Nouvelles d'Harfang

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dimanche 1 janvier 2017

LES VOEUX D'HARFANG


Avec Harfang des bonnes nouvelles pour toute l'année 2017 !
Publié par Nouvelles d'Harfang à 12:45 Aucun commentaire:
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"100 Mots pour le dire"


N'hésitez pas à nous adresser votre "micro nouvelle" en "100 mots -maximum- pour le dire"

(revueharfang@laposte.net)

Lire aussi les précisions sous l'onglet "Contacts"


Une feuille


Une feuille trouée tomba d'un arbre. un singe s'empressa de descendre pour s'en emparer. Il lui avait trouvé une apparence inhabituelle alors que perché sur sa branche, il l'avait vue virevolter, avait-il cru, avec une certaine insolence. il la porta sous ses yeux. il vit un trou. Il y passa le doigt, histoire de s'assurer qu'il s'agissait bien d'un trou. Rassuré, il la retourna. Ô miracle ! De ce côté-là, il y avait aussi un trou ! Le singe se mit à baragouiner des gorillades de jubilation. un trou de chaque côté d'une simple feuille, quel prodige !


Jean-Michel BINSSE (Mai 2021)


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Rue Delphine


Ils marchaient dans la rue Delphine. Au bout de la rue, ils prirent à droite rue Constance, puis ils débouchèrent sur la place Véronique. « Toutes les rues ont des noms de femmes dans cette ville » remarqua le petit Grégoire. Ils traversèrent la place et s’engagèrent dans une venelle plutôt qu’une rue. La plaque indiquait : rue Moustache. « Moustache, c’est un drôle de nom pour une femme » remarqua Grégoire. Son père voulut répondre qu’il y avait bien une sainte qui s’appelait Sainte-Barbe… mais il s’en abstint pour ne pas gâcher le plaisir de son fils.

© Bertrand GAYDON (Avril 2021)

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Le Parking

En 1994, au Viêtnam, on a découvert une nouvelle espèce de bovidés, des bêtes de plusieurs centaines de kilos pourtant, grâce à des captures photographiques automatiques déclenchées au milieu de la jungle. Les bœufs de Lacédémone ont une histoire encore plus étonnante, puisque c’est une espèce disparue, insoupçonnée jusqu’à nos jours alors qu’on avait les preuves de son existence sous les yeux, gravées sur des vases, ce dont on a pris conscience seulement après qu’on en a éventré un charnier de plusieurs milliers de squelettes en creusant un gigantesque parking dans le sous-sol de Sparte.

© François COSMOS (Mars 2021)

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La rivière


La rivière, presque ruisseau, caracole sur les cailloux polis depuis des millénaires. Assis sur son rocher, Jacob fixe sa fuite joyeuse et écoute son murmure. Au village, il passe pour un timbré. Depuis l'enfance, depuis toujours. Ici, il oublie son humanité, appartient au paysage jusqu'à se dissoudre dans la nature. Soudain, le vol d'une libellule ou le saut d'une truite le rappelle à son état d'homme. Ankylosé par l'immobilité, les yeux lavés par les eaux limpides, il déplie son corps à regret et le pas pesant reprend le chemin du village.

© Michèle Gerber Claret (Février 2021)


Nouveau monde

Un seul jour pour tout explorer. Elle hume le parfum des fleurs, goûte le soleil sur sa peau, court, danse, écoute le vent, grimpe aux arbres, enjambe les ruisseaux. Extravagant, le matin file. L’après-midi, baptême de l’air. Que le monde est beau vu du ciel. Et cette falaise qui l’appelle. Retour au sol. Une main puis l’autre cherche les prises. Vite, vite, le jour décline. La voilà en haut. Juste à temps. Le disque rouge s’enfonce dans la mer où elle aussi se jette en un plongeon superbe. Le silence retrouvé, sur ses jambes serrées, les écailles repoussent.

© Dorothée COLL (Janvier 2021)

Le banc

La Fiat dérape sur le gravillon du virage et attend sous le platane. L’entrée de la maison est un peu plus loin, derrière la grille. Sur le banc, un homme, front reposé sur sa main, attend. Parfois, il passe ses doigts écartés dans ses cheveux poivre et sel et regarde sans voir le haut grillage barbelé. Assise à demi penchée, une jeune femme, cheveux blonds couvrant ses genoux, murmure quelques mots à la fillette qui chantonne près du banc. Une portière claque. Tous se redressent. Lentement la grille s’ouvre. Le gyrophare de l’estafette pénitentiaire tournoie. Heure des visites.

© Michèle VALNET (Septembre 2020)

CARPE DIEM

Grands carreaux à la française sur bassins, topiaires et boulingrins. Cerfs, daims et volières, royales carpes et pavanes de paons. Doux fumets montent des cuisines jusqu’aux narines palpitantes. Mmmm… Carpe diem sur la méridienne. Elle se prélasse, aristocratique, mélancolique, romantique. Et le cartel tictactique. Bouche entrouverte, yeux rêveurs, elle vogue sur un océan de langueur, s’égare dans les lointaines frondaisons. Par un pareil soleil, ne pas gâter son teint ! D’ici elle voit tout, pourquoi donc sortir ? Elle baille...

- « Non Monsieur, je suis désolée, chuchote la petite, Maman est débordée et vous prie de repasser. »

© Isabelle COUSTEIL (Août 2020)

Symphonie

Le concert a commencé en fin d’après-midi. D’abord les percussions, cymbales, caisse claire, grosse caisse, ensuite xylophones et clavecins se sont affirmés avec énergie, enfin, en sourdine, les instruments à vent les ont rejoints. Alors le rideau de scène s’est ouvert, révélant les danseuses avec leurs voiles écarlates, leurs robes effilochées, moirées ou cotonneuses et qui allèrent en s’affadissant quand, dans une déchirure, apparut Séléné, la vedette, pleine de sa propre lumière. Après ce paroxysme, la musique doucement s’apaisa jusqu’à laisser entendre le bruit des gouttes s’écoulant des feuilles de frangipanier. Ah, dit-elle, comme j’aime l’orage sous les Tropiques.


© Guillemette de GRISSAC (Juillet 2020)


Klein

Les empreintes, mains, pieds, foisonnent, monochromes, sur la feuille punaisée dans le parquet.
— Oui Yves, c’est ça ! applaudit Niki dans un grand rire approbateur.
— Je suis le gratteur, Niki. La beauté vit dans tout. Il faut juste un peu gratter sous le regard. Après ça je libère le corps entier, la couleur aussi !
Elle tourne vers moi un visage ébloui sous sa frange auburn.
— Alors, peins-moi. Je serai ton pinceau et ta toile ! Mais oui, un pinceau vivant…Un bleu plus puissant. Oui, bleu outre outremer, pigment violent, ce sera mon bleu infini...
— Yves, tu rêves !?

© Michèle VALNET (Juin 2020)

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Rayon d'action

En partant charger son yak, Tumen Bayar – c’est son nom – fit un détour pour vérifier le piquet d’attache de mon cheval. Il
l’arracha d’un coup sec et m’appela, hilare, en brandissant ce moignon qui prétendait amarrer un cheval affamé. Du coup, il fonça vers l’orée du bois, abattit à la hache un mélèze de trois mètres dans lequel il tailla un piquet de quarante centimètres. Gros, solidement enfoncé dans la steppe avec mon cheval au bout. Au matin, je découvris un cercle parfait d'herbe rase autour du piquet, idéal exemple du rayon d'action. Mais plus de cheval.

© André GIRARD (Mai 2020)

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Destinée

Dans la noirceur insondable d'un dortoir glacé, interminables nuits d'angoisse, la petite fille esseulée rêve. Elle échafaude des songes enfantins éclaboussés de soleils brûlants et de plages azurées. Passent les années. Dans la langueur stérile d'une vie étriquée, somnolents après-midi d'ennui, la jeune fille solitaire s'évade. Elle s'invente des amitiés imaginaires et aventureuses, Aziyadé, Sherazade. Azizah. Passent les années. Au terme de la lumineuse traversée océanique, blancheur solaire d'une ville lointaine, la femme éblouie débarque. Elle erre sur des quais surpeuplés, enveloppée de visages basanés, de saris bigarrés, de parfums épicés. Les rêves parfois deviennent réalité.

