Pour ne conserver que les meilleures nouvelles de l’année 2016, il
suffit de suivre le choix fait par les différents jurys des Prix de la Nouvelle
qui ont sélectionné les meilleurs recueils parus dans l’année…
acheter, à lire et à offrir sans modération !
Marie-Hélène Lafon
Histoires Buchet-Chastel
Ce volume regroupe l’ensemble des nouvelles
publiées à ce jour par M-H. Lafon.
Soit vingt nouvelles qui plongent le lecteur au cœur de la vie rurale, dans les villages du Cantal.
Avec Liturgie,
son premier recueil de 5 nouvelles paru en 2002, elle brosse le portrait des
gens du pays et peint les scènes de la vie quotidienne : la toilette
du père dont il faut laver le dos, « l’hygiène » des jeunes filles au
pensionnat, le suicide de « Roland »… Le récit et les descriptions, sans dialogues ou presque, permettent de
faire ressentir de l’intérieur les sentiments, les sensations, la solitude de
chaque personnage et de placer le lecteur au cœur des choses et des êtres.
En 2006, ce fut Organes, recueil
de 12 nouvelles dont le programme est clairement annoncé dans la citation de M.
Giacomelli placée en exergue « Je
veux rentrer dans les choses » et qui semble
donner au lecteur une véritable leçon
de choses.
Mais de quelles choses
s’agit-il ? Celles de la nature que deux adolescents découvrent à travers
l’observation des taupes avant de les exterminer un jour de vacances ou
à travers la brasse coulée des grenouilles aux pattes coupées qui
régaleront les adultes ? Cruelle « leçon de choses » pour
initier les jeunes au monde des hommes !
S’agit-il des choses
du corps ? Sans doute, lorsque les filles découvrent leurs seins naissants
qui nécessitent un soutien-gorge le jour de la communion ou lorsque la
pauvre Berthe, à son entrée au pensionnat, « malmenée par les gens, les
choses, la nature », se voit contrainte par un corset rose,
tiraillée entre ses organes intérieurs et ces autres organes extérieurs que
sont tous les vêtements, objets et autres prothèses… Quant aux garçons qui
découvrent le corps des femmes, l’un fantasme sur « les jambes, le
ventre, les seins, le cul… » de la nouvelle boulangère arrivée au
village, l’autre sur le « corps blanc » d’Ava, la
monitrice qui s’expose en bikini, un autre sur la « poitrine dure et
moelleuse » de la speakerine qui s’étale sur l’écran : voilà « les
choses qu’il sent » ! Au-delà, ce sont les choses de
l’amour que chacun expérimente et dont on parle beaucoup, sans forcément passer
à l’acte : ainsi pour Denis et la boulangère, « on crut la chose
accomplie. Le fut-elle ? » ; ainsi les filles du pensionnat « essaient
des choses entre elles » et gardent sur elles l’odeur des garçons, « ce
fumet de bal fermenté » sous l’œil inquisiteur de la sœur Paule-Marie.
Mais il peut aussi s’agir des choses de la vie qu’Isabelle et Paul appréhendent en un rituel curieux :
ils enfilent en cachette la robe de mariée de leur mère et l’écoutent parler au
téléphone à travers la cloison. Quand la voix baisse, ils écoutent les
révélations « sur
le ventre des mères », « sur les maladies des femmes »,
« sur leurs organes fragiles »...
Leçons de choses donc qui mettent en scène des
adolescents au moment où à travers les corps qui changent ils s’initient à une
autre vie, au moment aussi où le monde rural traditionnel change sous les coups
de boutoir de la modernité des années 60-70 qui apporte les modes nouvelles et
la télévision.
Ce faisant, au delà des leçons de choses,
l’auteur livre une belle leçon d’écriture dans un style vif qui isole le mot
juste au scalpel, qui colle l’étiquette sur le schéma et qui écrit en marge la
légende des corps, comme s’ils étaient ouverts sous nos yeux !
L’autre intérêt de ce volume est aussi de publier « la
maison Santoire » (nouvelle qui fut la matrice du roman Les
derniers indiens) et un dernier texte intitulé « Histoires »
qui nous éclaire sur l’origine de
l’écriture, en remontant aux lectures d’enfance et sur les rapports étroits
existant entre nouvelle et roman. Car pour M. -H. Lafon, l’écriture est une matière d’un seul bloc, un terrain
qu’elle laboure en tous sens. « Nouvelle ou roman, roman ou nouvelle, parfois
on ne sait pas, je ne sais pas ce que je vais faire, où ça va aller ; je
suis une piste qui s’enfonce dans le maquis textuel, j’y vais, j’avance, et
ensuite ça devient quelque chose que je n’attendais pas, ça devient autre
chose, ça se fait en se faisant, ça se fait autrement, ça tourne et ça
bifurque, ça se retourne »
Les nouvelles ne sont donc en rien des
hors-d’œuvre, elles participent pleinement de l’œuvre en train de se faire.
