dimanche 10 décembre 2023

HARFANG N° 63




Le 63e vol d’Harfang s’ouvre sur la rencontre avec trois femmes, d’abord nouvellistes puis romancières : Virginie Bouyx, Sylvie Dubin et Marie-Hélène Lafon… Les deux premières publient leur premier roman La varangue pour Bouyx et Le bruit des hommes pour Dubin après avoir publiés deux ou trois recueils de nouvelles… Elles s’expliquent donc sur les difficultés qu’elles ont du surmonter pour passer du court au long. Quant à la troisième, elle explique pourquoi elle a abandonné un recueil de nouvelles presque achevé pour écrire son dernier roman Les sources dont la nécessité s’est imposée à elle naturellement.

Puis dans la rubrique « Nouvelles sans frontières », on peut découvrir la première traduction en français (par Samuel Bidaud) d’une nouvelle (« L’homme sur la route ») du romancier tchèque Jan Čep (1902-1974)… suivi d’un hommage à Guillemette de Grissac, disparue début 2023, à travers quelques micro-nouvelles en 100 mots dont elle était friande.

Enfin on peut lire la livraison semestrielle de nouvelles choisies par le comité. Entre autres,  « Le voyage immobile » de Christine Dupéré-Lassalle, « Rose et Paul » de Régine Ghirardi qui raconte la rencontre de Rose Scoazec et de Paul Gauguin à Pont-Aven,  le curieux « Pont vivant » de Didier Gotthold… et pour finir « Une petite suite cauchemardesque » de 7 textes de Julien Grandjean ainsi que deux courtes nouvelles signées Thomas Zevski extraite d’un recueil intitulé Regards extérieurs dont on reparlera sûrement.

Harfang N° 63, 124 pages, 12 €

Chèque à l’ordre d’Harfang à l’adresse suivante

Harfang 13 bis avenue Vauban 49000 ANGERS

lundi 3 juillet 2023

David THOMAS... à la plage, coup de cœur pour l'été

 à la plage… entre trois serviettes de bain et deux parasols

 - Qu’est-ce que tu lis là ?

- Partout les autres, un recueil de David Thomas…

- Connais pas !

- Ah bon… c’est pourtant pas son premier. Tiens regarde sa biblio en page quatre : La Patience des buffles sous la pluie en 2009, Prix de la Découverte 2009 de la Fondation Prince Pierre de Monaco, Je n’ai pas fini de regarder le monde en 2012, On ne va pas se raconter d’histoires en 2014, Le Poids du monde est amour en  2018, Un homme à sa fenêtre en 2019, Seul entouré de chiens qui mordent en Prix de la Nouvelle de l'Académie française…

- Ça fait sept recueils avec Partout les autres qui cette année vient de recevoir le Prix Goncourt de la nouvelle.  

- Moi, je lis Harfang et j’ai jamais entendu parler de tout ça !

- Harfang, la revue qui défend et illustre depuis des années les nouvelles courtes, les petites proses à la manière de Philipe Delerm, qui publie des micro-nouvelles de cent mots sur son blog et qui défend les short short stories ? Ça m’étonnerait qu’il n’en parle pas car David Thomas est un adepte des instantanés et de la m

icrofiction, entre un et trois feuillets maxi !

- Comme Régis Jauffret alors ?


- Oui et non ! Jauffret, je pense que tu as lu ses Microfictions 2022 ? Jojo, vous voyez de qui je parle, il a carrément dit que c’était de la pure merde mais c’est parce que Jauffret passe à la télé et pas lui ! Enfin Jauffret, c’est plutôt du noir bien noir. Thomas, c’est plus nuancé. Même si certaines sont bien noires. Si t’aimes le noir, t’auras qu’à lire « la nasse » ou « vivre vite » par exemple. Mais souvent, c’est entre Jauffret et Delerm avec en plus beaucoup d’humour sur notre société et nos contemporains. Lis donc « retour aux fondamentaux » où un mec qui veut fuir la société de consommation s’installe au plus profond d’une forêt des Vosges et qui un an plus tard s’achète une télé de quarante pouces et un 4x4 Suzuki !

- Tu verras, c’est varié. Pour lui, la littérature c’est fait pour montrer le réel dans toute sa complexité. Alors, il y a aussi un peu de dérision…

-… et même de l’auto-dérision quand il se dit « inventeur d’un nouveau genre littéraire » et quand il fait le portrait d’un écrivain maniaque qui passe son temps en rituels avant de se mettre à son bureau…

-Tiens, t’as qu’à lire la dernière phrase du recueil : « Le truc, c’est que comme je fais des petits textes, je mets plus de temps à m’y mettre qu’à écrire » 

-Allez, je te le prête… Je suis sûr que tu vas aimer ! Et n’oublie pas de me le rendre ! J’y tiens !