© Marie Agnès Tuscan Ollier (avril 2020)

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La lettre

Elle est debout devant la fenêtre entr’ouverte. Lisant la lettre qu’il lui a envoyée. Le rideau frémit sous une brise légère. Les parfums venus du large inondent la pièce. Sur le mur, la carte des pays qu’il est parti explorer. De sa vie, elle ne les connaîtra jamais. Mais son esprit vagabonde là-bas. Là-bas… que sait-il de sa vie à elle, ici ? Elle répondra au dos d’une carte, une reproduction choisie pour lui : « Femme en bleu lisant une lettre » de Vermeer. Persuadée qu’il comprendra ce qu’elle ressent au plus profond d’elle même. Peut-être anticipera-t-il son retour…

© Gwenn BILHED (Mars 2020)

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Rêve de poules

Quand le cercle de chaleur est tombé derrière le monde. Que le disque pale éclaire les ombres, Gotan le vieux coq rentre dans le poulailler. Les poules descendent de leurs perchoirs pour écouter ses histoires. Parce que Gotan connaît les anciennes légendes. Il chante les temps où les poules avaient des dents. Une époque glorieuse, peuplée d’ancêtres traversant des plaines sans enclos, sans maîtres et sans liens. Des poules gigantesques, des êtres majestueux régnant sans partage sur la Terre. On les appelait les dinosaures. La basse-cour écoute en silence, elle s’endort. Et sur leurs perchoirs les poules rêvent.

© Tony GAGNIARRE (Février 2020)

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À une heure …

À une heure cinquante quatre de l'après midi, elle s’éleva au-dessus du sol. Joseph avait coupé les cordages d’amarrage et Étienne alimentait le foyer avec la paille sèche. Le château de la Muette se transforme rapidement en une pastille de sucre d’orge et l’esplanade en un carré de soie. La bulle, grosse de tissu et de papier, s’élève rapidement et traverse quelques nuages. En bas, la foule se tord le cou avec des exclamations incrédules. Alors rayonnants de fierté, les frères Montgolfier partent dans un grand rire et lancent leur chapeau haut de forme vers le ciel.

© Michèle VALNET (Janvier 2020)

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Accident de chasse

« Et comment je vais faire moi ? » Malgré son vieil âge et son embonpoint, l'homme éructe et postillonne dans sa barbe. La colère déforme son visage habituellement bienveillant. Face à lui, Roger, contrit, visage rougeaud, imbibé d’alcool de prune, regarde, penaud, le bout de ses chaussures. C'était un beau tir, deux cartouches, deux cervidés aux bois magnifiques : andouiller, chevillure, trochure et époi ! Mais malgré sa satisfaction immédiate, il sait qu'il risque son permis.
Le colérique lui lance encore quelques bordées d'injures, et retourne à son traîneau, encastré dans un sapin. Ce sera un Noël sans cadeau.

© Yoann GUENNEGAN (Décembre 2019)


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Libido ground zero.

Adossée à deux oreillers, elle trône à la droite du lit. Ses mots croisés sont ses sujets, son parker plaqué or son sceptre. Ses dessous en coton renforcé, sa nuisette de dentelle ancienne, sa robe de chambre émeraude sont comme les couches superposées d'un vêtement d'un autre temps. Ce ne sont pas des habits dont elle se laissera dépiauter dans le noir. Elle n'y est plus intéressée, et il s'est fait une raison : la chaussette de l'archi-duchesse est sèche et archi-sèche. Inutile d'espérer l'enfiler.

© Jean Marc RENOU (Novembre 2019)

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La débâcle

Soldats imperturbables d'une armée en ordre rangé, ils offrent leurs faces sombres au soleil levant, prêts à affronter l'attaque implacable du rayonnement ardent. Ensemble, dans une chorégraphie immuable, lentement ils pivotent obéissant aveuglément à une injonction céleste. Jour après jour, imperceptiblement, ils courbent l'échine et perdent leur allure fière et leur livrée éclatante tant admirées. Dans ce combat inégal, tels des frères d'armes vaincus par un adversaire invincible, face contre terre, en une défaite irrévocable, les
tournesols attendent la faucheuse qui les précipitera au sol. Cette année, la récolte sera abondante.

© Marie-Agnès TUSCAN-OLLIER (Octobre 2019)

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Nuée d’or

De ses dix-sept ans il ne se souvient plus de rien sauf de cette nuée d’or qui le saisit à la veille de novembre. Le train l’emmenait en Flandre. Derrière la vitre s’étiraient de longues plaines anthracite, soudain, une ramée l’éblouit. Des peupliers, travestis telles des filles de Klimt, rutilaient de tous leurs gemmes. Le ciel s’assombrit, une rafale les effeuilla, les laissant pantelants et nus, de ces nudités qui vous désolent. Il a gardé en lui les précieux louis comme ceux que l’on serre au creux d’une main et qui, le temps d’un matin, vous font prince de sang.

© Jean Yves ROBICHON (Septembre 2019)

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Résurrection

« … ce sont les mots qui décident, ils sont plus forts que nous », se récitait-il intérieurement. Et le cheval avançait. Et le soleil mourait avec elle qui luttait là-bas. Elle rendit la monnaie froide du dernier souffle. Il arriva, descendit de son cheval, et, à force de mots, il convainc son père de lui laisser voir la petite morte. Il entra dans la chambre et la ressuscita.

Nicolas JAEN (Août 2019)

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La grande Jarlot

Toutes sous les tables !!! avait hurlé Coco Bel œil, l’instit de la communale de l’avenue Secrétan. Je me jette sous le pupitre. Aplatie sur le parquet noir, la poussière, l’odeur d’encre violette agressent mes narines. Je sens la cuisse tremblante de ma voisine, appuyée contre mon dos. Sous les tables !!!! Mais la grande Jarlot, enjambant de ses grandes jambes les pupitres, se met à courir, criant au-dessus de nos têtes. Coco Bel œil, hurle encore. La déflagration résonna dans nos poitrines. Puis le silence. Ce même jour, les allemands donnaient l’assaut, là-bas, dans les Flandres.

© Michèle VALNET (Juillet 2019)

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Des oiseaux

Ils sont trois, à table. Le vieux est assis face aux deux autres, l’un d'âge moyen, près d'un grand garçon brun, mêmes visages à la fois sombres et lumineux. Gitans, manouches ? Les cheveux noirs bouclés, le nez fort, la bouche rouge et sévère. Repas fini, i
ls se lèvent sans se presser. Le visage du vieux est rouge, grêlé, son regard aigu parcourt la salle. Le jeune… c'est presque surnaturel cette beauté. Mince et souple dans sa tenue de moto, quel regard, lointain, triste… même ses mains sont superbes, expressives… Ils se sont envolés. Je n'avais pas vu leurs ailes.

© Elmire Van COPPENOLLE (Juin 2919)

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La ville dormait…

Le silence n’était qu’un leurre ; les façades nues que plaies ouvertes. La vie se terrait dans les sous-sols et les caves. L’odeur de pain frais sorti du four du boulanger, lui rappela l’enfance heureuse du quartier. Accroupi dans l’embrasure de sa meurtrière, il guettait depuis l’aube. La ville dormait. De lointaines détonations l’empêchaient de sombrer dans le sommeil. Sur le mur d’en face, une affiche lacérée vantait des produits frais aujourd’hui introuvables. Sur le trottoir, le ventre ouvert d’une poubelle débordait de reliefs en décomposition. Un chien vient rôder, tourna, flaira, retourna… Un claquement sec… Puis le silence à nouveau.

© Gwenn BILHED (Mai 2019)


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S’échapper

J’ai bien cru un jour tenir le hasard entre les mains. Je l’avais. Je le voyais. Il n’allait pas partir comme ça sans m’expliquer, sans me céder quelque chose, sans que je lui fasse payer ses fantaisies à répétition. Et puis, je ne sais comment (je ne pouvais quand même pas avoir le dos tourné puisque je l’avais dans les mains), il a disparu. Plus de hasard. Ou peut-être juste ce qu’il en restait. Quelque chose d’informe, de mal ficelé, qui tentait lui aussi de s’échapper, mais qui était bel et bien collé à moi. Le destin.

© Daniel BIRBAUM (Avril 2019)


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Volatile


Le vieux Bila avait capturé une colombe immaculée égarée dans la brousse sombre. Il avait tressé une cage de bambous
arrachés à la forêt bruissante et l'avait offerte à l'enfant. La fillette adorait le bel oiseau blanc. Elle riait et applaudissait pour le distraire. Elle chantait et dansait pour lui plaire. Une nuit, un grand mamba noir emporta l'animal, semant un léger plumetis nacré. La gamine pleura beaucoup. Elle supplia : s'il te plait, Bila, rends-moi mon bel oiseau blanc. Puis elle repartit jouer avec ses poupées, ses cheveux blonds constellés de flocons neigeux. Chagrin d'enfant s'envole promptement.

