En attendant la fin du confinement et en attendant la
sortie du numéro 56 de la revue HARFANG (prévue fin mai) en voici quelques
extraits, chroniques de nos coups de cœur en liaison avec l’actualité
Dès
la première nouvelle, le lecteur pénètre avec un patient dans l’univers des
urgences. Réduit au silence par la
douleur, il n’est plus qu’un corps, qu’un objet entre les mains des
soignants… « on le pique, on le
sonde, on le remplit, goutte à goutte… ». Ce « on » n’est autre que la foule des soignants, devenus
anonymes, réduits à la « fonction,
l’acronyme, le sarrau fatigué », tributaires des statistiques, de la
rentabilité, des restrictions… Pas un mot du patient. Pas un mot au patient. « On te sauve la vie, de quoi te
plains-tu ? ». Il ne retrouve la parole qu’en sortant, avec
l’urgence de dire que paradoxalement l’hôpital et les soignants sont au moins
aussi malades que les malades eux-mêmes !
Soignants
qui se battent pour rester vivants « au
chevet des vivants » et pour réintroduire un peu d’humanité dans un
univers de technologie médicalisée comme cette infirmière de service de
Réanimation Néonatale, cette « passeuse »
qui guide Sophia, une jeune maman vers sa petite Rose prématurée.
Pour
F. Guérin, il y avait urgence à
raconter le quotidien des soignés et des soignants, dans les maternités, dans
les cliniques, dans les hôpitaux psychiatriques, dans les maisons de retraite…
Pour
nous, lecteurs, il y a urgence en ces temps de crise à lire ces nouvelles qui
nous parlent de cette réalité que nous ne voulons pas toujours voir en face.
Joël Glaziou
Chanson bretonne, J. M. G. Le Clezio, Gallimard, 160 p., 16,50 €
Depuis
longtemps J.M.G. Le Clézio s’est
affranchi des étiquettes, des appellations de genre ou autres « singulières antiquités qui ne
trompent plus personne » comme il l’écrivait déjà en 1965 en
introduction à son premier recueil La Fièvre. Et il précisait en 1967
dans L’extase
matérielle : « Les
formes que prend l’écriture, les genres qu’elle adopte ne sont pas tellement
intéressants. Une seule chose compte pour moi ; c’est l’acte d’écrire. Les
structures des genres sont faibles ». Cette fois encore, on peut
s’interroger sur les informations figurant sur la couverture : conte,
chanson ? Mais aussi pourquoi pas
récit, nouvelle, essai… ? Dans Chanson bretonne, les dix-sept
textes de souvenirs de vacances passées en Bretagne dans les années 1950 sont sous-titrés
« contes » dans le sens où
il s’agit de rendre compte de ce que
la mémoire raconte en sachant très
bien ce qu’il peut y avoir de lacunaire et d’imaginaire dans une telle
entreprise.
Mais là n’est pas l’essentiel. Le Clézio poursuit avec ces textes
courts sa recherche familiale et autobiographique, commencée à travers
plusieurs romans. Sans nostalgie, à partir de son expérience personnelle, il
nous rappelle entre autres choses, la transition très brutale qui s’est faite dans
l’après-guerre entre le monde rural et le monde moderne, la perte de la langue
bretonne dans la vie quotidienne et les mutations sociales et culturelles.
Remontant plus loin encore dans « L’enfant et la guerre », Le Clézio essaie de rendre compte de ses sensations d’enfant pendant
la seconde guerre mondiale alors qu’il est réfugié avec sa mère, son frère et
ses grands parents dans la vallée de la Vésubie, période où il connaîtra la
faim, la peur et une certaine forme d’exil. C’est ce vécu qui lui permet de
comprendre aujourd’hui la situation des enfants dans les guerres, la situation
des migrants…
Paradoxalement,
ce retour dans le passé et dans les souvenirs d’enfance est aussi une meilleure
compréhension de l’actualité. Et l’expérience singulière, particulière, rejoint
comme souvent chez Le Clézio le
général, l’universel.