 David ThomasPartout les autres. L’Olivier, 208 p., 18 €

 

lundi 5 juin 2023

NOUVELLES DES PRIX 2023 : Litter'halles pour Françoise GUERIN et Boccace pour Gilles VERDET

  Prix Littér’halles 2023

Pour sa douzième édition, sept recueils finalistes avaient été sélectionnés et le Prix Litter’halles 2023 (décerné à Decize en mai dernier) a été remis à Françoise GUERIN pour son recueil Les défilés du désir aux éditions Zonaires (108 p., 13 €)


En dix-huit nouvelles brèves, souvent d’une ou deux pages, F. GUERIN
 (pour son dixième ouvrage) s’attarde à faire revivre la part d’enfance qui dort en chacun de nous et qui pèse encore à l’âge adulte… tout en s’attachant à montrer la part d’adulte déjà présente chez les adolescents de huit à douze ans en quête d’identité et d’autonomie.

Chacun peut se reconnaître dans ces enfants ordinaires qui, pour se conformer au regard que les adultes portent sur eux, masquent leurs désirs, leurs manques, leurs tristesses, leurs hontes, leurs peurs…

Au fil des pages, on croise des Benjamin, des Quentin, des Nathalie, des Céleste qui sont le plus souvent dans le déni, qui pratiquent le mensonge quotidien et dont les mots ou les silences montrent toute la difficulté à être soi-même dans cette zone de turbulences que l’on appelle adolescence.

Et s’il est souvent difficile de parler des enfants ou pour les enfants, F. GUERIN a choisi de leur donner la parole, sans pour autant se mettre à leur place. Pour cela, ses narrations utilisent la deuxième personne, un « tu » de bienveillance, qui implique une empathie naturelle chez le lecteur.

Empathie immédiate, dès la première nouvelle, pour Paul, cet écolier de neuf ans qui est tombé amoureux du nouveau venu aux cheveux « couleur abricot » et qui cachera la honte de ses cheveux courts.

Même empathie, dans la dernière nouvelle intitulée « De l’efficacité de la prière » (publiée dans Harfang N° 56) pour cet enfant plutôt chétif, issu de l’immigration polonaise, qui prend confiance en lui grâce à une prière très personnelle devant une reproduction de la Vierge noire de Czestochowa.

Les défilés du désir offrent ainsi un vaste éventail de situations, posent un regard plein d’humanité sur nos enfances, sur nos valeurs et notre société contemporaine.

Joël Glaziou

 (Lire les nouvelles de Françoise GUERIN in Harfang N° 56 & HS N° 9)

Prix Boccace 2023

Pour ce 14e prix Boccace, cinq recueils étaient sélectionnés. Finalement le prix est revenu cette année à Gilles Verdet pour son recueil Les passagers, publié aux éditions Rhubarbe (94 pages, 12 €)

En parlant de « passagers », G. Verdet parle aussi de passages et de passeurs. Passeur du fleuve Guadiana entre Espagne et Portugal comme Eduardo, passeurs de drogue ou comme François et Françoise, petits retraités français qui trafiquent pour arrondir leurs fins de mois.


Les premières lignes du recueil le disent clairement : « les limites territoriales, les migrateurs les ignorent »… car les oiseaux tout comme les personnages ignorent les frontières qu’elles soient sociales, économiques ou morales… mais d’abord et surtout géographiques, que l’action se passe en France, en Allemagne, en Espagne, au Portugal ou au Maroc ou que le lieu donne le titre de chacun des sept passages : « fleuve, périf, mer, détroit, ciel, horizon, delta ».

 Les personnages passent donc d’un lieu à l’autre, revenant de manière récurrente d’une nouvelle à l’autre. Ce faisant, G. Verdet ignore les limites narratives et les codes et franchit allègrement les frontières poreuses entre les genres : les nouvelles s’enchaînent en une suite narrative comme dans un « roman-par-nouvelles » selon l’appellation de J. N. Blanc… assurant ainsi une continuité et renforçant l’attention et le plaisir du lecteur.

Continuité aussi, puisque ces nouvelles, écrites au fil des années qui passent, sont bien reliées par un fil rouge que l’on trouvait déjà dans la nouvelle centrale intitulée « Le détroit » publiée dans Harfang (N° 45) en 2004 !