© Marie-Agnès OLLIER (Mars 2019)

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Le Coucher

Elle a pris sa position du coucher, allongée de tout son long dans les coussins ouatés, bras ramassés contre sa poitrine. Elle attend. Comme d’habitude, il choisit son livre préféré, une vieille édition. D’une main, il soutient la couverture cartonnée, de l’autre cherche la bonne page. Il commence à lire, une histoire entendue mille fois déjà. Parfois, il s’interrompt pour inspirer, l’envelopper d’un regard paternel. Elle a laissé ses yeux se fermer sereinement. Avant de lui murmurer les souhaits qui accompagneront son sommeil, il effleure doucement son front. Et tandis qu’elle s’est endormie, à pas lents, il s’éloigne du cercueil.

© Gaëlle VETARD (Février 2019)

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« CRUES »

Le titre, « Crues », l’attira. Œuvre ancienne, adaptée, d’un anonyme égyptien des bords du Nil, précisait la quatrième de couverture. Il acheta le livre. La lecture n’était pas son fort, sauf en fin de journée, au bain. Plongé dans l’eau brûlante de la baignoire, il s’immergeait aussi, longuement, dans les pages. Ce soir-là sa femme, découvrant dans l’escalier une eau noire charrier, déposer des linéaments, se précipita. Elle resta bouche bée devant la baignoire. Une multitude de mots flottait et débordait. Le livre dégorgeait ses lignes et lui, radieux et fébrile, tentait de rassembler des passages qui l’avaient transporté.


© Clément G. SECOND (Janvier 2019)

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Il t'agace !


Depuis deux jours tu le cherches. Tu le vois. Tu le sens. Il est là, il t'agace. Tu tapes du poing dans ta main. Tu trépignes pour l'aider à sortir. Mais rien n'y fait, il se défile. Alors tu dis des gros mots et il te nargue avec un plaisir malin. Et pour t'achever, il débarque même la nuit. Il se glisse sous tes paupières. Tu le fixes férocement et tu prends ton carnet. Le temps que tu trouves ton crayon...Pfuittt ! Et pourtant sans lui, comment nommer la chose ?

© Christophe NAVELOU (Décembre 2018)

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Nuit magique à Palerme

Sound of Silence. La mélodie flotte dans la nuit chaude. Les promeneurs, à pas lents, se pavanent sur l'avenue. Le chanteur caresse sa guitare. Un homme sur un banc fredonne. My Lady d'Arbanville. La femme près de l'homme se glisse. Elle frissonne. Complices, ils chuchotent. Insouciants, ils rient. Lentement, ils se rapprochent. Insolents, ils flirtent. Sous la voute étoilée, la femme rêve. Ce soir, elle a quinze ans. Nights in white satin. Il est minuit à Palerme. Le chanteur range sa guitare. Les promeneurs rangent leurs atours. Il est minuit à Palerme. La femme a soixante ans.

© Marie-Agnès TUSCAN-OLLIER (Novembre 2018)

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Le peuplier

Comme chaque fin de semaine, j’ai pris la voiture pour aller décharger mes ordures à l’endroit aménagé par la mairie. À l’écart des maisons, dans la zone artisanale. Pressée d’en finir comme d’habitude. Mais, aujourd’hui, je l’ai vu. Là, à quelques mètres. Puissant, si haut, si large, le tronc bien droit, caressé par la lumière du soir, bruissant doucement du tremblement de ses feuilles presque blanches, épandant généreusement une ombre légère. Saisie par sa splendeur, je l’ai longuement contemplé, ce peuplier, peu à peu apaisée et presque réconciliée avec l’absurdité du quotidien qui fait jeter ce qu’on
achète.

© Christine MOISSINAC (Octobre 2018)

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Tes yeux

Je regarde tes yeux. Je les devine, fermés sur la fenêtre et le matin. Que de peine pour quitter le sommeil. Dans le jour qui paraît, être le corps et l’âme. Être la bulle du bain. Vouloir la souplesse du flot et la simplicité du monde. Livre ouvert de tes yeux. La bataille des cheveux. Chevelure toute marine, vague ondulée. Ton regard s’insterstice, se glisse, se faufile et s'esquisse. Ton abandon est à moi. Caresse, trace. Passage d’un doigt sur la lèvre qui allait parler. Passage d’un ongle de revers sur la peau qui allait se taire. Sourire. Te voici.

© Tristan ALLMAN (Septembre 2018)

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Nostalgie


Les premières mesures du Sgt Pepper’s – la guitare de Georges, les timbales de Ringo, la voix éraillée de Paul - se mêlent à l’odeur âcre des chaussettes que je viens de retirer. Une indicible mélancolie m’envahit. Bientôt, le souvenir revient : It was fivty years ago today… une paire de baskets noires fatiguées traînent au pied du lit sur lequel, triste de son premier chagrin d’amour, mystérieux pour l’enfant que je suis, mon frère aîné réécoute en boucle les standards de l’album. Je comprends pourquoi je ne me suis jamais remis de la séparation des Beatles.

© Jean-Marc RENOU (Août 2018)

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Passé simple

Je n'avais pas d'envies, de désirs, particuliers. Le moment présent me suffisait. Et les jours passaient, bleus, verts, multicolores. Mes parents ne me disaient pas leur amour, ils m'aimaient. J'étais un enfant heureux. Les vacheries de la vie, je ne m'y attendais pas. Aux premières, j'ai fait un pied-de-nez. Aux suivantes, j'ai tourné le dos. Mais quand j'ai du leur faire face, j'ai perdu mon enfance.

© Christophe NAVELOU (Juillet 2018)

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Tard dans la vie

Alors les journées, -jusque-là perles de rire le long de cet intime et admiré collier en perpétuel embellissement, chacune extrayant de celle qui l’avait précédée, pour un dessein inconnu et chatoyant, force, splendeur, beauté avant de préparer la place de la suivante pressentie toujours plus
magnifique, encore plus accomplie-, se muèrent en gouttelettes semblables et isolées d’une lourde bruine de fin d’automne. Informes. Froides. Minuscules. Anonymes particules à la chute perpétuelle, atomes aveugles d’un phénomène naturel immuable que bravaient les hommes et dédaignaient les bêtes. Quand le brouillard s’estompa, Anna sut que le soleil qui perçait n’était plus pour elle.

© François COMET (Juin 2018)

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Sous la douche

J’entends ton chant sous la douche. La douche qui chante elle aussi, vos chants se mêlent. Tes cheveux s’emmêlent sous mes doigts, mes doigts qui caressent ta peau. Ta peau qui sent le coton. Le coton de ton tee-shirt sur ton dos. Ton dos chaud sous ma main. Ma main humide d’avoir caressé tes cheveux. Tes cheveux qui s’emmêlent de plus en plus, sous ma caresse. Ma caresse qui fait chanter ton corps. Nos corps qui s’emmêlent comme tes cheveux. Nos corps qui glissent sous la douche.

© Livia LERI (Mai 2018)

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Un Sculpteur

La revue m’avait accordé peu de temps pour approcher ce célèbre sculpteur sur métal. Dans l’atelier, plusieurs soudeurs
travaillaient. J’eus du mal à me signaler au plus proche, qui n’eut même pas le temps, impatient que j’étais, de retirer son masque, seulement son gant pour me tendre une main superbement ornée d’une bague au motif serpentin. Je ne la serrai même pas et me détournai sèchement pour monter l’escalier qu’il me désignait. Très nerveux, je dus attendre à la seule porte de l’étage. Un homme élégant m’ouvrit enfin, tout
sourire. Notre poignée de mains me fit reconnaître... la bague serpentine.

© Clément G. SECOND (Avril 2018)

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Portrait

Il est seul dans son atelier, debout devant son chevalet. Au centre de la toile blanche, il a déposé quelques touches de brun, de rose poudré. Un visage s'esquisse. Il recule de quelques pas. Son regard se fige dans les yeux noirs de la femme qu'il vient de faire naître... Soudain il bondit, reprend le pinceau et, à grands traits de noir, recouvre le délicat visage. Une autre femme s'impose, massive, sombre, revêche. Il faudra plus d'un siècle pour que les rayons X du synchrotron révèlent au grand jour et au monde entier le portrait de la femme cachée...

© Régine BOBEE (Mars 2018)

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Évidence

J’avais cinq ans quand tout a commencé. Ce fut d’abord un jeu puis une envie, déjà, de vivre d’utopiques ailleurs. À l’âge de quinze ans, je compris que la drogue, infiltrée irrémédiablement, devenait viscérale. Craignant de m’abîmer dans la terreur du néant d’une possible disette, j’engrangeai à outrance. Comment ai-je pu partir ce soir-là telle une écervelée, surestimant l’assortiment de mon bagage, rempli de superflu, sevré de mon opium. Fébrilement, j’inventoriai mes
provisoires pénates désespérément vides du sel de ma vie. Comme je me consumais, la réponse jaillit m’inondant d’évidence. Si tu ne peux pas lire, écris !