Joël
Glaziou
(Lire entretiens et
nouvelles de M.-H. Lafon dans les numéros 29, 36 et 42 d’Harfang)
Prix
de la Nouvelle de l’Académie Française
Gérard Oberlé Bonnes
nouvelles de Chassignet Grasset
Prix
Boccace
François Salmon Rien n’est rouge Luce
Wilquin
François Salmon Rien n’est rouge
Luce
Wilquin
On commence dans un décor de western avec l’histoire
de Billy Joe Adamson qui connait les « profondeurs
de la soif » et qui en plein Désert de la Mort a « failli se noyer dans un verre d’eau » !
On poursuit avec la lettre d’amour de Stéphane, tombé
amoureux de la voix de Sophie Lambert, qui ne s’appelle ni Sophie ni Lambert…
mais peut-être Aïcha et qui de Casablanca démarche le client pour une agence de
voyages !
On s’attarde un peu avec un véritable conte de
Noël pour comprendre « comment Bernard Verdonck, à
presque cinquante ans, changea soudain de position » ou plutôt comment Carole, grâce à un petit
détail et un cadeau de Noël original, réussit à changer la vie de son
mari !
On continue avec une nouvelle historique « Par la peau des siècles » où
l’on apprend ce qui est arrivé à Gossuin
le parcheminier en février 886 entre l’île de la Cité et Saint Germain des
Prés.
On joue avec les contraintes (clin d’œil au lipogramme
cher à Georges Perec) puisqu’Hélène au fur et à mesure qu’elle se détache des « Spectres de Westende » et de la maison héritée de ses parents,
retrouve l’usage de sa liberté… et l’usage de toutes les voyelles !
Et aussi nouvelle policière, nouvelle fantastique,
nouvelle de science-fiction… rien n’est oublié, ni l’humour, ni le suspense.
François Salmon sera-t-il « le grand auteur belge » le premier « à recevoir la même année le prix Nobel de littérature et celui
de la Paix » ? Pourquoi pas ! Puisqu’il a reçu cette année
le Prix Litter’halles et le Prix Boccace !
En attendant, on peut toujours se mettre à la place
d’Octavie pour savoir comment Zéphir sera pris dans les fils de la toile
qu’elle a tendue à l’angle de la rue des Sœurs de la Providence.
Le lecteur, quant à lui, est bien tombé dans le fils
tendus par l’auteur… avec même un plaisir certain. On ne s’en lasse pas !
La page tournée, on attend la surprise de la suivante…
Gilles Verdet Fausses
routes Rhubarbe
Ici, le titre de ce recueil de 5 nouvelles noires
n’est-il pas d’emblée un signal de
l’auteur pour prévenir les « fausses
routes » inhérentes à toute lecture.
À peine le lecteur est-il arrivé à la troisième
nouvelle intitulée « Prises de
vue » qu’il est amené à retourner en arrière pour mieux démêler
ce qu’il a lu et cru comprendre.
En effet, dans cette nouvelle centrale, le narrateur,
figurant de cinéma, attablé à la terrasse d’un café, écoute les
conversations et observe tout ce qui l’entoure : c’est alors que l’on
comprend mieux ce qui se tramait dans la première nouvelle derrière l’histoire
de François, ce juge aux affaires sociales qui se trompant d’appartement, se
retrouvait dans le lit de Bernadette, dominatrice sado-maso et accessoirement
prof de philo et non dans celui de sa maîtresse Mathilde ! L’on comprend
mieux aussi la deuxième nouvelle, à travers des bribes de dialogues avec
Edouard, que le petit incident qui a perturbé la répétition de la chorale est
en fait un montage bien programmé… et que le contrechant est doublé d’un « Contrechamp » comme le titre
l’indiquait !
Mais en écoutant Grégoire -ou Grègue- le lecteur ne
sait pas encore tout de sa double vie qu’il découvrira dans la nouvelle
suivante « Commerces
équitables » où il passe de Jeanne à Bernadette, de la brocante à la
revente de drogue… jusqu’à la chute finale. « Cerise sur le gâteau » !