Sept nouvelles au fil de l’eau, sept balades tragiques où l’on croise des personnages haut en couleurs comme sait si bien les saisir G. Verdet : outre les deux banlieusards retraités, Angela une ex-allemande de l’est, un junky anglais, une ouvrière marocaine, un écrivain américain, un tueur à gages…

Merci à Rhubarbe de faire « passer » ce genre de recueil que chaque lecteur doit faire « passer » à son tour au plus grand nombre.

Joël Glaziou

(Lire nouvelles et entretien de Gilles Verdet dans Harfang N° 45 & 49)

 

 

dimanche 14 mai 2023

Le 62e vol d’HARFANG !

 

Au programme de ce 62e vol, entre les escales en Bretagne, en Corse ou en Grèce, HARFANG propose de belles rencontres avec de vieilles connaissances… et quelques nouvelles têtes !

D’abord avec J.-N. Blanc (perdu de vue depuis les Harfang 9 & 19) qui revient nous « parler du pays » dans son dernier « roman-par-nouvelles » paru au Réalgar et qui nous raconte « un accident…comme on dit » qui n’a rien d’un euphémisme.

Puis G.-O. ChÂteaureynaud (perdu de vue depuis Harfang N° 31), toujours fidèle à un fantastique « soft », déroule ce qui se passe après l’annonce suivante « l’an prochain à cette date, vous serez mort » et avant la consultation de « l’illustre Docteur Serrier » (dont on peut lire une micro nouvelle page 89 et des nouvelles dans les Harfangs N° 58, 59, 60)…

En ami de longue date H. Haddad (perdu de vue depuis Harfang N° 31) échange sur son « invention du diable » qui raconte la vie du poète Marc Papillon de Laphrise avant de s’interroger sur l’histoire d’Agartha et le mystère de la rose violente sur fond de guerres, de catastrophes nucléaires, « en ces temps de tragédies planétaires, guerres civiles, pandémies et catastrophes en tous genres »  et de conclure que « l’apocalypse n’est qu’une saison du monde et le déluge une façon d’arroser son jardin » !

Enfin J.-L. Pierre présente les éditions de la Guêpine qu’il dirige et qui publient des petits livres rares ou oubliés d’hier ou d’aujourd’hui et offre en prépublication un inédit d’E. Favier (perdue de vue depuis Harfang N° 51)

Belles rencontres et beaux échanges -donc- où l’on ne voit pas le temps passer entre les escales

La première en Corse avec D. Coll autour de « l’immense chêne liège », gardien d’un site préhistorique.

La deuxième en Bretagne avec S. Lida autour d’une toile d’E. Bernard et avec F. Grandhomme autour de la « grek à la mère Le Gall » (autrement dit la cafetière des marins de Groix).

Et la troisième en Grèce avec F. Soupault qui traite de mythologie avec humour autour d’une « sirène…cul-de-jatte ».

Entre vol et escale, il n’est pas interdit de jeter un œil (et plus) sur les chroniques habituelles et de lire les notes de lecture sur les derniers recueils de J. M. G Le Clézio, Blanc, Chateaureynaud, Goeller, Robichon… et sur les meilleures micro-nouvelles de l’année 2022 signées Y. Le Hen, P. Serrier… et Guillemette de Grissac dont on vient d’apprendre la disparition : fidèle abonnée et lectrice depuis les premiers vols, elle nous adressait régulièrement nouvelles et micro-nouvelles (donc nouvelliste jamais perdue vue à retrouver dans Harfang N° 9,17, 27, 28, 32,40, 50, 62)

En souhaitant à toutes et à tous de belles lectures et de bonnes nouvelles pour les mois à venir

 

Harfang N°62, 112 pages, 12 €

(chèque à l’ordre d’Harfang à adresser 13 bis avenue Vauban 49000 ANGERS)

vendredi 3 mars 2023

L'ÂME AU DIABLE : revue à découvrir

 L’Âme du diable N° 2

Après avoir fait l'éloge de cette nouvelle revue dans Harfang N° 61 (lire ci-dessous pour rappel), nous attendions avec impatience ce numéro 2… qui dépasse ce que nous pouvions imaginer. À ce rythme, notre stock d’adjectifs et de superlatifs sera vite épuisé !

