dimanche 4 décembre 2016

LES MEILLEURES NOUVELLES POUR 2016 : DUBIN, KOLTES, LAFON, OBERLE, ROCHE, SALMON, TALVARD, VERDET


Pour ne conserver que les meilleures nouvelles de l’année 2016, il suffit de suivre le choix fait par les différents jurys des Prix de la Nouvelle qui ont sélectionné les meilleurs recueils parus dans l’année…
acheter, à lire et à offrir sans modération !

 Prix Goncourt de la Nouvelle
Marie-Hélène Lafon            Histoires                    Buchet-Chastel
 

 
Ce volume regroupe l’ensemble des nouvelles publiées à ce jour par M-H. Lafon.

Soit vingt nouvelles qui  plongent le lecteur au cœur de  la vie rurale, dans les villages du Cantal.

Avec Liturgie, son premier recueil de 5 nouvelles paru en 2002, elle brosse le portrait des gens du pays et peint les scènes de la vie quotidienne : la toilette du père dont il faut laver le dos, « l’hygiène » des jeunes filles au pensionnat, le suicide de « Roland »… Le récit et les descriptions, sans dialogues ou presque, permettent de faire ressentir de l’intérieur les sentiments, les sensations, la solitude de chaque personnage et de placer le lecteur au cœur des choses et des êtres.

En 2006, ce fut Organes, recueil de 12 nouvelles dont le programme est clairement annoncé dans la citation de M. Giacomelli placée en exergue « Je veux rentrer dans les choses »  et  qui semble donner au lecteur une véritable leçon de choses.

Mais de quelles choses s’agit-il ? Celles de la nature que deux adolescents découvrent à travers l’observation des taupes avant de les exterminer un jour de vacances ou à travers la brasse coulée des grenouilles aux pattes coupées qui régaleront les adultes ? Cruelle « leçon de choses » pour initier les jeunes au monde des hommes !

S’agit-il des choses du corps ? Sans doute, lorsque les filles découvrent leurs seins naissants qui nécessitent un soutien-gorge le jour de la communion ou lorsque la pauvre Berthe, à son entrée au pensionnat, « malmenée par les gens, les choses, la nature », se voit contrainte par un corset rose, tiraillée entre ses organes intérieurs et ces autres organes extérieurs que sont tous les vêtements, objets et autres prothèses… Quant aux garçons qui découvrent le corps des femmes, l’un fantasme sur « les jambes, le ventre, les seins, le cul… » de la nouvelle boulangère arrivée au village, l’autre sur le « corps blanc » d’Ava, la monitrice qui s’expose en bikini, un autre sur la « poitrine dure et moelleuse » de la speakerine qui s’étale sur l’écran : voilà « les choses qu’il sent » ! Au-delà, ce sont les choses de l’amour que chacun expérimente et dont on parle beaucoup, sans forcément passer à l’acte : ainsi pour Denis et la boulangère, « on crut la chose accomplie. Le fut-elle ? » ; ainsi les filles du pensionnat « essaient des choses entre elles » et gardent sur elles l’odeur des garçons, « ce fumet de bal fermenté » sous l’œil inquisiteur de la sœur Paule-Marie.

Mais il peut aussi s’agir des choses de la vie qu’Isabelle et Paul appréhendent en un rituel curieux : ils enfilent en cachette la robe de mariée de leur mère et l’écoutent parler au téléphone à travers la cloison. Quand la voix baisse, ils écoutent les révélations « sur le ventre des mères », « sur les maladies des femmes », « sur leurs organes fragiles »...

Leçons de choses donc qui mettent en scène des adolescents au moment où à travers les corps qui changent ils s’initient à une autre vie, au moment aussi où le monde rural traditionnel change sous les coups de boutoir de la modernité des années 60-70 qui apporte les modes nouvelles et la télévision.

Ce faisant, au delà des leçons de choses, l’auteur livre une belle leçon d’écriture dans un style vif qui isole le mot juste au scalpel, qui colle l’étiquette sur le schéma et qui écrit en marge la légende des corps, comme s’ils étaient ouverts sous nos yeux !

L’autre intérêt de ce volume est aussi de publier « la maison Santoire » (nouvelle qui fut la matrice du roman Les derniers indiens) et un dernier texte intitulé « Histoires » qui  nous éclaire sur l’origine de l’écriture, en remontant aux lectures d’enfance et sur les rapports étroits existant entre nouvelle et roman. Car pour M. -H. Lafon, l’écriture est une matière d’un seul bloc, un terrain qu’elle laboure en tous sens. « Nouvelle ou roman, roman ou nouvelle, parfois on ne sait pas, je ne sais pas ce que je vais faire, où ça va aller ; je suis une piste qui s’enfonce dans le maquis textuel, j’y vais, j’avance, et ensuite ça devient quelque chose que je n’attendais pas, ça devient autre chose, ça se fait en se faisant, ça se fait autrement, ça tourne et ça bifurque, ça se retourne »

Les nouvelles ne sont donc en rien des hors-d’œuvre, elles participent pleinement de l’œuvre en train de se faire.

