Qu’est-ce qu’un bon numéro de revue ?
La question a surgi lors d’une rencontre avec des jeunes en formation…
Depuis toujours, deux conceptions
s’affrontent à ce sujet et font l’objet de discussions dans les comités de
rédaction, les salons et jusque dans les chaumières :
- d’un côté, les partisans de numéros composés autour d’une unité d’idée ou de forme, à commencer par les numéros thématiques autour d’une unité de sujets, de ton, de style… Harfang a édité naguère des numéros intitulés « nouvelles de la Francophonie (N°15), nouvelles d’Algérie (N° 21), nouvelles du Québec (N° 28)… ou encore Nouvelles noires (N°8 & 23), nouvelles oulipiennes (N°19), nouvelles des voyageurs (N°24), nouvelles des éditeurs (N° 25) nouvelles des ateliers (N° 30)…etc.
Dans cette catégorie, ajoutons les numéros qui
essaient de relier les nouvelles et les auteurs par quelque fil rouge plus ou
moins explicite que le lecteur aura plaisir à découvrir au fil des pages. Les
exemples sont nombreux et récemment on a même vu des numéros de la revue
semestrielle L’âme au diable composés comme de véritables recueils !
- de l’autre côté, les partisans de numéros qui « passent en revue »
différents aspects de la production actuelle sans se soucier de les unifier ou
de les relier. Numéros éclectiques par excellence où la qualité et la diversité
des textes semblent suffire.
Unité
ou diversité ? Numéro thématique ou numéro éclectique ?
Chaque revue est confrontée à ce choix pour chaque
numéro. Difficile de choisir et d’affirmer qu’une solution est meilleure que
l’autre… car au final, le lecteur est le seul juge en fonction de ses attentes
et de ses goûts.
Pour en venir au numéro 65 de la revue Harfang qui vient de sortir, il convient de le ranger du côté des numéros éclectiques. Car rien ne relie entre eux les 5 nouvellistes qui sont à la une de la page de couverture et les 6 nouvellistes qui trônent en quatrième de couverture.
Dans ce cas, la revue est alors le lieu d’une
rencontre virtuelle entre des nouvellistes qui ne se sont jamais rencontrés et
qui n’ont sans doute aucun point commun… si ce n’est d’écrire des
nouvelles !
Ainsi dans la première partie, on plonge au cœur
de l’œuvre des 5 invités que rien ne relie mais qui se confient tous sur leur
laboratoire d’écriture et livrent une nouvelle inédite :
- Belinda Cannone revient sur son dernier recueil Les vulnérables et offre une nouvelle qui fait écho à ses essais sur le baiser (Le baiser peut-être, Le goût du baiser) ;
- Sylvain Prudhomme revient sur ses derniers
ouvrages (Un enfant dans le taxi, Photomatons) et offre une nouvelle qui
pourrait bien être l’embryon de son prochain roman ;
- Leïla Sebbar revient sur la figure d’Isabelle
Eberhardt qui traverse son œuvre et la nouvelle qui suit ;
- Alexandre Seurat rompt un silence de 5 ans
depuis son dernier roman et livre une nouvelle qui inaugure de nouveaux
espaces ;
- enfin Jean-Philippe Toussaint parle une
nouvelle fois de la brièveté dans son travail et surtout du site internet qu’il
chérit particulièrement et l’illustre avec la nouvelle borgésienne qui est à
l’origine du « Projet Borges »
qu’il a lancé en 2015 !
Dans la seconde partie, rien ne relie entre eux
les 6 nouvellistes choisis par le comité de lecture sinon qu’ils ont sûrement été
choisis pour illustrer la richesse et la diversité de ce qui se fait et s’écrit
sous l’appellation de nouvelles aujourd’hui :
- avec Florent Arc, on peut revivre l’atmosphère des bars américains où chacun va « à son rythme » où l’on pourrait rencontrer Bukowski, Hemingway, Miller et quelques autres…
- mais c’est plutôt à travers Carver et Paley que
Bernard Barbarroux évoque l’american way
of life dans « Un matin de
Virginie »
- avec Samuel Bidaud, on fait le trajet « Stockholm-Naples »
- alors qu’avec Flore Nelin, on retrouve « les
oiseaux [qui] tracent dans le ciel notre langue maternelle »
- avec Philippe Serrier, on s’interrogera sur
l’instauration d’un nouveau « Péage »
à la fois absurde et comique… ce qui n’est pas sans rapport avec certaines réalités
actuelles !
- enfin avec Thomas Zevsky, on partagera les
interrogations d’un archéologue chargé de « fouilles
préventives »
Au final, il y en a pour tous les goûts et chaque
lecteur trouvera bon ce qui répondra le mieux à ses attentes.
Bonne lecture
Harfang N° 65 , 110 pages, 12 € franco de port,
13bis avenue Vauban 49000 ANGERS