L’avant propos, signé Stéphane Balcerowiak, dépasse largement par sa taille et son propos ce qui s’écrit habituellement sous cette appellation…  il devient récit de la genèse même du numéro en embarquant le lecteur dans « La barque de Dante » de Delacroix, pour un voyage au bout de la nuit dans « L’enfer, Le Purgatoire et Le Paradis » de la Divine comédie… non pas en compagnie de Virgile mais de L.-F. Céline en personne ! Et happant le lecteur au rythme d’un feuilleton diabolique, il se poursuit à la façon d’un récit cadre entre chaque texte pour présenter la vingtaine d’auteurs dont les notices bio-biblio alimentent la fiction. 

Au-delà de cette originalité qui tient du tour de force, il reste que chaque nouvelle ajoute un nouveau chapitre, un chant intime à la geste dantesque. De cercle en cercle, on visite les morts avec E. Godo et quelques autres, on retrouve Hoffmann, Nerval, puis loin Rimbaud avec C. Mahy, Modigliani avec A. Emery,  D. Risi avec M. Bernard…etc. On croise aussi quelques contemporain(e)s qui ont hanté naguère les pages d’Harfang, de F. Bartelt à A. Emery en passant par E. Ballaert, E. Favier et F. Germanaud.

Ajoutons que ce feuilleton diabolique est également ponctué par les illustrations en noir et blanc, photographies et dessins (notamment la suite intitulée « Paréidolie » de T. Dohollau). Mais la place manque pour faire un inventaire exhaustif ! Plus qu’une simple revue, plus qu’un recueil de nouvelles, ce que le lecteur a entre les mains, c’est le récit d’un voyage au centre de la littérature.


 
L’Âme du diable N° 1

Voilà bien quelques lustres que nous n’avions pas eu le plaisir de souhaiter la bienvenue à une revue dans le petit monde « nouvellistique » ! Et quelle revue… car il est rare d’allier la qualité de la maquette à la qualité du contenu (textes et iconographie) dès un premier numéro.

L’âme au diable

n’a rien d’une revue thématique même si l’on décèle dans le titre la présence du diable dans la vie et l’œuvre de nombreux auteurs : au fil des 16 nouvelles (sous la plume de C. Bechec, H. Carn, A. Emery, F. Juhel, A. Pagnier, F. Rebourg, A. Weinberg, entre autres…)  on y croise Goethe, Villiers de l’Isle-Adam, Max Jacob, Francis de Miomandre, Julien Gracq et quelques autres et non des moindres.

Mais c’est surtout une revue littéraire où chaque texte renvoie à d’autres textes, d’autres auteurs qui nous rappellent qu’au cœur même de l’acte d’écrire, il y a ce pacte faustien où chacun se dédouble pour pouvoir écrire… au péril même de la vie.  Et s’il n’en fallait qu’une preuve, on la trouverait dans la nouvelle de G. Bienne « L’assiette fêlée » qui rappelle l’extraordinaire confession sur la difficile condition d’écrivain de F. Scott Fitzgerald dans sa nouvelle « La fêlure ».

Au final, 16 pactes, 16 textes… sans oublier les 4 dessinateurs et les 4 photographes où se mêlent le noir et le rose, le fantastique et l’érotisme, le sadisme et l’humour…

On en redemande et l’on attend donc avec impatience le numéro 2, en souhaitant longue vie à cette revue « diabolique » dont on peut espérer (ou craindre ?) qu’elle atteigne le numéro 666 autour de l’année 2355 !

 

212 pages, semestriel, 18 € le numéro ou 35 l’abonnement

L’Âme du diable  27 rue d’Alsace-Lorraine 22000 Saint-Brieuc

Courriel : lameaudiable@orange.fr

mercredi 1 mars 2023

BONNES NOUVELLES DE J. M. G. LE CLEZIO

 


Avers. Des nouvelles des indésirables
, J. M. G. LE C
LEZIO Gallimard, 224 pages, 19,50 €


 


Depuis La Fièvre, Mondo et autres histoires, La ronde et autres faits divers, jusqu’à Histoire du pied et autres fantaisies en passant par Printemps et autres saisons, Cœur brûle et autres romances… jamais Le Clezio

n’avait utilisé l’appellation de « nouvelles » sur la couverture d’un de ses dix recueils de textes brefs. Dans ce nouvel ouvrage, il livre enfin des « nouvelles » du monde au double sens journalistique et littéraire. Quant aux « indésirables » (désignant ainsi ceux que l’on ne désire pas voir au point de les rendre invisibles et de les traiter en « fantômes dans la rue ») dont il est question ici, ils ne sont pas une nouveauté dans l’œuvre de Le Clezio : les enfants d’abord, mais aussi les femmes, les immigrés sont légion. Peu importe que cela se passe en France ou en Colombie, au Liban ou au Pérou, à Maurice ou à Panama, chaque nouvelle dresse un constat accablant sur la réalité des inégalités, des violences quotidiennes, « des histoires de solitude, d’abandon » qui les mènent parfois jusqu’à la perte d’identité car « ils ne savent plus très bien eux-mêmes qui ils sont » (p. 123).

