Pour la douzième année consécutive,
le comité de la revue Harfang a établi
le palmarès des meilleures micro-nouvelles de l'année 2023
publiées chaque mois sous l'onglet "Micro du mois"
C'est Nadège Ménassier qui a reçu le plus de suffrages pour sa micro-nouvelle "Pas de deux"
(elle gagne un abonnement d'un an à la revue Harfang)
suivie de J.-Y. Robichon et de M.-A. Tuscan-Ollier (habituée de la rubrique et multirécidiviste)
Notre rubrique "100 mots pour le dire" se poursuit :
adressez-nous chaque mois vos micronouvelles de 100 mots maximum
(contrainte impérative)
à l'adresse de la revue
revueharfang@laposte.com
Pas de deux
C |
e midi,
je suis allée déjeuner au soleil avec Baudelaire. Il m’attendait au bout d’une
allée bordée d’acacias avec des airs de penseur empruntés à Rodin. Je lui ai
parlé ; la statue s’est mise à trembler. Dans l’avenue Transversale, le
cimetière était désert. C’est l’été, mais les feuilles mortes balayées par la
brise courent dans les allées et s’engouffrent joliment derrière la grille
rouillée des augustes tombeaux. Elles dansent avec un froissement de papier
brûlé et dessinent des volutes dans leur pas. Au cimetière de Montparnasse, les
morts sont plus vivants que les passants.
© Nadège MÉNASSIER (Octobre 2023)
En chemin
L |
ongtemps,
je vous ai croisé. Vous couriez d’une longue foulée légère. Vous aviez belle
allure. Un jour, vous m’êtes apparu équipé de deux bâtons. Vous vous étiez
initié à la marche nordique. Le balancement énergique de vos bras rythmait vos
pas. Puis, ce fut la marche lente, oubliés les bâtons. Qu’importe, je
reconnaissais de loin votre sobre silhouette dans votre éternelle tenue noire.
Vous avanciez, tête baissée, semblant indifférent au paysage. Chaque jour, je
guettais cette rencontre fugace. Sans nous connaître, nous nous saluions d’un
petit geste de la main. Aujourd’hui, où êtes vous ? Vous me manquez.
©
Marie-Agnès TUSCAN-OLLIER (Novembre 2023)
Au rapport !
F |
ier,
impatient, le vieux capitaine attend. Dans sa redingote noire, comme chaque
soir, il domine la cité. En ordre dispersé arrivent ses fringants lieutenants.
Aux questions du capitaine, ils répliquent dans un dialecte âpre et grinçant.
Quel étrange colloque, à qui sera le plus bruyant ! Et voilà que les
rivaux s’emportent, brandissent leurs capes sombres, dressent le chef, s’indignent.
Le ton monte. On bombe le torse. Les plus fougueux se rebiffent. Le
capitaine s’agace, bat de l’aile; les lieutenants s’inclinent. Fin du rapport.
D’un seul élan, tous, ils s’envolent. Quand tombe la nuit, où dorment les
corbeaux ?