Joël Glaziou

(Lire entretiens et nouvelles de M.-H. Lafon dans les numéros 29, 36 et 42 d’Harfang)

Prix de la Nouvelle de l’Académie Française

Gérard Oberlé     Bonnes nouvelles de Chassignet         Grasset


 
Prix Boccace

François Salmon   Rien n’est rouge                       Luce Wilquin

 Prix Litter’halles  à Decize

François Salmon    Rien n’est rouge                      Luce Wilquin

 
 
 
 Dans un recueil, certains cherchent l’unité, d’autres la diversité… Dans ce recueil de  12 nouvelles, l’unité se trouve dans la diversité car F. Salmon, en passant d’une nouvelle à l’autre, a choisi (pour ne pas ennuyer… et pour le plus grand plaisir du lecteur) de jouer avec les genres en les parodiant et de brouiller les codes en les détournant.

On commence dans un décor de western avec l’histoire de Billy Joe Adamson qui connait les « profondeurs de la soif » et qui en plein Désert de la Mort a « failli se noyer dans un verre d’eau » !

On poursuit avec la lettre d’amour de Stéphane, tombé amoureux de la voix de Sophie Lambert, qui ne s’appelle ni Sophie ni Lambert… mais peut-être Aïcha et qui de Casablanca démarche le client pour une agence de voyages !

On s’attarde un peu avec un véritable conte de Noël  pour comprendre « comment Bernard Verdonck, à presque cinquante ans, changea soudain de position » ou  plutôt comment Carole, grâce à un petit détail et un cadeau de Noël original, réussit à changer la vie de son mari !

On continue avec une nouvelle historique « Par la peau des siècles » où l’on apprend ce qui est arrivé à  Gossuin le parcheminier en février 886 entre l’île de la Cité et Saint Germain des Prés.

On joue avec les contraintes (clin d’œil au lipogramme cher à Georges Perec) puisqu’Hélène au fur et à mesure qu’elle se détache des « Spectres de Westende » et de la maison héritée de ses parents, retrouve l’usage de sa liberté… et l’usage de toutes les voyelles !

Et aussi nouvelle policière, nouvelle fantastique, nouvelle de science-fiction… rien n’est oublié, ni l’humour, ni le suspense.

François Salmon sera-t-il « le grand auteur belge » le premier « à recevoir la même année le prix Nobel de littérature et celui de la Paix » ? Pourquoi pas ! Puisqu’il a reçu cette année le Prix Litter’halles et le Prix Boccace !

En attendant, on peut toujours se mettre à la place d’Octavie pour savoir comment Zéphir sera pris dans les fils de la toile qu’elle a tendue à l’angle de la rue des Sœurs de la Providence.

Le lecteur, quant à lui, est bien tombé dans le fils tendus par l’auteur… avec même un plaisir certain. On ne s’en lasse pas ! La page tournée, on attend la surprise de la suivante…

 Prix SGDL de la Nouvelle

Gilles Verdet       Fausses routes                                Rhubarbe 


 
Ici, le titre de ce recueil de 5 nouvelles noires n’est-il  pas d’emblée un signal de l’auteur pour prévenir les « fausses routes » inhérentes à toute lecture.

À peine le lecteur est-il arrivé à la troisième nouvelle intitulée « Prises de vue » qu’il est amené à retourner en arrière pour mieux démêler ce qu’il a lu et cru comprendre. 

En effet, dans cette nouvelle centrale, le narrateur, figurant de cinéma, attablé à la terrasse d’un café, écoute les conversations et observe tout ce qui l’entoure : c’est alors que l’on comprend mieux ce qui se tramait dans la première nouvelle derrière l’histoire de François, ce juge aux affaires sociales qui se trompant d’appartement, se retrouvait dans le lit de Bernadette, dominatrice sado-maso et accessoirement prof de philo et non dans celui de sa maîtresse Mathilde ! L’on comprend mieux aussi la deuxième nouvelle, à travers des bribes de dialogues avec Edouard, que le petit incident qui a perturbé la répétition de la chorale est en fait un montage bien programmé… et que le contrechant est doublé d’un « Contrechamp » comme le titre l’indiquait !

