dimanche 10 juin 2018

MICROFICTIONS 2018 de R. JAUFFRET : nouvelles ou/et roman ?


En juillet 2015, nous nous interrogions ici même sur la différence entre roman et recueil de nouvelles et sur la confiance que le lecteur peut accorder aux appellations et délimitations de genres. Depuis, les exemples sont nombreux qui démontrent que les frontières entre genres sont plus poreuses qu’il n’y parait.

En 2016, Tristan Garcia publie « 7 » aux éditions Gallimard et décroche le Prix France Inter. Cet ouvrage est sous-titré « romans » et la quatrième de couverture annonce qu’il s’agit de « sept romans miniatures » mais l’on pourrait dire aussi qu’il s’agit de sept longues nouvelles, de sept récits indépendants dont le lecteur découvre au fil des 570 pages qu’ils sont étroitement liés.

 
En d’autres temps, des écrivains ont essayé de conceptualiser cette double appartenance et ont proposé des appellations intéressantes même si elles sont aujourd’hui oubliées. Marcel Arland parlait de « recueils ensembles » à propos de Il faut de tout pour faire un monde (Gallimard, 1947) ou L’eau et le feu (Gallimard, 1956). Plus récemment Jean-Noël Blanc parle de « romans-par-nouvelles » à propos de Esperluette et compagnie (Seghers, 1991) ou Hôtel intérieur nuit (HB éditions, 1995).

 
 
 

Un autre exemple intéressant est celui de Régis Jauffret qui vient de publier Microfictions 2018 (Gallimard) après Microfictions (Gallimard, 2007). Dans les deux cas, il s’agit de 500 « microfictions » de deux feuillets maximum. Dans les deux cas, de même que pour Bravo (Gallimard, 2015) les ouvrages sont sous titrés « roman », selon la volonté commune de l’éditeur et de l’auteur. Cependant, premier paradoxe, les membres de l’Académie Goncourt n’ont pas tenu compte de cette donnée puisqu’ils viennent de lui attribuer le Prix Goncourt de la Nouvelle 2018. Second paradoxe quand l’auteur lui-même annonce que l’ouvrage rassemble des histoires d’hommes et de femmes qui composent le « roman de la foule » et déclare aussi dans Lire (en février 2018) que c’est « un dictionnaire d’histoires qui peut être lu d’une traite… ou on peut piocher dedans comme on l’entend. À l’endroit, à l’envers, dans n’importe quel sens ».

 


 On peut alors s’interroger pour savoir quels critères permettent d’affirmer qu’une nouvelle (ou une microfiction) peut devenir roman ou morceau de roman.

D’un côté, pour l’auteur, il y a bien un même travail d’organisation et de composition en recherchant tous les moyens d’assembler des nouvelles en recueil ou des chapitres en roman. De ce point de vue, on ne voit pas en quoi le recueil serait inférieur au roman et le « complexe » du nouvelliste par rapport au romancier n’a pas lieu d’être.

Du côté de l’éditeur, on peut soupçonner depuis des lustres qu’il privilégie par stratégie commerciale l’appellation de « roman » plus porteuse en termes de ventes et de chances d’obtenir un prix (les prix de la nouvelle se comptant sur les doigts de la main !).

Mais c’est peut-être du côté du lecteur que les critères sont les plus pertinents. Car ce dernier lit de manière linéaire de la première à la dernière page ce qui s’impose pour un roman ou bien il lit de manière aléatoire « dans n’importe quel sens »  selon la formule de R. Jauffret ce qui n’est pas possible pour un roman qui implique une chronologie avec un début et une fin.

Il n’en reste pas moins que certains ouvrages se moquent des critères, des frontières, des appellations et des délimitations. D’ailleurs n’est-ce pas ce qu’on demande avant tout à un auteur, un créateur sinon de ne pas répéter les formes, les moules, les genres préexistants mais plutôt de les subvertir et de créer de nouvelles formes, de nouveaux modèles, de nouveaux concepts ! La nouvelle portant bien son nom quand il s’agit dans une sorte de laboratoire littéraire de forger de nouvelles formes.

Alors selon ce critère, on peut établir

-           Qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles quand chaque nouvelle peut être lue de manière isolée et que l’ensemble peut être lu de manière aléatoire.

-           Qu’il s’agit d’un roman quand la lecture ne peut être que linéaire de la première à la dernière page.

-           Que certains ouvrages « transgéniques » peuvent comporter certaines caractéristiques du roman et du recueil… que l’on peut lire à la fois -successivement sinon simultanément- comme un roman et comme un recueil de nouvelles.

Le paradoxe soulevé par les Microfictions de Régis Jauffret n’est donc qu’apparent. Et c’est sans doute là toute l’originalité de son propos et de son projet. Et c’est sûrement là aussi tout le plaisir que le lecteur peut trouver dans sa lecture.

Joël GLAZIOU

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire