vendredi 7 septembre 2012

Coup de coeur de l'été : F. GERMANAUD et B. CAMUS

"-  Que faisiez-vous au temps chaud ?
- Nuit et jour à tout venant
je lisais, ne vous déplaise !
- Et que lisiez-vous donc ?



- Outre les 4 recueils finalistes du Prix de la Nouvelle d'Angers 2012...
outre les "petits polars du Monde" (13 nouvelles publiées en petit format par le Monde chaque semaine pendant l'été, signées entre autres par Daeninckx, Granotier, Pelletier, Pelot, Pouy, Quint, Villard...), j'ai dégusté le premier recueil de 2 nouvellistes :
- Frédérique Germanaud pour "La chambre d'écho" aux éditions L'escampette (dont Harfang avait publié "Le silence des hérons" dans son numéro 36)
- Benoît Camus pour "Import Export" aux éditions Jacques Flament (dont Harfang avait publié "Lampedusa" dans son numéro 33)
Deux petits bijoux à lire sans attendre. Qu'on se le dise !


La chambre d’écho, Frédérique Germanaud, L’Escampette, 128 p. 14 €
 
Pour son premier recueil, F. Germanaud a choisi de brosser le portrait de cinq solitaires, de ceux qui ont choisi de se dépouiller du poids de la vie urbaine pour se retrouver dans le silence face à eux-mêmes et à la nature. « Mise à l’écart volontaire » de celui ou celle qui « regarde le monde sans être vu », qui s’efface et se fond dans le paysage jusqu’à devenir transparent. Retiré en ces lieux d’oubli, chacun aiguise ses sens, l’observation précédant toujours la réflexion. C’est vrai pour ce parisien, qui vient passer quelques « jours de sable » pour se refaire une santé dans une maison à la frontière du désert algérien… Pour ce pêcheur au carrelet isolé dans sa cabane de la côte atlantique… Pour ce passeur qui a quitté son navire pour jeter l’ancre sur une île plantée de saules…Pour cette exilée venue tenir son « rouge café » sur une île de Loire… Ou  encore pour ce vieil écrivain (Julien Gracq ?) qui passe sa retraite face au « silence des hérons ».
 
Sans doute, F. Germanaud n’a-t-elle fait que croiser ces solitaires… Sans doute, les a-t-elle observés sans leur parler… Sans doute ont-ils en commun de trouver dans le lieu -toujours situé à la lisière, à la frontière de deux mondes (maison, cabane, île ou chambre…)-  un équilibre entre le monde extérieur et leur monde intérieur… qui résonne alors comme une « chambre d’écho ». Mais au-delà de l’observation, l’imagination a permis à la narration et aux descriptions de se développer en écho avec ce qu’elle ressentait elle-même.

Car ces cinq portraits alternent avec des textes où l’auteur -par un retour sur elle-même - se livre de manière plus personnelle en évoquant des souvenirs d’enfance et offre aussi les éléments permettant de comprendre la genèse de chacun des textes. Où l’auteur livre aussi ses références littéraires (Follain, Vernet…) et picturales (Debré, Soulages…). Où l’auteur enfin livre  ses réflexions sur l’écriture et montre son souci de trouver le mot juste, de nommer chaque fleur, chaque plante, de chercher la poésie des mots.

Là résident sûrement l’originalité et la réussite de ce recueil, qui est d’avoir su trouver un juste équilibre entre des genres souvent considérés séparément : la nouvelle, l’essai et la poésie.
 
 
Import-Export, B. Camus, Jacques Flament éd., 148 p., 13 € 90
 
Les êtres humains sont-ils des marchandises, comme pourrait le laisser supposer le titre de ce recueil et comme le montrent certains faits divers à la une des médias ? Depuis 2007, Benoît Camus (dont la première nouvelle « Lampedusa » publiée dans le N°33 ouvre le recueil) collectionne ces drames quotidiens : exilés ou émigrés contraints de quitter leur pays, clandestins traversant les frontières souvent arrêtés ou refoulés, sans papiers frappant aux portes de nos pays qui  leur semblaient un eldorado…  La liste est longue et nous est connue : la répétition des comptes-rendus journalistiques les noie dans l’anonymat des foules ! Mais loin de cela, B. Camus donne un nom et un visage aux hommes et aux femmes dont il raconte l’histoire, la quête personnelle… Loin de tout manichéisme, il montre la complexité de chaque cas, il démonte la logique du clandestin tout comme celle du policier, du passeur, celle du marin ou du camionneur.

Même si la plupart du temps, il s’agit bien d’un commerce pour acheter le « passage »… on se demande s’il n’y a pas tromperie sur la marchandise. L’un fuit un monde de misère… pour un monde de richesse : mais n’est-ce pas un mirage ? L’autre part à la recherche d’une vie meilleure…  mais cela vaut-il de perdre la vie ? D’autres fuient un monde d’exploitation pour plus de liberté… soit, mais que faire, sans papier, en pays étranger ? Ainsi deux survivants de l’enfer qui, passant de Birmanie en Thaïlande, s’échappent de leurs travaux forcés et enfin libres… se demandent : « On va où maintenant ? » 

Ce faisant, B. Camus nous plonge au cœur des tragédies de notre époque moderne, dans la conscience des marins se demandant s’il faut jeter les clandestins par-dessus bord, dans celle du policier s’interrogeant sur la nécessité d’arrêter ceux qui franchissent la frontière. Ni discours, ni morale de la part de l’auteur, certaines nouvelles se terminant non par la chute fatale… mais par une ouverture sur un avenir incertain !
 
Joël Glaziou