En juillet 2015, nous
nous interrogions ici même sur la différence entre roman et recueil de
nouvelles et sur la confiance que le lecteur peut accorder aux appellations et
délimitations de genres. Depuis, les exemples sont nombreux qui démontrent que
les frontières entre genres sont plus poreuses qu’il n’y parait.
En 2016, Tristan Garcia publie « 7 » aux éditions Gallimard et
décroche le Prix France Inter. Cet ouvrage est sous-titré « romans » et la quatrième de couverture annonce qu’il
s’agit de « sept romans
miniatures » mais l’on pourrait dire aussi qu’il s’agit de sept
longues nouvelles, de sept récits indépendants dont le lecteur découvre au fil
des 570 pages qu’ils sont étroitement liés.
En d’autres temps, des écrivains ont
essayé de conceptualiser cette double appartenance et ont proposé des
appellations intéressantes même si elles sont aujourd’hui oubliées. Marcel Arland parlait de « recueils ensembles » à propos de Il faut de tout pour faire un monde
(Gallimard, 1947) ou L’eau et le feu (Gallimard, 1956).
Plus récemment Jean-Noël Blanc parle
de « romans-par-nouvelles »
à propos de Esperluette et compagnie (Seghers, 1991) ou Hôtel
intérieur nuit (HB éditions, 1995).
Un autre exemple intéressant est celui
de Régis Jauffret qui vient de
publier Microfictions 2018 (Gallimard) après Microfictions (Gallimard,
2007). Dans les deux cas, il s’agit de 500 « microfictions »
de deux feuillets maximum. Dans les deux cas, de même que pour Bravo
(Gallimard, 2015) les ouvrages sont sous titrés « roman », selon la volonté commune de l’éditeur et de
l’auteur. Cependant, premier paradoxe, les membres de l’Académie Goncourt n’ont
pas tenu compte de cette donnée puisqu’ils viennent de lui attribuer le Prix
Goncourt de la Nouvelle 2018. Second paradoxe quand l’auteur lui-même annonce que
l’ouvrage rassemble des histoires d’hommes et de femmes qui composent le « roman de la foule » et déclare
aussi dans Lire (en février 2018) que
c’est « un dictionnaire d’histoires
qui peut être lu d’une traite… ou on peut piocher dedans comme on l’entend. À
l’endroit, à l’envers, dans n’importe quel sens ».
On
peut alors s’interroger pour savoir quels critères permettent d’affirmer qu’une
nouvelle (ou une microfiction) peut devenir roman ou morceau de roman.
D’un côté, pour l’auteur, il y a bien un
même travail d’organisation et de composition en recherchant tous les moyens
d’assembler des nouvelles en recueil ou des chapitres en roman. De ce point de
vue, on ne voit pas en quoi le recueil serait inférieur au roman et le « complexe » du nouvelliste
par rapport au romancier n’a pas lieu d’être.
Du côté de l’éditeur, on peut soupçonner
depuis des lustres qu’il privilégie par stratégie commerciale l’appellation de « roman » plus porteuse en
termes de ventes et de chances d’obtenir un prix (les prix de la nouvelle se
comptant sur les doigts de la main !).
Mais c’est peut-être du côté du lecteur
que les critères sont les plus pertinents. Car ce dernier lit de manière
linéaire de la première à la dernière page ce qui s’impose pour un roman ou
bien il lit de manière aléatoire « dans
n’importe quel sens » selon la formule de R. Jauffret ce qui n’est pas possible pour
un roman qui implique une chronologie avec un début et une fin.
Il n’en reste pas moins que certains
ouvrages se moquent des critères, des frontières, des appellations et des
délimitations. D’ailleurs n’est-ce pas ce qu’on demande avant tout à un auteur,
un créateur sinon de ne pas répéter les formes, les moules, les genres
préexistants mais plutôt de les subvertir et de créer de nouvelles formes, de
nouveaux modèles, de nouveaux concepts ! La nouvelle portant bien son nom
quand il s’agit dans une sorte de laboratoire littéraire de forger de nouvelles formes.
Alors selon ce critère, on peut établir
-
Qu’il
s’agit d’un recueil de nouvelles quand chaque nouvelle peut être lue de manière
isolée et que l’ensemble peut être lu de manière aléatoire.
-
Qu’il
s’agit d’un roman quand la lecture ne peut être que linéaire de la première à
la dernière page.
-
Que
certains ouvrages « transgéniques »
peuvent comporter certaines caractéristiques du roman et du recueil… que
l’on peut lire à la fois -successivement sinon simultanément- comme un roman et
comme un recueil de nouvelles.
Le paradoxe soulevé par les Microfictions
de Régis Jauffret n’est donc
qu’apparent. Et c’est sans doute là toute l’originalité de son propos et de son
projet. Et c’est sûrement là aussi tout le plaisir que le lecteur peut trouver
dans sa lecture.
Joël GLAZIOU
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