Bonne
nouvelle, l’été s’annonce… avec ses temps de découvertes et ses plages de
plaisirs. Que vous soyez dévoreur de romans, amateur de pavés ou lecteur
occasionnel pendant la période estivale, prenez le temps de vous
« recueillir », couché à l’ombre d’un grand chêne, près d’un
ruisseau, assis dans un fauteuil confortable d’un TGV ou d’un avion ou bien encore
bercé dans un hamac tendu entre deux cocotiers sur quelque plage tropicale… Peu
importe ! Et toutes affaires cessantes
lisez les quelques recueils « coups de cœur » que nous vous proposons
comme autant de recettes pour oublier le temps qu’il fait et le temps qui
passe.
Nous sommes à la lisière, Caroline Lamarche, Gallimard, 176 pages, 16 €
Ainsi
cette étudiante qui travaille sur l’œuvre de Joyce, après avoir rencontré un hérisson
qui a manqué d’être écrasé par une voiture décide de l’appeler Ulysse et avoue « je pensai à cet animal comme à
moi-même» (p.92).
Quant
au petit écureuil qu’une femme croise dans un cimetière, il l’aide par sa
légèreté à supporter le poids d’un deuil récent : c’est pourquoi elle
l’appelle secrètement Rudi, du nom de
son enfant mort prématurément.
Jusqu’où
peut-on pousser le parallélisme ? En
quoi la situation de Manju qui a été placé en refuge est-elle comparable à
celle de la cane Frou-Frou
recueillie dans un refuge pour oiseaux blessés qui à son tour peut ressembler à
un hôpital pour malades et vieillards ? Au bout d’un certain temps, l’un
et l’autre pourront prendre leur envol.
À
l’inverse, le cheval Mensonge qui « porte la forêt à l’intérieur de
lui » et qui a goûté à la liberté au cours d’une fugue, préfèrera
mourir que d’être enfermé dans un box.
Neuf
histoires folles, neuf vies sauvages à la lisière de notre monde, pour ceux qui
veulent encore sentir, écouter, regarder autour d’eux.
Avec
ce recueil, c’est donc tout naturellement que Caroline Lamarche s’inscrit sur la longue liste déjà longue des nouvellistes
qui va de Jules Renard à Pierre Gascar en passant par Colette et Louis Pergaud et qui ont placé les animaux au cœur de leurs
nouvelles.
Et
c’est tout naturellement aussi que les académiciens Goncourt ont couronné ce
recueil en lui attribuant le Prix Goncourt de la Nouvelle 2019.
La Grandeur de l’Amérique, Emmanuel Roche, Paul&Mike, 328 pages, 17 €
Après
un premier recueil remarqué, Un piano à la Nouvelle-Orléans (Paul&Mike,
Prix de la Nouvelle de la ville d’Angers en novembre 2016), Emmanuel Roche récidive avec un recueil qui
plonge à nouveau le lecteur aux États-Unis, au fin fond du Tennessee entre
Winchester et Chattanooga en novembre 2016 pendant les derniers jours de
l’élection présidentielle. Au-delà de cette unité spatiale et temporelle, sa
composition est unifiée par des personnages qui se croisent tout au long de la
vingtaine de tableaux. Offrant ainsi une analyse originale, souvent ironique,
de ce que certains appellent la « Grandeur
de l’Amérique ».
Car
cette « grandeur »
peut-elle se trouver dans cette galerie de portraits de petites gens, avec ses
losers : ce grand-père atteint par Alzheimer qui croit que son fils est
Donald Trump, ce chanteur de
country en mal de cachet qui a raté sa carrière de champion de rodéo, cette
Little Miss Tennessee sur le retour qui avoue à quarante ans avoir raté sa vie
ou encore cette veuve, la « folle de Chattanooga » qui fait ériger
une statue géante d’un Trump qui
lève un pouce victorieux… ?
Évitant
les lourdeurs des analyses politiques, sociologiques ou psychologiques, E. Roche a su donner vie à son récit, en
faisant se croiser ses personnages dans des lieux récurrents : le magasin Dollar general, le Mel’s bar ou le truck-stop fréquentés par les camionneurs. Il a su
jouer avec les codes littéraires, usant de l’enquête policière qui court d’une
nouvelle à l’autre à la recherche des auteurs d’un vol de voiture, puis d’un
accident suivi d’un délit de fuite. Il a su enfin agrémenter le tout par une
bande son (comme dans son premier recueil où le jazz new-Orléans était
omniprésent) constituée ici par les airs de country, avec Johnny Cash, Roger Miler et Elvis Presley
(dont la play-list se trouve en fin de volume)
Ce
recueil, sorte de road-movie dans le Middle Tennessee, qui nous donne des
nouvelles de l’Amérique profonde, est à lire de toute urgence pour appréhender
les réalités complexes de l’Amérique qui s’apprêtait à voter pour Donald Trump fin 2016 !