© Christine BORIE (Février 2018)

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Sortie

L’homme assis sur la borne d’entrée avait les yeux inertes, baissés sur sa valise rafistolée. La porte d’acier coulissa, je disparus à l’intérieur en me demandant pourquoi personne ne venait le chercher ? La tristesse rencontra mes dix ans. J’appris la solitude des autres. Des décennies plus tard, l’homme soudé à la pierre me revint à l’esprit. J'avais vieilli. Il n’était plus question de solitude, mais de béton massacrant l'horizon au milieu du vacarme des foules. La prison ne préparait pas au tumulte du dehors. Possible que pour cet homme, la liberté des autres n’était pas la sienne.

© François DEBOUT (Janvier 2018)

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Le Pardon


Martha et moi, c’est amour et chocolat. Le soir, dans notre lit douillet, une ou deux barres chacun, et l’inévitable s’ensuit. Ce soir, catastrophe, plus qu’un seul carré sur la table de nuit. Je coince la couverture côté opposé et me retourne d’un coup.
Elle se trouve à demi découverte. Elle trouve refuge en se blottissant contre moi. Elle croit à une manœuvre de séduction. Je tends discrètement le bras et subtilise le dernier morceau. L’odeur me trahit. Quelques secondes de détresse. Puis elle me resserre encore. « Maintenant que tu as volé le chocolat, autant prendre le reste... »

© Julius NICOLADEC (Décembre 2017)


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Croisement

- Vous avez l’air triste. Il a beaucoup hésité avant de parler à cette inconnue agrippée au même poteau que lui dans une rame de métro à moitié vide. Ça ne lui ressemble pas. Vu leurs âges, elle pourrait se méprendre, mais serait-ce vraiment une méprise ? Il reste immobile, il la dépasse de la tête, observe ses cheveux noirs, ses vêtements quelconques, ses cils et son visage de pietà andalouse. Elle se tait alors qu’il ne pouvait s’adresser qu’à elle, il ne répète pas. Lorsque les portes s’ouvrent à la station suivante, elle le fixe :
- Comme vous avez raison.

François COMET (Novembre 2017)

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Monsieur Durand

Monsieur Durand, asseyez-vous, mettez-vous à l’aise, je vous en prie et soyons très brefs ! L’éditeur exige cent mots maximum : une lubie mais qui incite à la sobriété. Le code du travail prône l’efficacité ce qui, là aussi, va de pair avec la concision. Voilà, vous, licencié parce que entreprise pas très bonne forme. Je suis tout à fait désolé. Ce n’est pas facile pour moi. Indemnités, entretien, délais, préavis, notification, couverture sociale : selon la loi. Primes, suppléments, mutuelle complémentaire, formation : néant. Et pour une nouvelle, c’est une nouvelle n’est-ce pas ? Merci monsieur Durand pour …

© François COMET (Octobre 2017)

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Hèle...

Appels dans les rues surpeuplées de Naples où les mères hèlent leurs petits. Longues stridences de colline en montagne, les bergers se hèlent par des chants à grande portance. Au fond des bois, au bord des champs, j'entends encore à l'heure du repas les voix des hommes qui se hèlent pour partager ce moment. L'enfant hèle son père au loin, sa mère l'a envoyé. Et les grands arbres hèlent les nuages de toutes leurs branches, et Verlaine les a vus.


© Anne de SETE (Septembre 2017)

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Apparition

L'apparition de cette femme à la fenêtre provoque immédiatement chez lui l'envie d'en faire le portrait tant le retiennent et le captivent son visage, flamme droite plantée sur un candélabre austère et aussi les mains qu'elle tend vers lui, grands oiseaux au vol sûr, mais la voix surgit qui contredit tout le reste, haut perchée et aigrelette, comme celle d'une très jeune fille ou d'une très vieille femme faisant s'évanouir aussitôt ce désir de peinture brusquement survenu.

© Benoît ARTIGE (Juillet-Août 2017)

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Sous le manteau

C’est peut-être une femme. J’imagine une femme car, chaque jour en passant devant la porte, j’entends des sanglots. Un jour, les pleurs étaient si forts, j’ai failli sonner. Je suis incapable de consoler quiconque, alors j’ai continué de monter les marches. Rien qu’à l’écouter, j’ai senti un flot de larmes déborder de mes yeux. Si je sonne et entre, n’allons-nous pas fondre en un torrent ? C’est peut-être un homme. Un homme aussi a des raisons de pleurer, jour après jour, derrière une porte. En guettant derrière toutes les portes, j’ai peur de découvrir une humanité entière en larmes.

© Sidonie ROCHON (Juin 2017)

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Dernier livre

Trop froid ! Depuis que je dors dans la rue, jamais grelotté autant. Et puis, j’ai rien à faire. Y a bien ce bouquin que m’a filé ce mec barré. Comment qui disait qui s’appelait ? Maupois, poète qu’il a dit ! Maupois, le poids des mots, le choc des mégots ! Jamais vu un zigue cloper autant en lisant des vers. Cinglé mais
élévateur. Après tout, si faut calancher ici et maintenant, arracher les couvertures. Lire chaque phrase, lentement, avant d’y foutre le feu. Ce sera peut-être la dernière fois que j’aurai chaud, dehors et puis dedans.

© Dany LECENES (Mai 2017)


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Nuit africaine

Les soirs d’infini désespoir, dans le crépuscule tropical brutal, croix du sud bijou dans le noir, la nuit africaine t’étreignait. Tam-tams sauvages sur la dune, feux de brousse attisés au vent brûlant, broche blafarde de la lune, la nuit africaine t’affolait.
Étendue, nue dans la moiteur, souvenir lointain d’un avant violent, engloutie dans cette noirceur, la nuit africaine t’oppressait. Sillon d’un disque ressassé, onde rassurante d’un chant puissant, tu oubliais présent et passé, la nuit africaine t’apaisait. Mal ici, mal là-bas, toujours sur le fil du funambule, tu errais de rêves en rêves, la nuit africaine t’enivrait.

© Marie Agnès TUSCAN-OLLIER (Avril 2017)

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La Rencontre

Remugle de cire, de vieilles choses qui s'engluent dans le temps... Pas une odeur sale mais, simplement surannée, un de ces effluves qui vous racontent la vie, les vies... Voilà ce que je découvre en pénétrant chez elle... Je pose mon sac sur la table basse, juste à côté de la cheminée. Elle me tend une main timide et glacée tout en restant dans son fauteuil. – Approchez-vous, mademoiselle, que je voie votre visage dans la lumière... Je lui souris. – Voulez-vous que je prépare du thé ? – Certainement,
dit-elle, c'est une bonne idée mais d'abord, parlez-moi de vous...

© Dominique ANCENY (Mars 2017)

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... D’irecte (Chose vue)

Ces lettres ont suscité en moi l’imagerie d’un port d’Orient... Irecte, quel toponyme plus évocateur d’une ville toute blanche, sur la mer bleue, aux bateaux colorés débordant de marchandises exotiques ?... Ou encore, ces syllabes d’ailleurs, pour un vers racinien ? C’est elle que je veux ramener à Irecte... ou... Dans le lointain Irecte, à la pensée de vous.... Les feux du boulevard d’Ornano ont ramené mon attention au volant. IMPORTATIONS D’IRECTE barrait la devanture délavée d’un magasin de tissus. Moins déçu qu’amusé, j’ai remercié d’un sourire l’Orthographe pour supporter de ces écarts géniaux dont certains à leur insu l’honorent.

© Clément G. SECOND (Février 2017)

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Sylvie


Ce dimanche, en marchant au creux du sentier ombragé, son pas ne sonnait pas comme à l'accoutumé. Il était amorti par une épaisse mousse verte, ouatée et dense. Même en fermant les yeux, elle voyait encore la forêt toute en voutes suspendues au-dessus d'elle et ses hautes futaies telles les colonnes d'un temple dont les piles soutiendraient le ciel. Dans ce sanctuaire hypèthre où il régnait un silence habité de bruits feutrés, circulait, entre les troncs, un souffle humide et palpitant de sève. Les feuilles frémissaient. Son cœur battait. Sa présence, elle-même, était bue
par la force végétale qui l'enserrait.