Cette permanence des mêmes thématiques est également attestée par le fait que plusieurs de ces nouvelles sont déjà anciennes : ainsi « L’amour en France » (publiée en 1993 dans le Courrier de l’UNESCO sous le titre « Le souvenir de toi, Oriya « ),  « Fantômes dans la rue » (publiée en 2000 dans la revue Elle), « La pichancha » (publiée en 2003 dans un ouvrage collectif pour Amnesty international sous le titre « Rats des rues »).  

Dans « Fantômes dans la ville », les personnages sont sous le regard d’une caméra de surveillance qui voit tout, qui joue le rôle d’un narrateur omniscient, qui enregistre les faits et gestes de chacun, qui en déduit les pensées, les sentiments et même les sensations… amenant ainsi le lecteur dans un état d’empathie. En se contentant de décrire et d’être un simple témoin, Le Clezio s’en tient au constat, au « procès-verbal ». Chez lui, nul jugement, nulle morale. Les faits décrits deviennent symboles, les nouvelles deviennent paraboles, invitant le lecteur à réagir, à se révolter devant tant d’injustices faites aux enfants, aux femmes…

Souvent rejetés, loin de leur origine géographique, sociale ou familiale, les personnages de Le Clézio depuis ses premiers ouvrages, notamment Le livres des fuites, sont donc souvent condamnés à fuir, à marcher, à s’exiler, à émigrer…

Ainsi Maureez Samson, dans « Avers », qui donne son titre au recueil et qui renvoie à la pièce d’or qu’elle a reçue de son père. Excédée devant sa marâtre violente et son beau-père libidineux, elle quitte sa maison natale. La perte de ses racines, de sa pièce d’or et de son identité la jettent alors sur les chemins et la mer. Maureez est la petite sœur sauvage et fugueuse de Béa B. dans La guerre, de Pouce et Poussy dans « La grande vie », d’Esther dans Étoile errante… Après marches et errances, Maureez ne trouvera sa voie/voix que dans les chants religieux, les negro spirituals, retrouvant ainsi son vrai visage, son identité perdue, son avers. Car chacun a son avers et son revers.

Fuir sa famille certes, mais aussi fuir la guerre pour Marwan dans « Hanné ». Fuir la violence des narcotrafiquants dans la forêt entre Colombie et Panama pour Yoni dans « Etrebbema ». Fuir les tortures et les viols infligés par les militaires pour Chuche, la petite péruvienne et le petit indien Juanico dans « Chemin lumineux ». Fuir pour un ailleurs meilleur en rampant dans les égouts entre Mexique et U.S.A. pour El Gato, Chepo, Yoni dans « La Pichancha », tous ces enfants étant devenus des « rats de rue » qui jouent au chat et  à la souris avec les policiers et qui sont les frères de Mondo.

Fuir, émigrer, s’exiler pour tous ceux qui découvrent alors la solitude, la nostalgie comme pour Abdelhak, travailleur devenu « invisible » dont les français ne retiennent même pas le nom et qui pense à son village, Tata, à sa femme Oriya, à ses enfants dans « L’amour en France », frère d’exil de Tayar dans « L’échappé » et de Miloz dans « Le passeur ». Étrangers, ils sont les victimes de l’aversion que les autres leur portent.

Fuir « pour ne jamais revenir » : le retour vers le passé est illusoire… même si la nostalgie n’est jamais loin. Fuite qui semble ne jamais finir tant les ailleurs sont décevants, tant les pays d’accueil peu accueillants. Pas plus que la nature qui ne propose pas de véritables refuges ni dans les déserts du Moyen-Orient ni dans les forêts d’Amazonie.  

