Avers. Des nouvelles des indésirables, J. M. G. LE CLEZIO, Gallimard, 224 pages, 19,50 €
Cette
permanence des mêmes thématiques est également attestée par le fait que
plusieurs de ces nouvelles sont déjà anciennes : ainsi « L’amour en France » (publiée
en 1993 dans le Courrier de l’UNESCO sous le titre « Le souvenir de toi, Oriya « ), « Fantômes
dans la rue » (publiée en 2000 dans la revue Elle), « La pichancha » (publiée en 2003
dans un ouvrage collectif pour Amnesty international sous le titre « Rats des rues »).
Dans « Fantômes dans la ville »,
les personnages sont sous le regard d’une caméra de surveillance qui voit tout,
qui joue le rôle d’un narrateur omniscient, qui enregistre les faits et gestes
de chacun, qui en déduit les pensées, les sentiments et même les sensations…
amenant ainsi le lecteur dans un état d’empathie. En se contentant de décrire
et d’être un simple témoin, Le Clezio s’en tient au constat, au « procès-verbal ».
Chez lui, nul jugement,
nulle morale. Les faits décrits deviennent symboles, les nouvelles deviennent
paraboles, invitant le lecteur à réagir, à se révolter devant tant d’injustices
faites aux enfants, aux femmes…
Souvent
rejetés, loin de leur origine géographique, sociale ou familiale, les
personnages de Le Clézio depuis
ses premiers ouvrages, notamment Le livres des fuites, sont donc
souvent condamnés à fuir, à marcher, à s’exiler, à émigrer…
Ainsi
Maureez Samson, dans « Avers »,
qui donne son titre au recueil et qui renvoie à la pièce d’or qu’elle a reçue de
son père. Excédée devant sa marâtre violente et son beau-père libidineux, elle quitte
sa maison natale. La perte de ses racines, de sa pièce d’or et de son identité
la jettent alors sur les chemins et la mer. Maureez est la petite sœur sauvage
et fugueuse de Béa B. dans La guerre, de Pouce et Poussy dans « La grande vie », d’Esther
dans Étoile
errante… Après marches et errances, Maureez ne trouvera sa voie/voix que
dans les chants religieux, les negro spirituals, retrouvant ainsi son vrai
visage, son identité perdue, son avers.
Car chacun a son avers et son revers.
Fuir sa
famille certes, mais aussi fuir la guerre pour Marwan dans « Hanné ». Fuir la violence des narcotrafiquants dans la
forêt entre Colombie et Panama pour Yoni dans « Etrebbema ». Fuir les tortures et les viols infligés
par les militaires pour Chuche, la petite péruvienne et le petit indien Juanico
dans « Chemin lumineux ».
Fuir pour un ailleurs meilleur en rampant dans les égouts entre Mexique et
U.S.A. pour El Gato, Chepo, Yoni dans « La Pichancha », tous ces
enfants étant devenus des « rats de
rue » qui jouent au chat et à
la souris avec les policiers et qui sont les frères de Mondo.
Fuir,
émigrer, s’exiler pour tous ceux qui découvrent alors la solitude, la nostalgie
comme pour Abdelhak, travailleur devenu « invisible » dont les
français ne retiennent même pas le nom et qui pense à son village, Tata, à sa
femme Oriya, à ses enfants dans « L’amour
en France », frère d’exil de Tayar dans « L’échappé » et de Miloz dans « Le passeur ». Étrangers, ils sont les victimes de l’aversion que les autres leur portent.
Fuir « pour ne jamais revenir » :
le retour vers le passé est illusoire… même si la nostalgie n’est jamais loin.
Fuite qui semble ne jamais finir tant les ailleurs sont décevants, tant les
pays d’accueil peu accueillants. Pas plus que la nature qui ne propose pas de
véritables refuges ni dans les déserts du Moyen-Orient ni dans les forêts
d’Amazonie.
Exilés,
émigrés, devenus invisibles, ces « indésirables»
sont réduits au silence, car la plupart du temps ils ne connaissant ni la
langue ni les codes. Ils n’ont pas les mots
pour dire. Parfois même, comme dans la
forêt pour Yoni « les mots ne
servent pas ». Ils sont alors condamnés à vivre dans l’Etrebbema
(l’inframonde en langue emberá) et aussi à communiquer dans une infralangue, (celle que Maureez invente
pour échanger avec son amie Bella), dans une langue originelle, souvent la
langue maternelle, notamment avec les berceuses comme celles que Chuche murmure
à l’oreille de Juanico, ou les berceuses mauritiennes chantées par la
grand-mère de Le Clézio près de « La rivière Taniers »
pendant les bombardements.
La
chanson devenant alors lieu de refuge, de communication immédiate, seule
échappatoire pour Maureez, qui commence par fredonner les chants religieux,
avant d’apprendre les paroles et le répertoire des negros spirituals.
Les
mots ont donc aussi les avers et
leurs revers. Et ce n’est pas le moindre paradoxe, comme Le Clézio l’a rappelé dans son discours
du Nobel en 2008, pour un écrivain que de donner la parole à ceux qui n’ont
plus de langue, ni de code, ni d’identité mais de le faire en utilisant des
mots qu’ils ne liront pas. L’écrivain, plus qu’un simple témoin, devient
porte-parole pour avertir le reste du
monde, sorte de lanceur d’alerte pour dénoncer les situations dramatiques, les famines,
les injustices, les violences, les guerres….
En donnant la parole aux petits, aux gens
de peu, Le Clezio rend
visibles tous les invisibles, tous les
indésirables.
Tout Le Clezio est là dans ces huit nouvelles qui sont
comme le microcosme, le concentré, le meilleur de l’œuvre entière.
Joël Glaziou
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