© Cécil d’ESTIENNE (Janvier 2017)

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Suzanne

Suzanne, comme tous les soirs, attend. La chemise de nuit bien lissée, le dos droit contre l'oreiller, toujours à la même heure, Suzanne est prête. Elle attend que maman choisisse un livre et lui lise lentement, en montrant les images. Mais Suzanne n'a que cent mots dans sa tête ; elle n'en apprendra jamais d'autres. Cent mots. Et tous ces mots pour Suzanne c'est comme un trésor : depuis cinquante ans ce soir, ses mots à elle lui suffisent pour sourire au monde. Cent mots c'est déjà précieux pour comprendre la petite histoire magique qui l'emporte dans ses rêves.

© Hélène HERAULT (Mai 2016)

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Pont

Cent ans qu’ils m’ont construit pour relier la ville à cette zone industrielle. Je suis le pont de fer, là-bas derrière, en toile de fond. Avant, la rivière était claire, les mômes s’y baignaient. Ces deux là en étaient. La vie a suivi son cours. Ils n’ont jamais quitté cette rive. Jamais posé un pied sur mes traverses. Leurs enfants sont passés, pour aller travailler... Peut-être qu’un jour leurs arrière-petits-enfants pourront à nouveau se baigner dans la rivière. On ne sait pas... Je suis le pont, la barre de fer qui raye leur horizon. Bientôt, je tomberai à l’eau, en morceaux.

© Régine BOBÉE (Avril 2016)

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Nous

Ma sœur et moi, jamais nous ne nous quittons. Aucune de nous ne sait qui imite l’autre puisque nous sommes en tous points semblables, en tous points confondues. Yeux dans les yeux, nous nous comprenons : lorsque je pleure, elle pleure ; lorsqu’elle sourit, je souris. Hier, on a encore essayé de nous séparer, nous avons crié, griffé, mordu comme nous avons pu. Nos mains ont saigné, on nous les a bandées, attachées. Ma sœur a disparu du mur, on me dit qu’elle est morte depuis longtemps, je crois plutôt qu’ils l’ont fracassée en mille morceaux.

© Marilyse LEROUX (Mars 2016)

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Nettoyage à froid

Dans les séries, le meurtrier fait disparaître les traces de sang sur ses mains en quelques secondes. Un filet d’eau suffit. Il faut en réalité beaucoup plus de temps, laver avec application surtout au niveau des jointures si on a cogné, sous les ongles et jusqu’aux cuticules quand il a fallu griffer. Le nettoyage des vêtements aussi est chronophage. A l’eau vinaigrée très froide - jamais d’eau chaude car le sang coagule - et à la brosse à poils souples. Il faut patiemment frotter le tissu dans le sens des fibres. En général, après cela, je dors toute la journée.

© Charles LOUIS (Février 2016)


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Les Cahiers

Grand-père est parti dans son sommeil comme il avait vécu, sans histoire, effacé. Sans signe d’agonie repérable au matin. Il se livrait peu. Les parents s’en étaient lassé. Nous, nous aimions sa douceur discrète. Deuil minime, maigre succession. Le notaire a remis une serviette. « Rien… des souvenirs », a-t-on conclu en nous l’abandonnant. Nous l’avons explorée au grenier d’enfance : récits, notes, poèmes consignés dans plusieurs cahiers. Longue lecture, silencieuse ou à voix basse. Le vent chuchotait par la lucarne. L’obscurité croissait… Nous reviendrions. Avant de descendre, nous nous sommes regardés, pensifs. « Même pas mort », ai-je murmuré.

© Clément G. SECOND (Janvier 2016)

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Exilé

Loin de son pays, il lisait chaque matin un extrait de roman dans sa langue maternelle pour ne pas en perdre l’usage. Les livres tapissaient les murs jusqu’au plafond. Sa femme morte, son fils retourné au pays, seul sur un îlot de papier, il oubliait qu’il était en terre étrangère. « La lecture occupe toute ma vie, tout mon temps… » écrivait-il à son fils. Venu lui rendre visite, ce dernier le trouva momifié dans son tombeau de papier, enveloppé par ces mots qui avaient la douceur de la langue maternelle et qui lui rappelaient l’odeur de la terre natale.


© J. HAIMEGE (Décembre 2015)

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Trahison

C’est la nuit. Lui et moi, couchés, non loin l’un de l’autre mais séparés. Lui, avec sa tête des mauvais jours, une mine de papier mâché. Moi, pas fière, car je le sens froissé. Comme il a vieilli. Désormais je lui refuse mon lit et mon oreiller, sa couverture aussi me déplait, trop de couleurs, presque vulgaire. Allons, il est dépassé, fini. Tournons la page. J’ai un nouvel ami. Plus riche, plus sensuel, que je commence à caresser. Hélas, la culpabilité ternit mon plaisir. Le cœur me fend, vieux bouquin, quand je m’apprête à te trahir pour un e-book.

© Guillemette de GRISSAC (Novembre 2015)

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Le goût des jolies choses


Je rentre plus tôt que prévu. Mathilde est au lit, nue. Elle m'attendait. J’en suis tout ému, quand j’entends la penderie respirer. Basculement dans le vaudeville. Je bondis sur la porte. Il est là, tout roux, penaud, mais encore vigoureux. Je découvre qu’un roux, c’est roux de partout. Parsemé d’éphélides, même en avant. Il est mignon, tout tremblant, si démuni. Je referme la porte. Je prétends que j’ai oublié quelque chose au bureau. Mathilde est rassurée. Je m’en vais. On ne peut quand même pas reprocher à sa femme d’avoir le goût des jolies choses…


© Julius NICOLADEC (Octobre 2015)

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Carte postale

Voici une carte de Zihend où je passe un séjour formidable. J’en rêvais depuis longtemps et je ne suis pas déçu. Je suis enfin au bout du monde. La terre s’arrête, sur une ligne très nette. Il y a une rangée d’hôtels en front de terre, une belle route goudronnée et puis rien, que du ciel. Devant l’office de tourisme, un panneau recense le nombre de personnes, curieux, imprudents ou suicidaires, qui se sont trop penchées et ont disparu. Les autochtones savent se maîtriser. Ça fait un bien fou, du balcon de la chambre d’hôtel de contempler ce Rien.
Léon


© Marianne LAPLACE (Septembre 2015)

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Les mots


Il y a les mots qu'elle n'ose pas, qu'elle n'ose plus, qu'elle aurait aimé oser. Il y a les mots tendres d'un amour caché, les mots crus d'un flirt endiablé, qui les uns comme les autres meurent sous le feu de la passion avant qu'elle ne les ai prononcés. Il y a les mots attendus, les mots réchauffés d'avoir été trop dits, qu'elle laissera refroidir sous sa langue. Derrière tous les mots qui meurent dans le doux bégaiement de l'inconnue de la ligne 6, il y a le silence qui me dessine comme le meilleur de ses amants.

© Caroline DEVRED (Août 2015)


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Dans le hall

La jeune fille attend on ne sait qui ou quoi et cela dure. Pour conjurer l’ennui et dissuader peut-être d’éventuels importuns, elle plonge ses grands yeux dans les photos aux chatoiements liquides de sa tablette tactile. Placé un peu en deçà de ce charmant visage, un voisin surprend par-dessus son épaule la succession des ondes modulables et la permanence d’un regard contemplatif reflété en elles au point de sembler près de s’y fondre. Un mouvement dans le hall distrait le regard de l’observateur. Aussitôt après, il se retourne vers la belle aux photos fascinantes : elle vient de s’y noyer.

© Clément G. SECOND (Juillet 2015)

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Compliment

- Maman...
L’écolier suçota son stylo.
- Tu es la meilleure des mamans...je t aimerai toujours...
La maîtresse suggéra un peu d’originalité.
- Jusqu’ à ma dernière heure, je penserai à toi...
Elle fronça les sourcils. Mais il poursuivit, touché par une fulgurance :
- Crierai-je ton nom durant mon agonie ? En me donnant la vie, tu m’as donné la mort. Le fis-tu délibérément ?
Ou quelque chose alors égara ton esprit ?
Remarquant la stupeur de l’enseignante, bon élève, il conclut par leur dernière récitation :
- La faim, l’occasion, l’herbe tendre... quelque diable aussi te poussant ?

© Jean Marc RENOU (Juin 2015)


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Exil

Par delà les frontières, par delà les montagnes et les sables, viennent les hommes, viennent les femmes, viennent les enfants … À bout de résistance, à bout de souffle, à bout de chairs et d’os… Et les files misérables se traînent jusqu’à la mer, jusqu’aux bateaux… Bateaux qui prennent la mer, qui prennent la misère, qui prennent les rêves, qui prennent l’eau… L’eau qui étouffe les cris des hommes, des femmes, des enfants qui viennent des sables, des montagnes et fuient les fusils…

© Annie PELLET (Mai 2015)

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Coquetterie

La salle d’attente est bondée. Le temps s’étiole entre magazines feuilletés et bâillements à peine contenus. Elle est assise en face moi. Elle tue son impatience en croisant et décroisant ses longues jambes satinées. Le frottement régulier de ses cuisses sur le voile fin m’agace. Quand, enfin, je daigne lever les yeux vers elle, son regard de biche s’agrippe aussitôt au mien en même temps que sa bouche tulipe incandescente s’ouvre généreusement. Deux points noirs se sont malicieusement
glissés dans ses interstices dentaires. J’hésite entre graine de pavot ou pépin de kiwi.

