Effractions, Pierre Peju Gallimard, 304 p., 21 €
Dans ces trois nouvelles (ou petits romans ?) de cent pages placées
sous le titre générique des « effractions »,
les personnages saisis à trois âges de la vie sont surpris par un événement
qui vient les bousculer et faire irruption dans la vie d’autres personnages et
aussi par la rencontre de hasard avec une femme dont on ne sait si elle sera
providentielle ou non.
Dans la deuxième, un écrivain reconnu s’apprête à prendre l’avion pour se
rendre à un festival littéraire en Tunisie… à ses côtés, un homme qui lui
ressemble fait un malaise. Il se retrouve alors (par hasard ?) à Tunis,
avec les papiers d’un archéologue nommé Neumann dans une sombre histoire de
services secrets français et tunisiens ayant pour objectif d’éliminer une certaine
Yasmine… Jusqu’où le mènera cette « usurpation »
d’identité ?
Enfin dans la troisième intitulée « péremption »,
Victor qui à plus de soixante dix ans s’est inscrit à un club un peu spécial,
arrive à Biarritz où son « contrat »
stipule qu’il doit y exécuter une
personne en sachant qu’un jour lui-aussi sera la cible du même contrat… Mais en retrouvant Élisa, il aimerait revenir sur ce
pacte diabolique : jusqu’à quand pourra-t-il en reculer l’échéance ?
Empruntant aux codes du polar auquel il ajoute une bonne dose d’humour et
de fantastique, ce recueil est aussi une réflexion sur l’art, la littérature,
l’identité, la vieillesse et la mort. P.
Péju signe là un recueil exemplaire où les surprises successives multiplient
le plaisir des lecteurs…
Que vous ayez déjà lu -ou n
on- tous les livres d’E. Ruben et que vous pensez savoir tout -ou tout ignorer- sur l’Ukraine, dans tous les cas, ce recueil est fait pour vous.
D’abord sans se conformer aux diktats de l’actualité et des médias, c’est l’occasion d’en apprendre plus sur l’histoire, la géographie, l’économie de l’Ukraine… et surtout sur les ukrainien(ne)s, jeunes ou vieux. Au fil des pages, on découvre leurs portraits croqués en quelques mots, leurs traditions, leurs légendes, leurs croyances, leur culture, leurs habitudes de vie quotidienne. Que ce soit à travers les pérégrinations de l’auteur à vélo avec Vlad, ou bien que ce soit en train avec Kolia et Katia, jeunes mariés de retour dans leur village natal…
Ensuite parce que dans « Confluence imaginaire » vous retrouverez Vlad, le compagnon de route imaginaire de « Sur la route du Danube » (2019). Et aussi parce que le cimetière abandonné du « dernier des Khazars » vous rappellera « Halte à Yalta » (2010) et annonce « Les méditerranéennes » (2022)…
Le recueil se clôt sur le « retour à Kiev » en février 2014, quelques mois après la révolution citoyenne de Maïdan, où E. Ruben part à la recherche de son ami Yarick et se fait le « témoin de l’après, le témoin du désenchantement ».
Ainsi chaque texte est le reflet de ce qui anime l’écriture d’E. Ruben depuis ses débuts.
Ainsi une œuvre se compose sous nos yeux comme les morceaux d’un puzzle que le lecteur peut reconstituer au fur et à mesure…
Cris, pleurs, requêtes, récriminations, révoltes ne sont pas d’un individu mais d’un groupe, d’un collectif où le « nous » est omniprésent, sorte de chœur antique qui s’adresse tour à tour aux magistrats, aux voisins et voisines, aux maris, aux mamies, aux ministres… et aussi, pour n’oublier personne, au Président et à Dieu lui-même !
Ce sont les discours de ceux qui n’ont plus accès libre aux plages, le « discours d’une troupe en pyjama » composée de vieillards évadés d’un Ehpad, et aussi les discours de jeunes, d’enfants, de petits- enfants, de marginaux, de citadins, de ruraux…
Revendications sociales,
économiques, écologiques qui s’opposent aux discours des responsables politiques
d’abord parce que « les mots se
mettent à dire le contraire de ce qu’ils disent » et ensuite parce que
même si l’on vote « cela ne change
rien ».
Comme le titre l’annonce, ces
discours ne sont pas exempts de contradictions conscientes et assumées car « il
y a d’un côté l’envie de se faire un peu de mal, de l’autre l’envie de se faire
un peu de bien » (p. 11).
Rares sont les recueils qui parlent aussi bien de la réalité contemporaine, rares sont les recueils éminemment politiques sans sombrer dans les écueils partisans. C’est donc tout à l’honneur des académiciens Goncourt de lui avoir attribué le Prix de la Nouvelle 2022…
Les premières lignes du recueil
le disent clairement : « les
limites territoriales, les migrateurs les ignorent »… car les oiseaux
tout comme les personnages ignorent les frontières qu’elles soient sociales,
économiques ou morales… mais d’abord et surtout géographiques, que l’action se
passe en France, en Allemagne, en Espagne, au Portugal ou au Maroc ou que le
lieu donne le titre de chacun des sept passages : « fleuve, périf, mer,
détroit, ciel, horizon, delta ».
Continuité aussi, puisque ces
nouvelles, écrites au fil des années qui passent, sont bien reliées par un fil
rouge que l’on trouvait déjà dans la nouvelle centrale intitulée « Le détroit » publiée dans
Harfang (N° 45) en 2004 !
Sept nouvelles au fil de l’eau, sept balades tragiques où l’on croise des personnages haut en couleurs comme sait si bien les saisir G. Verdet : outre les deux banlieusards retraités, Angela une ex-allemande de l’est, un junky anglais, une ouvrière marocaine, un écrivain américain, un tueur à gages…
Merci à Rhubarbe de faire « passer » ce genre de recueil que chaque lecteur doit faire « passer » à son tour au plus grand nombre…
(Lire nouvelles et entretien de Gilles Verdet dans Harfang N° 45 & 49)
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