Mais en écoutant Grégoire -ou Grègue- le lecteur ne sait pas encore tout de sa double vie qu’il découvrira dans la nouvelle suivante « Commerces équitables » où il passe de Jeanne à Bernadette, de la brocante à la revente de drogue… jusqu’à la chute finale. « Cerise sur le gâteau » !

Notons que les dialogues, rares, viennent rythmer les narrations et en sont comme les contrepoints, laissant le lecteur devant des sous-entendus, des suspenses…

Ici la lecture implique donc la relecture, tant les personnages et les chemins narratifs se croisent et s’entrecroisent.  Et si certains éléments semblent programmés, à l’image de ce bouquet de roses jaunes qui traverse les cinq nouvelles, d’autres sont le fruit du hasard (qui serait l’œuvre d’un petit diable malicieux qui rit sous cape ou d’un bon dieu converti à l’humour noir) et sont comme les grains de sable qui viennent perturber le déroulement des événements : ainsi le quiproquo de la première nouvelle, la chute de la quatrième… Ce qui multiplie les effets de surprise et évite les fins moralisatrices.

Dans tous les cas, l’auteur, à l’image du Petit Poucet, a semé des cailloux que le lecteur devra suivre pour retrouver son chemin.

Rarement un ensemble de nouvelles a été aussi organisé pour composer -au sens où l’entendait J.-N. Blanc- un véritable « roman-par-nouvelles ». Les membres de la SGDL qui ont voté pour lui et lui ont attribué leur Grand Prix de la Nouvelle 2016 ne s’y sont pas trompés… et à travers lui, ils ont aussi récompensé le travail des éditions Rhubarbe et surtout d’Alain Kewes qui défend depuis des décennies la bonne nouvelle. 

(Lire aussi la nouvelle et l’entretien de G. Verdet dans ce numéro. Rappelons qu’il était finaliste du Prix de la Nouvelle 2014 et présent dans Harfang N°45 avec une nouvelle intitulée « Le détroit »)

 
Prix Ozoir’elles a Ozoir

Sylvie Dubin          Vent de boulet                            Paul&Mike

 
            On peut ne pas aimer les recueils de nouvelles et on peut ne pas aimer les récits historiques, mais devant ce troisième recueil de S. Dubin, aucune généralité, aucun préjugé ne peut résister à la lecture !

De la première page de « Bleu horizon » qui raconte les signes avant-coureurs de la Guerre 14-18 à Merlet-Font avant la déclaration du 1er août jusqu’à la dernière page de « Blanc, bleu... » où l’on érige en 1920 un monument aux morts dans cette même commune de Normandie, le lecteur est plongé dans les petites histoires de la Grande Guerre.

Bien sûr, d’aucuns objecteront que certains noms de lieux comme Merlet-Font et certains personnages comme Blaise Gaillard, Camille Faye, Elise Simon et d’autres qui réapparaissent dans plusieurs nouvelles sont sortis de l’imagination de l’auteur. Mais pour le reste, tout, dans les moindres détails, est authentique, du récit de la catastrophe ferroviaire de la vallée de la Maurienne (dans « À tombeau ouvert ») jusqu’au plus petit bouton de la capote des poilus. Car pour l’auteur « il suffit d’assembler les découpes de l’Histoire, et ce n’est qu’aux coutures que l’imagination travaillera » (p. 42).

Comme pour ses précédents recueils, S. Dubin a composé, organisé un ensemble unifié en procédant par parallélismes, reprises et effets de miroir. Mais l’originalité réside surtout dans le choix des sujets et dans le point vue qui surprend à chaque fois le lecteur qui peut alors s’interroger sur ces petites histoires qui font la grande Histoire.

Ainsi on assiste à travers une enquête quasi policière à la naissance du service cinématographique des armées (dans « Cinéma-cantonnement »). On s’enfonce dans la boue des tranchées avec les tirailleurs sénégalais (dans « Nénette et Rintintin »). On plonge sous la mer avec les premiers mariniers (dans « Histoire d’U. »). On survole les champs de bataille avec les premiers aviateurs, avec les premiers aérostiers dans leur ballon captif (dans « Sur la terre comme au ciel ») ou avec les pigeons utilisés pour faire passer des messages en Argonne (dans « Cher ami », publié dans Harfang N° 46).

On apprend aussi comment un véritable toréador peut se faire embrocher par une baïonnette au Bois Camard en 1916 du côté de Verdun (dans « S’ils nous pardonnent »), comment une cousette en grève peut rencontrer un médecin auxiliaire en permission à Paris avec son parapluie sous le bras (dans « La faute à Ducasse »), comment un peintre peut trouver son inspiration dans la catastrophe d’un train fou qui fit 425 victimes parmi les poilus en permission ( dans « À tombeau ouvert »), comment la même Elise Simon peut « sculpter » les gueules cassées pour leur redonner apparence humaine (dans « The Tin Nose Shop ») et sculpter les statues des monuments aux morts érigés dès les années 20 (dans « Blanc, bleu… »)…

On attend de découvrir avec la marraine de guerre le « poilu » avec lequel elle a correspondu pendant des mois (dans « Chaleureuse marraine ») et on est surpris de découvrir « La Clef » de l’énigme que constitue l’histoire de deux frères dont l’un est mort à Verdun et l’autre végète depuis lors dans un hospice d’aliénés.  