© Pierrette GOBIN-VAILLANT (Avril 2015)

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Le bon choix

Elle n’est plus de première jeunesse, c’est vrai. N’empêche que je la trouve toujours aussi séduisante. Élégance classique, lignes généreuses. Je ne suis plus très objectif, vous me direz, après tous ces kilomètres que j’ai faits avec elle. Mais elle, au moins, je sais qu’elle tient la route. Vous pourrez toujours chicaner, dire que son style est tape-à-l’œil, qu’elle consomme beaucoup trop, qu’elle fume de plus en plus. Moi, après toutes ces années, je reste convaincu que j’ai bien choisi ma femme.

© Magali BRIEUSSEL (Mars 2015)

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L’interrupteur


Elle était là, debout sur la pointe des pieds, accrochée à mon cou. Une douce et dernière étreinte dans mon appartement silencieux. Comme à chaque fois, elle avait du mal à partir. Comme à chaque fois, je priais pour qu’elle parte sans que personne ne la croise et puisse se douter... J’ouvrais la porte doucement en veillant à ce qu’elle ne grince par sur ses gonds et restais caché derrière le battant. Elle glissa dans le couloir obscur, me salua d’un petit signe de main et chercha à tâtons l’interrupteur pour éclairer son chemin. Elle sonna chez mon voisin.


© Claire LARQUEMAIN (Février 2015)

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Phèdre

Le silence qui suit ses derniers mots est chargé d’émotion. On annonce sa mort. Elle ne respire plus. Chacun retient son souffle. On entend à peine les dernières répliques. L’obscurité vient clore cette scène tragique. Rien ne se passe. Timidement enfin, un homme frappe des mains. Sa voisine l’imite. Deux, puis trois personnes se relaient dans d’hésitants bravos. Est-ce l’héroïne, ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente que l’on juge dans ces tièdes applaudissements ? Est-ce la comédienne qui chaque soir, sous les yeux médusés d’un public critique, assassine Phèdre et puis la ressuscite ?

© Charles LOUIS (Janvier 2015)

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Mirage

La galerie se trouve sur une place ovale, au milieu de laquelle quelques arbres aux lignes compliquées perdent leurs dernières feuilles. Dans cette place, où le gris domine, la vitrine attire immédiatement le regard. À l’intérieur, tout est de même couleur : plafond, planchers, murs. Tout est blanc, d’une nuance de crème pâtissière. Un bronze, un homme qui marche, posé
sur un socle de même couleur, se détache sur ce fond monochrome. La peinture est d’une qualité qui reflète bien la lumière, la rend vibrante et onctueuse. La devanture est entièrement vitrée. De loin, l’homme est porté par la lumière.

© Jakob Adrian VOGELSANG (Décembre 2014)

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Asphodèle

Leurs noms se prononcent les lèvres à peine ouvertes, un souffle susurré tel un papier de soie froissé, ils se terminent dans un froissement d’ailes. L’asphodèle dit-on est plante du salut, ouvre les bons passages. Des fleurs intemporelles remplies de mystère et de grâce. Déçue, je n’ai pas senti ce doux parfum dont parle le poète, fallait-il attendre le souffle de la nuit, l’heure plus paisible où les lions vont boire ? Immobile, près du ruisseau, je me contentais de murmurer leur nom : asphodèle pour délivrer le champ de mes rêves.

© Renée Lucie BEAUVIEUX (Novembre 2014)

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La fenêtre

La fenêtre était restée ouverte toute la nuit. Au petit matin quand une brise fraîche la réveilla, elle sentit sur elle comme un
voile de plumes. Une aile qui avait couvert ses épaules jusqu’à ses pieds s’articula doucement. Dans le miroir, elle put voir le petit œil rond qui cligna furtivement. Un oiseau s’était posé sur elle et la couvait délicatement. Quand un chant se fit entendre au dehors, la bête se leva vivement sur ses talons aiguille. Elle caressa lentement les cheveux de la jeune femme et s’envola par la fenêtre. Elle avait un couteau dans son bec.

© Mireille JAUME (Octobre 2014)


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La ronde des mots passés


Le temps présent s’enivre de flagorneries en tout genre, d’onomatopées informatiques. Les acronymes fleurissent dans des sphères virtuelles et les ondes pullulent d’images satellitaires. Les mots du passé seraient-ils démodés ? Jadis cherche truculence pour parties de canasta... Poule au pot s’encanaillerait avec barbon pour polka piquée orchestrée avec hautbois et bugles... Martingale croiserait volontiers uniforme chamarré haut en couleurs... Olifants proposent partitions symphoniques en ut... Trident cherche arracheur de dents (et dehors)... Arroi attend son prince pour esbroufer les jacques... C’est la ronde des mots passés qui passent, s’enlacent, se tassent et se lassent.

© Jacques COURTIN (Septembre 2014)

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Micro-nouvelles

Cette écriture minimale fait penser aux haïkus japonais. Comme ces mini-poèmes, les micro-nouvelles sont des instants de vie. Elles n’ont pas les exigences des prosodies de l’Empire du Soleil Levant. Seule, la brièveté est impérative, cent mots seulement !
Elles peuvent ainsi, saisir un instant immobile, une action, conter une histoire, l’émotion ressentie. Un art bien difficile, chaque mot a son importance, le nœud de l’intrigue singulier, la chute doit surprendre.

© Élodie BEAUVIEUX (Août 2014)

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Pluie

Une pluie incessante rinçait la ville depuis des jours et des jours. Elle décida de sortir alors, pour tenter de laver ses idées noires. Les terrains alentour devenaient champs de boue. Elle les entendit, bien avant de les voir, aux réguliers cliquetis qu’ils diffusaient sur l’asphalte. De loin, elle aperçut une forme brune, compacte. Puis, peu à peu, cette masse devint plurielle. Ils
étaient, tels des clones d’argile, comme sortis du cimetière après les tombes soulevées. De leurs visages, cependant, diffractait une joie qui semblait contagieuse. Elle fut contaminée. Ils sortaient du stade : les rugbymen.

© Véronique GONNET-PETIT (Juillet 2014)

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Iconocrash


Le jour où tous les appareils photos devinrent aveugles et muets, ce fut la panique. Attaque des satellites par des extra-terrestres ? Terrorisme sélectif ? Comment savoir ? Sur le Champ de Mars simultanément s’interrompirent les poses des groupes comme les selfies. Plus aucune capture d’image. S’ensuivirent des scènes d’hystérie collective. Nos photos !!!! hurlait la foule, piétinant avec rage les appareils. Certains furieux jetèrent leur téléphone du 3° étage de la Tour Eiffel. Vinrent ensuite les premiers suicides. S’il n’était plus possible de se photographier en haut de la Tour qu’avait-on d’autre à y faire ?


© Guillemette de GRISSAC (Juin 2014)

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Voyage


En général un train transporte, des voyageurs, des troupes, des messages, il sépare, il relie, il emporte votre amour, il vous le ramène, il permet de fuir parfois. Ce train-là déroulait des champs, des arbres, des villages, tandis que l’homme donnait une gifle à la femme. Il a saisi sa main, elle l’a dégagée, il a serré son bras, elle a glissé hors de son étreinte, il a attrapé son pied, puis il a lâché le soulier qu'elle lui abandonnait. Le train s'était arrêté. La femme a fait valser le deuxième escarpin, elle a sauté sur le quai. Libre.

© Marie BARCILON (Mai 2014)

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Textes mal barrés

J’abandonne les textes qui déplaisent à leur sort de silence, de vide, de tiroir. Ces mots bazardés par les fameuses formules :
« Nous sommes désolés mais votre texte n’a pas été retenu… ». Après, le silence c’est Hiroshima en littérature. Écrire est devenu le remplissage des heures creuses, les gardiens des belles lettres poussent dans cette impasse. Pourtant je sais que les textes refusés sont les seuls qui valent la peine puisqu’ils sont porteurs de désert. Je m’en rends compte, longtemps après, lors d’une relecture. Et s’ils se bonifiaient tout à coup en miroirs aux imbéciles !