Exilés, émigrés, devenus invisibles, ces « indésirables» sont réduits au silence, car la plupart du temps ils ne connaissant ni la langue  ni les codes. Ils n’ont pas les mots  pour dire. Parfois même, comme dans la forêt pour Yoni « les mots ne servent pas ». Ils sont alors condamnés à vivre dans l’Etrebbema (l’inframonde en langue emberá) et aussi à communiquer dans une infralangue, (celle que Maureez invente pour échanger avec son amie Bella), dans une langue originelle, souvent la langue maternelle, notamment avec les berceuses comme celles que Chuche murmure à l’oreille de Juanico, ou les berceuses mauritiennes chantées par la grand-mère de Le Clézio près de « La rivière Taniers » pendant les bombardements.

La chanson devenant alors lieu de refuge, de communication immédiate, seule échappatoire pour Maureez, qui commence par fredonner les chants religieux, avant d’apprendre les paroles et le répertoire des negros spirituals.

Les mots ont donc aussi les avers et leurs revers. Et ce n’est pas le moindre paradoxe, comme Le Clézio l’a rappelé dans son discours du Nobel en 2008, pour un écrivain que de donner la parole à ceux qui n’ont plus de langue, ni de code, ni d’identité mais de le faire en utilisant des mots qu’ils ne liront pas. L’écrivain, plus qu’un simple témoin, devient porte-parole pour avertir le reste du monde, sorte de  lanceur d’alerte pour dénoncer les situations dramatiques, les famines, les injustices, les violences, les guerres….

En donnant la parole aux petits, aux gens de peu, Le Clezio  rend visibles tous les invisibles, tous les indésirables.

Tout Le Clezio est là dans ces huit nouvelles qui sont comme le microcosme, le concentré, le meilleur de l’œuvre entière.

 

Joël Glaziou

samedi 18 février 2023

Meilleures Micros de l’année 2022

 

Comme tous les ans depuis 11 ans, le comité de lecture d'Harfang a établi le palmarès des "meilleures micro-nouvelles" de l'année 2022. 

C'est Yvonne Le Hen qui l'emporte pour sa micro "Au bord de l'étang"

(elle recevra un abonnement d'un an à la revue)

suivie de G. de Grissac et de P. Serrier. 

Bien sûr, l'aventure continue : il suffit de nous adresser vos micro-nouvelles de 100 mots maxi (contrainte impérative) à l'adresse de la revue 

revueharfang@laposte.net 


 

 1  Au bord de l'étang

C'est une histoire que mon père m'a racontée une semaine avant sa mort, juste après une promenade dans le parc. Il était dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année ! Depuis quelque temps, il ne me parlait plus de la guerre, du maquis, de la Résistance...  Non, c'était Toullan, là où il était né! Ce jour-là, il revient du moulin. Au bord de l'étang, une anguille se tortille dans la vase. Sa tête est prise dans la gueule d'une truite. Le jeune Eugène ramène les poissons sur l'herbe ! En les séparant, il voit apparaître entre les dents de l'anguille, une truitelle encore frétillante.

 © Yvonne LE HEN (Mars 2022)

2  «  22 02 22 »

 On était le 22 février, le 22 02 22. Avec Nina, on s’amusait chaque soir à regarder l’horloge à quartz à 22 heures 22. Là, ce serait une soirée spéciale : on irait jusqu’aux 22 dixièmes de seconde. On ferait l’amour avant et après, en l’honneur du 22. On jouerait ensuite à faire des yam’s de 2. Avec du champagne. Soirée spéciale. Unique. L’amour comme le champagne fut délicieux. Mais je perdis au jeu, les dés s’obstinant à sortir des trois. Nina arborait un sourire énigmatique. Elle dit enfin : tu vois, bientôt nous serons trois …

 © Guillemette de GRISSAC (Spéciale 22 / 02 / 2022)

3 Les yeux d’or

 Je plongeais mon regard dans ses yeux. C’est ce qui me fascinait le plus en elle. Ils étaient d’une couleur dorée, de l’or liquide, lui disais-je. Le contraste avec la pupille, très noire, magnifiait cette impression de métal précieux en fusion. Un trait de khôl barrait son œil. Il s’étirait, lui donnant un regard d’égyptienne antique, celle des hiéroglyphes. Ce face à face durait un moment, chacun s’immergeant dans l’autre, au plus près. Elle cillait peu, me fixant,  un peu inquiète. Je ne la retenais pas. Soudain, éclair vert vif, accompagnée d’un ploc, ma rainette sautait dans sa mare.

 © Philippe SERRIER (Septembre 2022)

 

mercredi 4 janvier 2023

BONNE ANNEE 2023

 


A tous nos fidèles lecteurs, 

Harfang souhaite une bonne... 

une meilleure.... 

une excellente année 2023 

où chaque jour apporte 

une bonne nouvelle !