Notons que les dialogues, rares, viennent rythmer les
narrations et en sont comme les contrepoints, laissant le lecteur devant des
sous-entendus, des suspenses…
Ici la lecture implique donc la relecture, tant les
personnages et les chemins narratifs se croisent et s’entrecroisent. Et si certains éléments semblent programmés,
à l’image de ce bouquet de roses jaunes qui traverse les cinq nouvelles, d’autres
sont le fruit du hasard (qui serait l’œuvre d’un petit diable malicieux qui rit
sous cape ou d’un bon dieu converti à l’humour noir) et sont comme les grains
de sable qui viennent perturber le déroulement des événements : ainsi le
quiproquo de la première nouvelle, la chute de la quatrième… Ce qui multiplie
les effets de surprise et évite les fins moralisatrices.
Dans tous les cas, l’auteur, à l’image du Petit Poucet, a semé des cailloux que le
lecteur devra suivre pour retrouver son chemin.
Rarement un ensemble de nouvelles a été aussi organisé
pour composer -au sens où l’entendait J.-N. Blanc-
un véritable « roman-par-nouvelles ».
Les membres de la SGDL qui ont voté pour lui et lui ont attribué leur Grand
Prix de la Nouvelle 2016 ne s’y sont pas trompés… et à travers lui, ils ont
aussi récompensé le travail des éditions Rhubarbe et surtout d’Alain Kewes qui défend depuis des décennies la
bonne nouvelle.
(Lire aussi la nouvelle et l’entretien de G. Verdet dans ce numéro. Rappelons qu’il
était finaliste du Prix de la Nouvelle 2014 et présent dans Harfang N°45 avec
une nouvelle intitulée « Le
détroit »)
Sylvie Dubin Vent
de boulet Paul&Mike
On peut ne pas
aimer les recueils de nouvelles et on peut ne pas aimer les récits historiques,
mais devant ce troisième recueil de S. Dubin,
aucune généralité, aucun préjugé ne peut résister à la lecture !
De la première
page de « Bleu horizon »
qui raconte les signes avant-coureurs de la Guerre 14-18 à Merlet-Font avant la
déclaration du 1er août jusqu’à la dernière page de « Blanc, bleu... » où l’on
érige en 1920 un monument aux morts dans cette même commune de Normandie, le
lecteur est plongé dans les petites histoires de la Grande Guerre.
Bien sûr,
d’aucuns objecteront que certains noms de lieux comme Merlet-Font et certains
personnages comme Blaise Gaillard, Camille Faye, Elise Simon et d’autres qui
réapparaissent dans plusieurs nouvelles sont sortis de l’imagination de
l’auteur. Mais pour le reste, tout, dans les moindres détails, est authentique,
du récit de la catastrophe ferroviaire de la vallée de la Maurienne (dans « À tombeau ouvert ») jusqu’au
plus petit bouton de la capote des poilus. Car pour l’auteur « il suffit d’assembler les découpes de
l’Histoire, et ce n’est qu’aux coutures que l’imagination travaillera » (p.
42).
Comme pour ses
précédents recueils, S. Dubin a composé, organisé un ensemble unifié en
procédant par parallélismes, reprises et effets de miroir. Mais l’originalité
réside surtout dans le choix des sujets et dans le point vue qui surprend à
chaque fois le lecteur qui peut alors s’interroger sur ces petites histoires
qui font la grande Histoire.
Ainsi on
assiste à travers une enquête quasi policière à la naissance du service
cinématographique des armées (dans « Cinéma-cantonnement »).
On s’enfonce dans la boue des tranchées avec les tirailleurs sénégalais (dans « Nénette et Rintintin »). On
plonge sous la mer avec les premiers mariniers (dans « Histoire d’U. »). On survole les champs de bataille
avec les premiers aviateurs, avec les premiers aérostiers dans leur ballon captif
(dans « Sur la terre comme au
ciel ») ou avec les pigeons utilisés pour faire passer des messages en
Argonne (dans « Cher ami »,
publié dans Harfang N° 46).
On apprend
aussi comment un véritable toréador peut se faire embrocher par une baïonnette
au Bois Camard en 1916 du côté de Verdun (dans « S’ils nous pardonnent »), comment une cousette en grève
peut rencontrer un médecin auxiliaire en permission à Paris avec son parapluie
sous le bras (dans « La faute à
Ducasse »), comment un peintre peut trouver son inspiration dans la
catastrophe d’un train fou qui fit 425 victimes parmi les poilus en permission
( dans « À tombeau ouvert »),
comment la même Elise Simon peut « sculpter » les gueules cassées
pour leur redonner apparence humaine (dans « The
Tin Nose Shop ») et sculpter les statues des monuments aux morts
érigés dès les années 20 (dans « Blanc,
bleu… »)…
On attend de
découvrir avec la marraine de guerre le « poilu » avec lequel elle a
correspondu pendant des mois (dans « Chaleureuse
marraine ») et on est surpris de découvrir « La Clef » de l’énigme que constitue l’histoire de deux
frères dont l’un est mort à Verdun et l’autre végète depuis lors dans un
hospice d’aliénés.