Joël Glaziou
En
racontant le quotidien d’Hélène Bourguignon, deux fois veuve, qui anime un
atelier pour les étudiants de Sciences-Po, P. Roze
nous donne une leçon de lecture et une leçon de vie en s’appuyant sur quatre
nouvelles qui lui semblent exemplaires. Nouvelles de R. Brautigan, D. Buzzatti, R. Musil et Y. Reza dont l’analyse
détaillée (autant pratique, psychologique que littéraire) alimente la vie
d’Hèlène et de ses étudiant(e)s. Chaque cours se nourrissant des souvenirs, des
deuils, des joies d’Hélène. La vie alimentant la lecture des textes et les textes
alimentant la compréhension du monde, de l’autre, de soi. Car « la littérature ne parle pas d’un
autre monde que le nôtre » (p. 19).
Il
en est ainsi des amours estudiantines de Marion et de Quentin. Et aussi
d’Hélène qui retrouve la Bourgogne de son enfance tout en redécouvrant l’amour
après sa rencontre avec Jean, qui à son tour
lui offre les paysages ensoleillés de la Corse.
Irrigué
par de nombreuses lectures (il faudrait aussi citer Épictète, Marc-AurÈle,
Chamfort, Perros… et
même quelques chansons), ce roman fait l’éloge de la littérature comme
expérience de la pensée où le texte éclaire l’expérience personnelle et où le
texte à son tour est éclairé par le vécu.
En
imbriquant étroitement la vie et la littérature, P. Roze signe là un superbe « roman
médecine » qui fait du bien.
À
prescrire sans modération, en ces temps de grisaille générale.
Joël Glaziou
Ah !
ce « maudit appareil qui a ses
vertus… c’est un peu l’instrument des dieux » depuis qu’il s’est installé dans nos vies, qu’il
occupe de plus en plus de place dans notre quotidien et qu’il nous tient
parfois lieu de destin.
Pourtant,
il ne fait que prolonger, que révéler avec plus de force et de rapidité nos
sentiments, nos émotions. Reflet ou
miroir, ils nous les renvoient bruts ou déformés, ils les accentuent parfois,
générant des situations comiques ou tragiques. Permettant ainsi à l’épouse de
découvrir la « double vie » de
son mari ; permettant aux passagers du métro de partager la conversation
de « l’indiscrète ». Ou au
contraire brouillant les relations quand un « quiproquo »
s’installe entre un certain Arnaud et une certaine Alice, ou quand une fille impose
à sa mère « l’installation du
téléphone… animal étrange posé sur le
meuble » qui devient « l’image
de leur impossible communication ».
Il
ne fait que prolonger ces voix que l’on associe à un visage, à un nom, même lorsqu’il
y a erreur, doute ou ambigüité comme dans la première nouvelle « Qui est à l’appareil ? »
où une femme entre deux âges reçoit un appel lointain, où elle reconnait « la voix brouillée » d’un
ancien amant qui se meurt sur son lit d’hôpital. Il ne fait que prolonger avec
nostalgie ces voix qui appartiennent au passé dans « Comme sa voix a changé », et aussi celle stockée dans
la mémoire du « Vieux
répondeur » et celle de la « Dernière
conversation ».
Chacun
pourra se reconnaître dans telle ou telle situation et ne pourra que constater qu’il n’y a rien de plus
étrange que ce téléphone, « de plus
comique, de plus tragique, de plus banal et de plus surprenant ».
Un
excellent recueil thématique, avec la délicatesse habituelle de l’auteur qui pourrait
bien lui valoir un nouveau prix, tout à fait mérité.
Joël Glaziou
Les
dimanches d’Angèle,
Linda Vanden Bemden, Quadrature,
86 pages, 10 €
Forte
de sa longue expérience (cinq années de visite à sa grand-mère) et de son
sens de l’observation pour saisir au vol un mot, une phrase, une attitude, une
situation, elle a réussi à restituer l’essentiel en quelques lignes, comme
autant de coups de crayon pour une caricature. L’humour n’étant jamais loin
sous la tendresse ou l’acuité du regard, selon les cas.
Car
en ces lieux, le quotidien, c’est la mémoire qui flanche, le dentier perdu, le
déodorant à la place du dentifrice…
Naguère,
certains en auraient tiré quelques saynètes à monter sur les planches, d’autres
auraient peint quelques miniatures à accrocher aux cimaises. Aujourd’hui,
certains exposent leurs clichés « instantanés » dans une galerie et
les plus nombreux postent chaque jour quelques mini-vidéos sur les réseaux
sociaux. Ce faisant, L. Vanden Bemden
fait la chronique des jours qui passent avec beaucoup de tendresse et
d’humanité...
Lire
la suite et autres chroniques dans le « nouvellaire » d’HARFANG N° 56
à paraître fin mai 2020.
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