© Éric SEVERY (Avril 2014)

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Le pin

La nuit entière la tempête s’est déchainée. Essaim fou de lames tueuses venues du profond des abîmes, et le souffle lancinant du vent qui s’acharne sur la croupe des falaises. Par-dessus la digue, de bruns cocons d’écume, les lianes sombres des fucus entortillées sur le chemin de la mer. De longues plaies sableuses strient la dune ravinée par le flot, les oyats se penchent. Sur la falaise, le grand pin s’est couché, cime à terre et pied soulevé, le ventre ouvert- l’obscénité de ses racines dévoilées, tortueuses et noires, sa chevelure folle répandue sur la terre mouillée…

© Françoise BERCOVICI (Mars 2014)


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Le pompon

Nous étions collègues. J’ai pris le métro, lui sa voiture. Depuis un moment il me faisait son cirque. Nous voilà donc en piste, mais disons que le spectacle n’était pas à la hauteur de mes aspirations ! À la sortie de la chambre, il proposa de me raccompagner. J’acceptai. Il m’ouvrit la portière, enleva le bonnet de femme posé sur le siège passager. Gêné, ne sachant où le mettre, il le fourra prestement dans sa poche de manteau excepté le pompon rouge qui dépassait. Le retour ne fut que le dernier tour de piste d’un clown triste.

© Choupie MOISAN (Février 2014)

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Fin de soirée


Dans le jour qui pâlit les premiers papillons-suicides se ruent par vagues à l’assaut des bougies et les moustiques attaquent à la sournoise. Autour de la table, les visages s’éclairent à la lueur des cigarettes dont les cendres tombent dans les tasses vides. Les paroles feutrées finissent en confidences et des sons assourdis surviennent de l’est (il fera beau demain). La lune s’est allumée en douce pendant qu’on regardait ailleurs. Une étoile puis deux. Le vent plus frais. Tes mains se croisent et se referment sur tes bras nus. Il fait nuit sur la terrasse.


© Francis BOQUEL (Janvier 2014)

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Nuit de Noël

J’adore les chiens. Comme moi, ils raffolent de gâteries sucrées. Tous les chiens du quartier me connaissent, surtout le chien de mon voisin. Un petit cabot pas beau. Je me demande si mon voisin aime son chien. Il le laisse souvent seul, sur le paillasson du palier. Ce soir, le mignon aboie furieusement devant ma porte depuis deux heures. Pour le calmer, je lui offre du chocolat. Deux tablettes. Le mignon se rue dessus. Tout à l’heure, j’ai lu sur une papillote que le chocolat contient de la théobromine, toxique pour les chiens. Douce nuit… Sainte nuit…

© Régine BOBÉE (Décembre 2013)

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La lune et l’araignée


La nuit. Là-haut brille la lune. Une fenêtre avec barreaux. Dans un angle, suspendue à sa toile, une araignée. Derrière la fenêtre, un homme regarde. Regarde la lune, l’araignée. Il l’envie, celle-là. Avec son fil elle peut atteindre le ciel. Lui, l’homme à la fenêtre, est prisonnier... La nuit. Là-haut brille la lune. Une fenêtre avec barreaux. Une araignée au bout de son fil, au bout de la lune. Elle a relié l’un et l’une. Entre les deux, sur le fil tendu, un homme monte à pas glissés vers la lune, les bras écartés dans un subtil équilibre de funambule.

© Sophie APERT (Novembre 2013)

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Anxiété


Je n’ai jamais pris l’habitude des voyages en avion. Lorsque, à six mille pieds au dessus du sol et à quatre heures de toute piste d’atterrissage, j’entends certaines complaintes venir de la rangée voisine, une angoisse me saisit : en cas d’avarie des moteurs, vais-je devoir mourir dans la compagnie de cet homme qui juge scandaleux de ne pas trouver de Glenffidish dans le chariot de l’hôtesse ? Mais suis-je pourtant à même de savoir lequel de nous deux endurera cette dernière épreuve avec la plus grande dignité ?


© Jean Marc RENOU, Octobre 2013


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La maison


De la terrasse on accédait par un escalier de pierre au jardin, une pelouse en forme de haricot ceinturée d’une barrière solide. De l’autre côté, c’était la forêt, dont la pente s’accélérait rapidement, puis lorsque les épicéas, les hêtres et les frênes stoppaient net comme une armée de parade, c’était la dégringolade, le toboggan de mollasse millénaire en dévers, la chute mortelle de plusieurs centaines de mètres dans la rivière, tout en bas, qu’on ne pouvait distinguer qu’en se penchant au-dessus de l’abîme, la main enserrant le tronc frêle d’un jeune sapin planté par le grand-père. Je survécus.


© Valérie BENGHEZAL, Septembre 2013

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La mille-et-unième page


Voilà bientôt trois ans qu’il l’a prise pour femme. Depuis le début, elle lui ment. Chaque nuit, elle lui raconte des histoires. Elle sait enjoliver les choses, mettre du baume au cœur de son mari, de l’azur à ses rêveries. Dans l’alcôve, quand les mots ne suffisent plus, elle joue de son corps, parfait. Alors, de sa bouche carmin ne sortent plus que des souffles. Aujourd’hui, elle a terminé le livre de contes, source de son inspiration. C’est la dernière page, la mille et unième. Demain, à l’appel du muezzin, il faudra que le sultan se décide. Assassin ou amant.

© Charles LOUIS, Août 2013

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La main de Fred

La main de Fred n’était pas différente de la définition qu’en donnait l’encyclopédie : organe préhensile effecteur situé à l’extrémité de l’avant bras. J’y apprenais que la main humaine est constituée de vingt six muscles, intrinsèques et extrinsèques qui ont tous une fonction précise et vingt sept os : scaphoïdes, lunatums, trapézoïdes, capitatums, et proximals. Enfin je lisais que depuis Darwin, la main est ce qui distingue l’homme des autres primates. Je m’accrochais à cette phrase lorsque hier soir, la main de Fred s’abattit soudainement sur moi et m’écrasa l’arête du nez dans un craquement d’os.

© Gilles DIENST, Juillet 2013

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L’abricot

Dans ma main, l’abricot est si petit. Dans ma bouche, sa chair est pâteuse. Je recrache le noyau sur la nappe à carreaux. Celle que maman m’avait offerte. Son unique cadeau. Dès que je suis née, elle m’a détesté. Dès qu’on m’a posé dans ses bras, j’ai eu peur. Son corps sentait la colère. Elle ne m’embrassait jamais. Un jour, j’ai osé lui demander. Pourquoi me hais-tu ? Elle n’a rien dit, elle est partie. Mais j’ai vu ses yeux tristes. J’ai ramassé le noyau, l’ai balancé dans un buisson. Ma mère n’aurait pas aimé que je salisse sa nappe.

© Karine GUITON, Juin 2013

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De toutes ses forces


Elle a sauté, comme on se jette à l’eau. Objectif : aller jusqu’au bout, sans s’arrêter. Souffle haletant. Surtout ne pas perdre la face. Tout départ exige un retour, elle le sait, inutile de le lui rappeler. Le ciel est encore loin, très loin, silencieux dans son auréole. Saura-t-elle franchir l’obstacle ? Faire volte face au chemin parcouru ? Son pied obéit à ce qu’il veut. Mais, elle, que veut-elle ? Rien d’autre qu’ajuster sa force à celle de ce pied, ses deux bras en balancier, au cas où.
La marelle est son chemin de croix.

© Marylise LEROUX, Mai 2013

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Sortie de boîte

Elle fixait le filet d’eau qui coulait péniblement une centaine de mètres en contrebas. Elle allait sauter. Elle était désespérée et terrorisée à la fois. Elle ne savait pas comment elle en était arrivée là. À cause de son travail. Mais tout allait mal dans sa vie. La faute à un stress perpétuel sans doute. Sauter dans le vide était la seule manière de s’en sortir. Elle s’y jeta, sans un cri. Elle tomba en quelques secondes. On la vit immédiatement rebondir, beaucoup plus bas. Puis ce fut le tour du suivant. Heureusement, dans cet exercice, l’élastique ne lâche jamais.

© Daniel BIRNBAUM, Avril 2013

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Létal

Derrière l'étal, le lapin, mutilé, remue encore. Je frémis. Numéro Six repart avec les pattes arrière. Il sifflote. Numéro Sept se saisit alors du hachoir, décapite un poulet, le sang gicle et le client fourre le cadavre dans son cabas. « Bonne journée ! » Je repère un petit cochon. Je lui donne un nom, Grwik-Grwik. Erreur. Je relis ma liste. Polenza : trois tranches de jambon. « Numéro huit ! » : mon tour vient, on me tend le hachoir, ma main tremble, Grwik-Grwik me regarde et l'angoisse me paralyse. Je me demande ce que ça donne, une polenza sans Grwik-Grwik.