Voici donc
treize nouvelles qui s’entrecroisent, s’interpénètrent pour dresser devant les
lecteurs le théâtre quotidien de la guerre, cette « comédie inhumaine » comme l’écrit l’historien A.
Jacobzone dans la préface. Treize nouvelles qui s’enchaînent comme les
chapitres d’un roman où, un siècle après la fin des combats, l’on entend encore
siffler le « vent de boulet ».
Treize nouvelles où des hommes et des femmes s’interrogent sur le sens de cette
« boucherie héroïque ». Le
chiffre 13 revenant d’ailleurs comme un leitmotiv, un fil rouge, où sans faire
de numérologie comme dans « Nénette
et Rintintin » les personnages s’interrogent pour savoir s’il faut
lire les chiffres comme des signes du destin.
Au final, ce
recueil est beaucoup plus qu’un recueil de nouvelles, plus qu’un
« roman-par-nouvelles », plus qu’un récit historique qui serait
réservé à quelques amateurs de nouvelles ou de récits historiques. C’est un
livre qui s’adresse à tous et que chacun doit lire, toutes affaires
cessantes.
Joël Glaziou
Prix
de la Femme-Renard à Lauzerte
François Koltes
La
croix des champs L’œil
d’or
Prix
de la Nouvelle d’Angers
Emmanuel Roche Un piano à la Nouvelle Orléans Paul&Mike
Dans ce recueil d’une grande qualité (qui vient
d’obtenir le prix de la Nouvelle d'Angers 2016), les personnages que l'on retrouve parfois d'une
nouvelle à l'autre, l'omniprésence de la musique et du fleuve, sont autant
d'éléments qui contribuent à la cohérence des nouvelles. Il y a aussi la ville et ce sentiment que, nulle part
ailleurs, de telles histoires pourraient se produire.
Bien au-delà d'un décor, la Nouvelle-Orléans
s'installe comme figure centrale des huit nouvelles et la ville, excessive et
contrastée, tient toutes ses promesses. On y croise, pêle-mêle, des fortunes à
l'origine douteuse, de jeunes bourgeois venus se déniaiser dans les bordels de
la capitale, des politiciens véreux et leurs hommes de main, des musiciens sans
avenir et de jeunes prodiges, le roi Zulu et de petites frappes, des touristes
et de petits pianistes créoles. La musique traverse les nouvelles, comme une
bande-son. Le recueil d'Emmanuel Roche a d'ailleurs quelque chose de
cinématographique. Dans Down by Law,
Jim Jarmush
ose une très longue séquence composée d'une succession de travellings latéraux
sur les rues de la Nouvelle-Orléans. Coupe après coupe, on passe d'un lieu à un
autre mais, parce que la caméra se déplace à vitesse constante, cela semble
toujours le même endroit. C'est à ce travelling latéral hypnotique que renvoie
le recueil d'Emmanuel Roche. Nouvelle après nouvelle, on passe d'une époque à
l'autre, on saute allégrement des décennies. Et pourtant, on revient toujours
au même instant : celui où le hasard décide, comme au craps, quand les dés
sont jetés. Le fantôme de Bernard de Marigny plane d'ailleurs sur la première
nouvelle. Figure emblématique de la ville et passionné de jeux de hasard, il
donne le ton. Les personnages d'Emmanuel Roche ont en commun de se trouver sur le fil,
dans un de ces moments suspendus où tout est encore possible, le pire comme le
meilleur. Mais qu'ils s'agitent ou attendent, qu'ils résistent ou renoncent,
aucun ne décide réellement. Leur vie, souvent, se joue sur un détail : un
porte-bonheur de carnaval, le retour d'un chat après l'ouragan, une belle fille
au bord du fleuve. Et si cela est parfois désespéré, Un piano à la Nouvelle Orléans
n'a rien de désespérant. Car, tous, en s'abandonnant au hasard, s'abandonne à
vivre.
Estelle Granet
(Lire l’entretien et la nouvelle d’E. Roche dans le
numéro 49 d’Harfang)
Prix
SGDL du Premier recueil de nouvelles
Guillaume Tavard
Loin
d’être malheureux Buchet-Chastel
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