Joël Glaziou
Et pour poursuivre
sans retarder votre plaisir, voici encore quatre « coups de cœur en 100 mots et un peu plus »… que nous
développerons dans les pages du numéro 55 d’Harfang, à paraître en novembre.
La
plus jeune des frères Crimson
de Thierry Covolo (126 pages, 16
€, éditions Quadrature)
La
surprise n’est-elle pas un excellent critère pour juger une nouvelle ou un
recueil ? Si tel est le cas, ce premier recueil de T. Covolo est un modèle du genre. Le lecteur est
constamment surpris au détour d’une page, d’une phrase… car l’auteur excelle
dans l’art de retourner clichés et codes, qu’ils soient littéraires,
psychologiques ou sociologiques. Par exemple ceux sur une certaine Amérique ou
ceux sur les rapports entre hommes et femmes. Et nul besoin de tout dire, car on
comprend vite ce qui se trame derrière ellipses et non-dits comme dans la
nouvelle « La dernière fois qu’on a
vu Sam » (lire
Harfang N° 48) ou
celle où Sally sème les cadavres comme d’autres sèment « les cailloux du Petit Poucet »… (à suivre dans
Harfang N° 55)
Enterrer
les morts
d’Annick Demouzon (220 pages, 16
€, éditions Léoforio)
Après
deux recueils remarqués, À l’ombre des grands bois (Prix
Prométhée 2011) et Virages dangereux (Prix Agora 2016), A. Demouzon revient avec un recueil thématique sur la place des
morts dans nos vies. Soit 19 nouvelles qui déclinent différentes
situations, cruelles et tendres, légères et graves : que faire des
cendres d’un mari incinéré ? Quelle fut la vie de Marguerite, « la finisseuse de vieux » ?
Comment identifier le squelette de Kenjo, exécuté et exhumé d’un
charnier ? Comment faire rentrer le
grand cadavre de La Ficelle dans un
cercueil trop petit ? Comment faire le deuil d’un mari disparu en
mer ? Enfin, le lecteur trouvera les réponses et tout ce qu’il faut savoir
pour continuer à vivre au milieu des morts, des enterrements et des cimetières…(à suivre dans
Harfang N° 55)
Heptaméron
avec Chardonnay
de Gérard Oberlé (216 pages, 18 €,
Grasset)
Pour
les amateurs de clins d’œil littéraires, ce recueil offre un triple plaisir.
D’abord en référence à Marguerite de
Navarre et son Heptaméron (1559), G. Oberlé reprend à la demande d’une fidèle
lectrice le schéma d’une nouvelle pour chaque jour de la semaine. Ensuite, en
hommage à J.-B. Chassignet, poète
du XVIe siècle, il reprend le personnage truculent de son précédent recueil Bonnes
nouvelles de Chassignet (2017). Enfin, en bon disciple de Rabelais,
chaque nouvelle est l’occasion de déguster les petites recettes du Morvan
concoctées par Mireille Laroque et d’écluser quelques bons crus de
chardonnay ! Alors le recueil dans une main et dans l’autre un verre de
chardonnay, ne boudons pas notre plaisir… (à suivre dans Harfang N° 55)
Dans
la chambre
de Leïla Sebbar (128 pages, 15 €,
Bleu autour)
Leïla Sebbar
n’en finit pas de brosser le portrait des femmes et des filles qui
naissent, vivent, aiment et meurent sur
les deux rives de la Méditerranée. Après
Sept
filles (2003), L’habit vert (2006), Le
ravin de la femme sauvage (2007)… le lecteur pourrait penser qu’il ne
s’agit là que de répétitions. Ce serait oublier la capacité de L. Sebbar à multiplier les variations à
l’intérieur d’un même thème, d’une même série. Ici dans au plus profond et au
plus secret des chambres, on passe d’un siècle à l’autre, on passe de l’hôtel
au bordel, de la prison au harem, on passe de Paris à Alger, d’Oran à
Marseille, de Tipasa à Rochefort… La galerie de portraits s’enrichit et se
poursuivra encore dans les ouvrages à venir… (à suivre dans Harfang N° 55)
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