Dans les
nombreux recueils reçus en service de presse ces derniers mois, Harfang a lu et
retenu pour vous quelques pépites qui ne fondront pas au soleil de l’été. À
lire indifféremment sur le sable de la plage ou à l’ombre d’un grand chêne,
lors d’une pause après la baignade ou après l’escalade d’un pic rocheux…
Il y en a pour tous les goûts, tous les lieux et tous les moments.
Il y en a pour tous les goûts, tous les lieux et tous les moments.
Une fois
n’est pas coutume et parce que les nouvelles ne sont pas qu’hexagonales, mais
multiformes et « sans frontières », Harfang vous avoue qu’il se
délecte parfois de traductions. Il vous recommande la réédition en livre de
poche des nouvelles de Louise Erdrich :
Surprise garantie à chaque
page !
À déguster
sans modération…
Bon été et bonnes lectures !
Eaux
troubles, Michel Baglin, Ed.
Petra, 196 p., 16 €
Les « eaux troubles » du titre
sont présentes dans chacune des 15 nouvelles de ce recueil qui naviguent entre
réalité (des histoires puisées dans une longue carrière de journaliste) et
fiction (quand l’imagination s’en mêle). Les fidèles lecteurs d’Harfang (N°40)
ne s’y tromperont pas en se souvenant de ce dialogue dans « Le lézard rouge » :
« le journaliste ramène des
informations… [..] le nouvelliste, le poète n’ont dans leurs bagages qu’une
émotion à partager » (p. 43). Car l’imagination, l’émotion viennent
troubler le réel tout comme le passé vient troubler le présent : certaines
vieilles histoires, certains souvenirs de la Guerre d’Espagne, de la
Résistance, de Mai 68 reviennent soudain à la surface. On plonge ainsi dans les
« eaux troubles » de l’âme
d’une vieille grenouille de bénitier qui dénonce les jeunes résistants.
On plonge dans
les souvenirs de Léa à l’occasion d’une visite et d’un reportage sur un barrage
et qui se souvient d’un grand-père parti récupérer sous l’orage un chat qui se
noyait et qui réalise alors que c’est « un
peu de son enfance qui se noie » (dans « Remous »).
On plonge dans
la conscience de l’ingénieur chargé de construire un pont : n’est-elle pas
aussi troublée par la présence d’un vieillard qui lui rappelle que le gué est
maudit depuis la mort d’une trentaine de personnes et par la vieille légende
du « Gué
des Pèlerins » ?
On plonge
aussi dans la conscience de Gilbert qui doit avouer la vérité sur la course
qu’il a menée lors du Spartathlon (qui commémore le trajet de Philippidès en
490 av. J.-C.).
On plonge
encore dans le passé d’Abderrahmane en passant à Constantine sur le pont
d’El-Kantara qui lui rappelle le suicide de son fils (dans « Les rumeurs du Rhumel »). Ou enfin dans le passé de
Bastien qui descend le cours de la Garonne en remontant le cours de sa vie et
en demandant à son fils d’en fixer les étapes sur la pellicule (dans « L’eau douce »).
L’écriture
n’est-elle pas cette nage en « eaux
troubles » ? N’est-ce
pas ce que M. Baglin lui-même raconte
quand il repense à « la
source », cette histoire qu’il avait écrite quand il était jeune, puis
qu’il avait abandonnée et qu’il reprendra « quelques
années plus tard afin d’en tirer une nouvelle » (p. 156) ?
Les « eaux troubles » comme source
de toute écriture.
Comment
vivre sans lui ?, Franz Bartelt,
Gallimard, 270 p., 18 €
Dans ces
treize nouvelles, on rit et on grince des dents. On oscille entre Marcel Aymé et Alfred Jarry. L’humour y est souvent noir et acide. La logique y
est parfois poussée jusqu’à l’absurde.
Dès la
première nouvelle qui donne le ton et son titre au recueil, on assiste à la
mort de Kevin Push, illustre rhumatologue « reconverti
dans la chanson humanitaire de variété » dont la mort entraîne
inexorablement celle de tous les fans qui le vénéraient dans le monde entier… à
l’exception d’un survivant qui n’aimait personne !
Dans une
autre, un artiste convaincu que le public a besoin de nouveauté décide de
changer de nom chaque jour. Cela devient un vrai travail d’artiste d’inventer « dix mille noms » : Fripounet
Dencreuze, Jésus Sek, Balthasard Poibleu, Armand Gondrineau… ou Marcellin
Lapierre le jour où en renouant un lacet
de chaussure, il rencontre Fagnette. C’est le coup de foudre… mais de
jour en jour, les Louis Ohnet, Rhino
Poupinet et autres Oscar Montello ont du mal à faire oublier Marcellin à
Fagnette !
Ce « travail d’artiste », celui
d’inventer des noms et des vies, n’est-ce pas justement celui de
l’écrivain ? F. Bartelt y
excelle particulièrement, il a le génie des noms. Rien que dans ce recueil, il
entre en concurrence avec l’annuaire téléphonique ou au moins la liste des
personnages balzaciens de la Comédie humaine !