© Stéphane CROENNE (Mars 2013)

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Que se passe-t-il ?


Nous étions encore quelques uns au village. Depuis des années nous relayant chaque jour pour monter au sommet de la plus haute tour, attendant les nouvelles venues de là-bas… scrutant l’horizon.
Les ans passèrent. Mais rien !
Puis les malades, les enfants, les vieux périrent. Les morts devinrent plus nombreux que les vivants.
Les mois passèrent… toujours rien à l’horizon.

Désormais seuls quelques uns d’entre nous survivent, prenant chaque jour notre tour de garde… En vain !
Cette semaine, nous ne sommes plus que deux. Hier matin, tu es montée… Et depuis j’attends…
Qui demain, portera les dernières nouvelles ?


© Olga & Julie OZ (Février 2013)

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Clepsydre


Ce mot sur lequel est tombé le voile du temps, ce mot oublié dans un lointain hors d’âge, ce mot à la bonne mesure de notre éternité inscrit sa trace en filigrane, dans notre quotidien qui dit encore : « le temps s’écoule ».
En plein désert, sous un soleil-roi, l’eau décompte les gouttes qui remplissent les jours et les nuits dans la grande cuve de la vie, sonne en clairs clapotis une poésie cristalline que la chaleur envole en tremblantes vapeurs et nous apprend l’impuissance à retenir, dans nos mains, le temps et l’eau, sous un ciel immuable.


© Cécil d'ESTIENNE (Janvier 2013)


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Embûches


Leur monde est limité. Il se rétrécit davantage tous les jours, la glace fond tout autour. Il reste encore quelques sapins, mais ils sont en mauvais état, ils ont perdu de leur éclat. Leur monde est condamné, il y a trop d’avides, chacun veut sa part du gâteau, tout se désagrège vite. De moins en moins nombreux, ils sont usés et ridicules, comme des ombres minuscules. Bientôt, presque tout sera englouti et le gaspillage s’occupera du reste.
La fête sera bientôt finie. Puis ils attendront un an avant de ressortir… les petits nains de la bûche de Noël.

Daniel BIRNBAUM (Décembre 2012)

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L’oiseau mécanique

Elle tient dans la main un petit oiseau mécanique. Un oiseau fait de tiges, de ressorts, de bielles minuscules. Quand le chant se tarit, elle va au poitrail, donne trois tours de clé… et l’oiseau à nouveau bat des ailes, remue la queue, s’égosille.
Au doux des oreillers, la jeune fille attend, en écoutant le chant de l’oiseau mécanique. À minuit, sa porte est poussée, son amant est prés d’elle ; la chambre est habitée de douceurs, de batailles.
Délaissé, repoussé à chaque élan des corps, l’oiseau tombe du lit, roule sur le plancher… où un chat s’en saisit.

Jean Marie CUVILLIEZ (Novembre 2012)

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Le mot voyageur

Un jour, un mot décida de parcourir le Monde. Il escalada les montagnes, s’immergea dans les océans, s’envola dans le firmament des espaces infinis.
À son retour - son escapade avait duré une bonne centaine d’années - sa surprise fut grande car la place qu’il occupait auparavant avait été supprimée !
De savants docteurs littéraires l’avaient rayé du dictionnaire !
Combatif, le mot décida de reprendre la route. Il s’adressa aux autres langues du Monde pour vivre et exister.

Depuis ce temps, les mots vont et viennent en mémoire de celui qui a ouvert la voie.

Jacques COURTIN (Octobre 2012)


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Post-cure

Son psychanalyste était mort depuis longtemps, mais elle avait punaisé sa photo sur le mur, derrière le canapé où elle venait s’allonger deux fois par semaine, à jours et heures fixes. Elle continuait à parler, et lui continuait de se taire, n’ayant jamais prononcé le moindre mot durant la cure.
Pour parfaire l’illusion, elle laissait deux billets de cinquante euros sur la table à la fin de chaque séance.

Jean-Jacques NUEL (Septembre 2012)

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La messe

Le dimanche, j’allais à la messe. J’aimais entendre ma mère murmurer pour les siècles des siècles. J’aimais la voir prendre la file, s’avancer, solennelle et contrite. Lorsque venait son tour, je montais sur l’agenouilloir pour mieux la voir tirer la
langue au curé, puis regagner notre banc comme si de rien n’était. Cet outrage programmé, qui se répétait chaque dimanche, recelait pour moi le plus grand des mystères, en même temps qu’il me procurait un vif plaisir. Je croyais que le
reste de la messe consistait à s’en excuser. Et que c’était là l’unique raison de nos génuflexions.

Gaëlle HEUREUX (Juillet- Août 2012)

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Le temps

L’an 1000. Des bois, une campagne, un homme construit sa maison. Il pose sur un muret une statuette d’argile que son enfant a modelée et lui a offerte. Le soir venu, il l’oublie. Le lendemain, la cherche en vain. Inconsolable… La statuette a glissé, entre deux pierres.
Juin 2011. Le jour est radieux. Une enfant joue. Elle rit, s’éloigne du groupe… pour se cacher. Plus loin, une rivière, puis un mur éboulé que la végétation recouvre, du lierre comme une nappe… qu’elle soulève pour s’y dissimuler. Là entre deux pierres, elle trouve la statuette… intacte.

Hélène VEYSSIER (Juin 2012)

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La Bibliothèque

Une discrète odeur de forêt, lande et mer associées, deux planches fraîchement sciées emboîtées sur quatre montants, accueillent une poignée de « vrais » livres, ceux de l’enfance, illustrés, cartonnés, abandonnés.
Si j’ignorais comment l’on grandissait, je l’appris ce jour où mon père m’expliqua ceci : à mesure de mes lectures, la bibliothèque pourrait se doter de nouveaux étages à l’odeur de pin. Je poussais sur mes jambes maigres pendant que s’élevait le meuble fabriqué par mon père. À croire que la littérature, m’empoignant par les cheveux, me faisait, centimètre par centimètre, gagner ma place dans le monde.

Frédérique GERMANAUD (Mai 2012)

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L'écureuil

Mon père m'appelait son petit écureuil. Il disait que j'avais le même petit museau, les mêmes cheveux roux. J'étais le petit écureuil de papa, personne ne pourrait me faire du mal, rien ne pourrait m'arriver. Je serais toujours nourrie de noix et je pourrais me cacher dans un arbre si nécessaire...
C'est ce que j'ai toujours cru jusqu'au jour où j'ai trouvé des photos que je n'avais jamais vues auparavant. Sur l'une d'entre elles, en couleur sépia, mon père, plus jeune et plus chevelu, souriait fièrement à l'appareil photo, tenant une carabine.
Deux bébés écureuils gisaient à ses pieds.

Sarah CUQUEMELLE (Avril 2012)

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Le Bureau des Admissions

Les candidats attendaient toute la nuit dans la rue, sous la pluie ou dans le froid, devant les grilles de la préfecture, pour être certains d’obtenir dès l’ouverture du bureau ce précieux ticket, délivré en nombre limité, qui leur donnait le droit d’attendre, la nuit suivante, dans la rue, sous la pluie ou dans le froid, devant les grilles de la préfecture.

Jean-Jacques NUEL (Mars 2012)


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Cent mots pour le dire… ?

Comment dire toute son indignation, toute sa révolte sur un minuscule feuillet ?
Comment dire NON à ceux qui parlent tout le temps, promettent toujours plus et ne font rien ? NON à ces béni-oui-oui qui acquiescent sans penser à demain ? NON à ceux qui les renvoient dos à dos, disant que c’est « bonnet blanc, blanc bonnet » ?
Ne disposant plus que de quelques mots… il serait bientôt SANS mot pour le dire.
Alors il glissa dans l’urne… un bulletin BLANC !

Gwenn BILHED (Février 2012)


* Pour la micro-nouvelle du mois, il est possible de nous adresser un texte en "100 mots -maximum- pour le dire" (
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L'Association "Nouvelles R", créée en 1992, édite Harfang "revue de littératures" semestrielle, principalement consacrée aux nouvelles et autres textes brefs. Très active dans le petit monde de la nouvelle, l'association intervient aussi bien dans les établissements scolaires que dans les bibliothèques... Elle organise, entre autres, des lectures, des formations, des ateliers d'écriture... Elle est également à l'origine du Prix de la Nouvelle d'Angers qui récompense tous les 2 ans un recueil inédit (en partenariat avec la Ville d'Angers et les éditions Paul&Mike).
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