action" d'André Girard

 

Pour la neuvième année consécutive, notre rubrique « 100 mots pour le dire » met à la une de notre blog la «micro-nouvelle du mois » 

Merci à toutes celles et tous ceux qui nous adressent régulièrement leurs textes. 

Certes, 2020 aura été une année particulière pour tous… pour notre rubrique aussi : pléthore d’envois certains mois… puis à l’automne, deux mois de pénurie (hormis les envois de 2 habituées déjà publiées en cours d’année, ce qui ne permettait pas une véritable compétition) ce qui nous a contraint à une suspension temporaire.

Comme pour les années précédentes, le comité de lecture d’Harfang (différent de celui des « micro-nouvelles ») a choisi « Rayon d’action » d'André Girard comme "meilleure micro" de l'année. 

Ce dernier gagne un abonnement d’un an à la revue Harfang.

Merci de poursuivre cette aventure en notre compagnie en nous adressant vos « micro-nouvelles » de 100 mots maximum (contrainte impérative) à l’adresse suivante :

 

revueharfang@laposte.net

Rayon d'action

En partant charger son yak, Tumen Bayar – c’est son nom – fit un détour pour vérifier le piquet d’attache de mon cheval. Il l’arracha d’un coup sec et m’appela, hilare, en brandissant ce moignon qui prétendait amarrer un cheval affamé. Du coup, il fonça vers l’orée du bois, abattit à la hache un mélèze de trois mètres dans lequel il tailla un piquet de quarante centimètres. Gros, solidement enfoncé dans la steppe avec mon cheval au bout. Au matin, je découvris un cercle parfait d'herbe rase autour du piquet, idéal exemple du rayon d'action. Mais plus de cheval.


© André GIRARD (Mai 2020)