Voici donc treize nouvelles qui s’entrecroisent, s’interpénètrent pour dresser devant les lecteurs le théâtre quotidien de la guerre, cette « comédie inhumaine » comme l’écrit l’historien A. Jacobzone dans la préface. Treize nouvelles qui s’enchaînent comme les chapitres d’un roman où, un siècle après la fin des combats, l’on entend encore siffler le « vent de boulet ». Treize nouvelles où des hommes et des femmes s’interrogent sur le sens de cette « boucherie héroïque ». Le chiffre 13 revenant d’ailleurs comme un leitmotiv, un fil rouge, où sans faire de numérologie comme dans « Nénette et Rintintin » les personnages s’interrogent pour savoir s’il faut lire les chiffres comme des signes du destin.

Au final, ce recueil est beaucoup plus qu’un recueil de nouvelles, plus qu’un « roman-par-nouvelles », plus qu’un récit historique qui serait réservé à quelques amateurs de nouvelles ou de récits historiques. C’est un livre qui s’adresse à tous et que chacun doit lire, toutes affaires cessantes. 
Joël Glaziou

 (Lire les entretiens et nouvelles de S. Dubin dans les numéros 33, 37 et 46 d’Harfang)

Prix de la Femme-Renard  à Lauzerte

François Koltes       La croix des champs                  L’œil d’or

 

Prix de la Nouvelle d’Angers

Emmanuel Roche Un piano à la Nouvelle Orléans   Paul&Mike

 
Dans ce recueil d’une grande qualité (qui vient d’obtenir le prix de la Nouvelle d'Angers 2016), les  personnages que l'on retrouve parfois d'une nouvelle à l'autre, l'omniprésence de la musique et du fleuve, sont autant d'éléments qui contribuent à la cohérence des nouvelles. Il y a aussi  la ville et ce sentiment que, nulle part ailleurs, de telles histoires pourraient se produire.

Bien au-delà d'un décor, la Nouvelle-Orléans s'installe comme figure centrale des huit nouvelles et la ville, excessive et contrastée, tient toutes ses promesses. On y croise, pêle-mêle, des fortunes à l'origine douteuse, de jeunes bourgeois venus se déniaiser dans les bordels de la capitale, des politiciens véreux et leurs hommes de main, des musiciens sans avenir et de jeunes prodiges, le roi Zulu et de petites frappes, des touristes et de petits pianistes créoles. La musique traverse les nouvelles, comme une bande-son. Le recueil d'Emmanuel Roche a d'ailleurs quelque chose de cinématographique. Dans Down by Law, Jim Jarmush ose une très longue séquence composée d'une succession de travellings latéraux sur les rues de la Nouvelle-Orléans. Coupe après coupe, on passe d'un lieu à un autre mais, parce que la caméra se déplace à vitesse constante, cela semble toujours le même endroit. C'est à ce travelling latéral hypnotique que renvoie le recueil d'Emmanuel Roche. Nouvelle après nouvelle, on passe d'une époque à l'autre, on saute allégrement des décennies. Et pourtant, on revient toujours au même instant : celui où le hasard décide, comme au craps, quand les dés sont jetés. Le fantôme de Bernard de Marigny plane d'ailleurs sur la première nouvelle. Figure emblématique de la ville et passionné de jeux de hasard, il donne le ton. Les personnages d'Emmanuel Roche ont en commun de se trouver sur le fil, dans un de ces moments suspendus où tout est encore possible, le pire comme le meilleur. Mais qu'ils s'agitent ou attendent, qu'ils résistent ou renoncent, aucun ne décide réellement. Leur vie, souvent, se joue sur un détail : un porte-bonheur de carnaval, le retour d'un chat après l'ouragan, une belle fille au bord du fleuve. Et si cela est parfois désespéré, Un piano à la Nouvelle Orléans n'a rien de désespérant. Car, tous, en s'abandonnant au hasard, s'abandonne à vivre.
Estelle Granet

(Lire l’entretien et la nouvelle d’E. Roche dans le numéro 49 d’Harfang)

Prix SGDL du Premier recueil de nouvelles

Guillaume Tavard    Loin d’être malheureux     Buchet-Chastel