Les Orages, Sylvain Prudhomme, L’Arbalète Gallimard, 180 p.,
18 €
Connu comme romancier (notamment avec Sur les routes, Prix Fémina 2019), S. Prudhomme s’aventure ici sur une distance plus courte avec un recueil de treize « histoires » qui se distinguent par sa tonalité et par une conception traditionnelle de la nouvelle. Car si elles commencent souvent par des situations dramatiques, elles ne se terminent pas pour autant par une chute spectaculaire et fatale.
Ainsi dans « Souvenir de la lumière », Ehlmann, jeune père qui a veillé quinze jours dans la chambre d’hôpital 817 son enfant de cinq mois qui a frôlé la mort, constate à sa guérison que ce moment « a changé sa vie » et que « sa vie entière se passe désormais dans cette clarté » (p. 30).
Le
titre du recueil donne donc un indice car si les orages grondent, chacun sait qu’après après la pluie, c’est
l’éclaircie, et que « l’orage a lavé
le ciel » comme dans la nouvelle intitulée « L’île » (p.110).
Ainsi
les personnages sont saisis dans un moment où un événement tragique vient faire
irruption dans leur vie. Telle Awa, jeune sénégalaise sur le point d’ouvrir son
salon « Awa beauté » qui apprenant
que son jeune frère Boubacar est atteint d’un cancer, décide alors de consacrer
tout son argent pour qu’il soit soigné.
Dans
« La nuit », la femme qui a
failli se vider de son sang lors d’une fausse-couche avoue : « j’ai peur et je suis heureuse »
et elle ne retrouve sa sérénité qu’en plongeant dans la mer : « je nage dans l’eau qui m’a ramenée à
la vie… unie à la mer par une nuit sans lune ».
Dans
« La baignoire », une femme
prend un bain régénérateur avant de partir vers une autre vie. L’eau vient
effacer les affres du passé et permet de se ressourcer pour affronter l’avenir.
Dans
« L’appartement », un homme
ferme la porte sur le silence des pièces vides qu’il a occupées plus de vingt
ans avec sa compagne et leurs enfants, et sort retrouver la rue et « son fracas ».
Alors
que tous ces personnages sont confrontés à la maladie, la vieillesse ou la
mort, comme dans « Les
cendres », la nature reste immuable et semble leur offrir refuge ou
réconfort. Ainsi c’est au moment où un homme enterre son grand-père et pense à
sa propre fin, qu’il voit qu’« au
loin la mer brille » et que « l’immobilité des choses est la même ».
Au-delà
des petits drames intimes qui ponctuent le quotidien, chacun retrouve donc
sereinement la tendre indifférence d’un
monde qui continue dans le calme, le
silence, l’eau, la lumière.
Il y a beaucoup de simplicité et de
délicatesse dans ces nouvelles qui amènent le lecteur à ressentir les
interrogations et les vibrations intérieures des personnages, mais qui au final
se terminent sur une note apaisée.
Joël Glaziou
Face à la mer, Pierre Montbrand, Quadrature, 100 pages 15 €
Certains nouvellistes comme certains peintres ou musiciens composent leur œuvre comme une série de variations sur quelques motifs récurrents. C’est le cas de ce recueil de six nouvelles où des couples composés d’hommes et de femmes d’âges différents, reviennent des dizaines d’années plus tard sur un épisode marquant de leur vie.
Ainsi
dans la nouvelle « Face à la
mer » qui donne son titre au recueil, un commandant de ferry cherche à
retrouver la jeune baigneuse nue qu’il aperçoit à chacun de ses passages entre
les îles suédoises et qui lui rappelle tant la photo d’Andreas Feininger « Nude against sea » vue dans
un musée des années auparavant.
Une
autre photo (celle tirée du film Jeux
d’été d’Ingmar Bergman où l’on voit une jeune femme courir nue dans une
crique de l’île d’Ornö) est à l’origine de la recherche d’un universitaire
français qui arrivé sur place trouvera… une certaine Katherine qui acceptera de
poser pour lui dans la même crique. Un autre universitaire, américain, cette
fois, part sur les traces de William Faulkner, dans « on dirait le sud »en compagnie d’une jeune serveuse de
snack…
C’est
aussi quand il revoit une « photo de
classe » et quelques photos plus intimes, que le passé assaille Pierre,
lors de la sépulture de Jacqueline, celle qui fut sa professeur d’anglais au
lycée. Il se souvient alors de la relation torride qu’il a entretenue avec elle
il y a plus de quarante ans. Un autre Pierre
(ou le même) lors de retrouvailles familiales, se souvient de ses dix sept ans
et du bain de minuit avec sa tante Karen dans le lac de Genève « au clair de lune ».
Il
en est de même pour Marianne à la mort de son père Henri, peintre et sculpteur,
quand elle vient faire valoir ses « droits
de succession » sur la maison, les œuvres et l’atelier… et qu’elle
découvre la statue d’une « jeune
femme, en bronze, la pointe des seins dressée… » qui n’est autre que
son double puisqu’adolescente, elle avait accepté de poser nue pour son père.
Roman,
film, photos, sculpture comme autant de traces du passé qui sont ici des
« pré-textes » invitant à partir à la recherche de l’éternel féminin
et à revivre au présent une « scène
primitive ».
Joël Glaziou
Les Funérailles de Roberto Bolaño, Emmanuelle Favier, La Guépine, 56 pages, 14 €
Le romancier et nouvelliste chilien Roberto Bolaño a été incinéré le 16 juillet 2003 à Barcelone et ses cendres dispersées dans la Méditerranée. Pourtant, il reste ça et là des cendres toujours vives chez ses fidèles lecteurs… dont E. Favier qui lui rend ici un hommage appuyé en reconnaissant l’importance que la lecture de son œuvre a eu sur elle et sur son écriture.
Ce
besoin d’écrire sur R. Bolaño n’est
d’ailleurs pas nouveau puisque l’un de ses premiers textes publiés était « une nouvelle en forme de pastiche ou
d’hommage » intitulée « Prise
de vue » (à
lire dans Harfang N° 43, 2003),
qui faisait référence à une photo où Bolaño
figurait au milieu de ses compagnons du groupe « infraréaliste » dans les années 70 et pastichait la
nouvelle « Labyrinthe »
qu’il avait écrite autour d’une photo du groupe « Tel Quel ».
En
partant sur ses traces, elle fait revivre Bolaño
à travers ses textes et les lieux qu’il a fréquentés et elle constate que « les écrivains sont parfois plus
réels, ils modifient le cours de notre existence bien plus radicalement que
l’immense majorité de ceux que l’on rencontre dans ce que l’on appelle la vraie
vie. »
Joël Glaziou
(Lire entretien et nouvelles d’E. Favier dans Harfang N° 43 et 51)
Ajoutons quelques mots sur les éditions La Guépine (www.laguepine.fr)
et signalons au passage l'excellent travail de cette petite maison d'édition qui fabrique à l'ancienne des petits livres (la lecteur a le plaisir du massicotage) qu'il s'agisse d'inédits comme ceux de M.-H. Lafon (La demie de six heures) ou d'Emmanuelle Favier ou de textes anciens, difficiles à trouver, "impertinents et piquants" dont l'écriture mêle pensée et poésie (comme des textes de Florian ou de Ramuz)
Chroniques à suivre dans Harfang N° 58 à paraître en mai 2021
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