Ne serait-ce
qu’avec la liste des élèves de la classe du professeur Marchou : Raviola
Beuze, Yonesse Polloque, Bavarine Ducosy, Gayette Chufrane…etc. Noms charmants pour ces jeunes filles qui ont
cependant le projet de « mise à
mort » de leur professeur grâce à une « concentration haineuse » en le regardant intensément,
en fixant son œil droit jusqu’à ce que mort s’ensuive !
Enfin que dire
de ce berger allemand qui, lui, ne réagit à aucun des noms que son maître
s’échine à lui donner et qui un jour réagit enfin devant un film télévisé en
attendant des soldats allemands crier « Heil Hitler ! ».
Désormais il s’appellera « Heil Hitler »… ce qui ne sera pas sans
conséquences fâcheuses pour son maître !
Parmi les
nombreux plaisirs que procure la lecture de ce recueil, nous retiendrons
surtout ce plaisir de la multiplication des pseudonymes et de la création
poétique qui irrigue chaque nouvelle.
(Lire aussi nouvelle de F. Bartelt dans Harfang N° 29)
L’anneau,
Albert Bensoussan, Al Manar, 116
pages, 20 €
Livre du
commencement et de la fin, ce recueil s’ouvre et se ferme sur « l’anneau » que la mère
portait au pied. Bracelet représentant un serpent, tel le mythique Ouroboros.
Mais aussi métaphore de l’auteur qui en sa vieillesse fait un retour
nostalgique sur ses souvenirs d’enfance «
car les récits à l’orientale serpentent comme les ophidiens qui finissent
toujours par se mordre la queue ou la tête » (p.98). A. Bensoussan raconte alors son enfance et
son adolescence dans une Algérie où juifs, chrétiens et musulmans mêlaient
leurs traditions, où chez le boulanger « les
Italiens amenaient là leurs pizzas, les Catalans leurs mounas et les Juifs
leurs pains tressés ».
Il fait
revivre les saveurs des « bestels à
la confiture d’orange, mekrouds de semoule, galbelouzes à la fleur
d’oranger ». Dans « Alger,
mon doux parfum » tout se mêle,
tous les sens sont en alerte. « Les
odeurs s’accordent aux couleurs : le rouge du piment, le blanc des
anis ». C’est une débauche de fleurs : roses, jasmin, glycine…
C’est une débauche d’épices : cardamome, cannelle, gingembre, carvi pour
le couscous. Plaisir des sens, plaisirs du corps. C’est le temps des messages
au hammam et des bains dans la méditerranée ; C’est le temps du premier
baiser avec Fatiha, de la « première
femme », des premières amours.
Enfin, plaisir
des mots, incrustés comme des pierres précieuses, les mots mêlés de français,
d’arabe, d’espagnol, d’hébreu, d’italien. Ceux qui résonnent en la
mémoire : ceux du père qui joue au jacquet, ceux entendus à la prière dans
la synagogue… sans oublier « le
you-you de maman ».
Chaque
nouvelle, chaque récit est comme une perle enfilée sur le bracelet que le
souvenir égrène.
(Lire nouvelles et entretien d’A. Bensoussan in Harfang N° 21, 22, 27)
La
vie devant elles, Maryline Martin,
Éditions Glyphe, 136 p., 12 €
Après Les
dames du chemin, premier recueil remarqué paru en 2004 qui évoquait la
vie des femmes pendant la guerre 14-18, M. Martin
poursuit avec ce nouveau recueil thématique féministe.
En quinze
nouvelles, elle raconte la vie de quinze femmes qui ont traversé le siècle
dernier.
Le recueil
s’ouvre sur les guinguettes des bords de Marne, sur les ateliers de peintres et
sur Bertille qui signe sa toile « Ile
d’amour ».
Entre les
violences de l’Histoire, on s’y fiance, on s’y marie (un 2 août 1914 !). On y croise les femmes
ou les amantes des poilus qui partent à la guerre (certains n’en reviendront
pas, d’autres reviendront en « gueules
cassées »). Celles qui vivent au rythme des grossesses, des naissances
ou qui choisissent, comme Françoise, l’avortement. Celles qui fuient les
violences d’un beau-père et qui partent, comme Anna, à la recherche de son vrai
père du côté de Berlin. Celles qui essaient d’oublier la guerre, de retrouver
une identité et d’effacer le numéro tatoué sur leur bras, comme Rachel, qui
revient des camps allemands. Celles encore qui, comme Leïla, refusent le
mariage forcé que la tradition lui avait réservé. Celles enfin qui, comme
Aminata, choisissent la violence pour échapper aux proxénètes, aux années de
viol et de prostitution.
Et on sourit
aussi face à l’optimisme de Loulou, la petite trisomique qui s’apprête à
rejoindre son amoureux ou à celui de Suzon qui s’apprête à danser pour fêter
son centenaire dans sa maison de retraite où l’on a accroché un vieux tableau
signé… Bertille !
Ainsi ces quinze femmes ont dansé leur vie, et tout l'art de M. Martin est d'avoir composé une ronde où l'on passe avec légèreté d'une vie à l'autre. Le temps qui passe et revient est alors ce fil ténu sur lequel s'enfilent, comme les
perles d’un collier, les vies de ces femmes d’hier et d’aujourd’hui.
Et derrière
les quinze prénoms (qui donnent le titre des nouvelles), on peut se demander si
ce n’est pas toujours la même femme, car sans paraphraser un illustre
devancier, « la quinzième revient…
et c’est encore la première ».
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