dimanche 10 mars 2024

Coup de cœur pour Les vulnérables de Belinda CANNONE

 Les vulnérables, Belinda Cannone, Stock, 192 pages, 19 €

 Plus connue comme romancière et essayiste, B. Cannone semble privilégier nouvelle et texte court pour ses publications les plus récentes… Dix de ces nouvelles, dont cinq précédemment publiées en revues, journaux ou collectifs composent aujourd’hui Les vulnérables. Recueil très unifié autour des problématiques contemporaines, notamment des migrations liées aux dérèglements climatiques, aux situations politiques et sociales, liées aux guerres entre nations, entre générations, entre sexes… liées aussi aux guerres entre gangs, à la drogue dans les quartiers chauds de Paris ou de Marseille.

Recueil qui fait vivre sous les yeux du lecteur une foule de vulnérables, ados blessés par la vie, jeunes migrants et marginaux, SDF, indésirables (comme les nomme Le Clézio dans Avers) et autres fragiles, invisibles, incompris, rejetés par la société…

À plusieurs reprises, B. Cannone puise dans les journaux, qu’il s’agisse de faits divers ou de reportages (publiés dans Le Monde en 2021) qui s’en tiennent la plupart du temps à l’anonymat ou la généralité. Mais grâce à la fiction, la nouvelle journalistique se prolonge en nouvelle littéraire, en donnant un nom, un prénom, un visage, une histoire, une vie à ces jeunes, ces femmes, ces hommes qui seraient restés invisibles, muets.

Qu’il s’agisse de Céleste, ado qui choisit de quitter famille et  village pour « ronbinsonner » en forêt et qui dans sa fuite croisera des migrants à la frontière italienne. 

Qu’il s’agisse de trois ados abandonnés, « les martinets » (à relire dans Harfang N° 54) Robinson, Tom et Minette, « survivants, réchappés de la vulnérabilité de l’enfance » qui doivent faire face à la violence des autres.

Ou bien de Sekou, qui slame avec deux cent mots et qui reste enfermé dans le poste de transformation EDF en menaçant de plonger le quartier dans le noir.

Ou encore de Sabah, jeune émigrée, qui rêve de chanter entre Barbès et la Goutte d’or et pour qui « la rue c’est la vraie vie ».

De Lucy, la belle dryade ébène, réfugiée climatique qui inspire Paul le peintre pour sa série des « grands calcinés »…

Prônant humanisme et humilité, B. Cannone utilise les dialogues pour montrer les oppositions, les conflits parfois, pour donner la parole et les mots à chacun des protagonistes, pour rappeler que chacun a besoin des autres, permettant ainsi d’échapper au manichéisme et aux leçons de morale. 

Ainsi les échanges entre Mishkinu, le roumain, accusé à tort de vol… et Ludo, le SDF devenu « glaneur » pour la Maison de l’Amitié, mettent en évidence ce que chacun doit à l’autre quand l’aidé devient aidant…

Tout comme l’échange entre Youssef qui a quitté son Maroc et Boris le bosniaque musulman qui a tout perdu en quittant la Yougoslavie « son voisin serbe orthodoxe… sa fiancée croate... » montre la complexité des situations historiques, politiques, identitaires…

De même, l’affrontement entre Jeanne la prof et ses étudiantes Sophie, Angèle et Amélie qui lui reprochent d’enseigner Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos qui ne sont pour elles que des « relations toxiques » et pour qui Valmont n’est qu’un prédateur, un violeur, comme tous les hommes… montre les différents visages du féminisme contemporain et démontre aussi les difficultés de communication intergénérationnelle.

 

Au fil de ces dix nouvelles, dix récits de vies cassées, fragmentées, « cabossées », mais reliées avec humanité par un fil d’or qui permet de recoller les morceaux, à l’image de ces bols de céramique que la tradition japonaise appelle « kintsugi » (p. 130) et qui au final deviennent des objets récupérés, réparés... mais à haute valeur ajoutée !

                                                                                                                                 Joël Glaziou

                                                (Lire nouvelle de Belinda Cannone dans Harfang N° 54)

 

Lire la suite des critiques de recueils dans le Nouvellaire d'Harfang N° 64 à paraître en mai 2024 

 

mardi 13 février 2024

Meilleures micro- nouvelles de l’année 2023

 Pour la douzième année consécutive, 

le comité de la revue Harfang a établi 

le palmarès des meilleures micro-nouvelles de  l'année 2023 

publiées chaque mois sous l'onglet "Micro du mois"

C'est Nadège Ménassier qui a reçu le plus de suffrages pour sa micro-nouvelle "Pas de deux

(elle gagne un abonnement d'un an à la revue Harfang)

suivie de J.-Y. Robichon et de M.-A. Tuscan-Ollier (habituée de la rubrique et multirécidiviste) 


Notre rubrique "100 mots pour le dire" se poursuit : 

adressez-nous chaque mois vos micronouvelles de 100 mots maximum 

(contrainte impérative) 

à l'adresse de la revue 

revueharfang@laposte.com

 

Pas de deux

C

e midi, je suis allée déjeuner au soleil avec Baudelaire. Il m’attendait au bout d’une allée bordée d’acacias avec des airs de penseur empruntés à Rodin. Je lui ai parlé ; la statue s’est mise à trembler. Dans l’avenue Transversale, le cimetière était désert. C’est l’été, mais les feuilles mortes balayées par la brise courent dans les allées et s’engouffrent joliment derrière la grille rouillée des augustes tombeaux. Elles dansent avec un froissement de papier brûlé et dessinent des volutes dans leur pas. Au cimetière de Montparnasse, les morts sont plus vivants que les passants.

© Nadège MÉNASSIER (Octobre 2023)

En chemin

L

ongtemps, je vous ai croisé. Vous couriez d’une longue foulée légère. Vous aviez belle allure. Un jour, vous m’êtes apparu équipé de deux bâtons. Vous vous étiez initié à la marche nordique. Le balancement énergique de vos bras rythmait vos pas. Puis, ce fut la marche lente, oubliés les bâtons. Qu’importe, je reconnaissais de loin votre sobre silhouette dans votre éternelle tenue noire. Vous avanciez, tête baissée, semblant indifférent au paysage. Chaque jour, je guettais cette rencontre fugace. Sans nous connaître, nous nous saluions d’un petit geste de la main. Aujourd’hui, où êtes vous ? Vous me manquez.

 © Marie-Agnès TUSCAN-OLLIER (Novembre 2023)

Au rapport!

F

ier, impatient, le vieux capitaine attend. Dans sa redingote noire, comme chaque soir, il domine la cité. En ordre dispersé arrivent ses fringants lieutenants. Aux questions du capitaine, ils répliquent dans un dialecte âpre et grinçant. Quel étrange colloque, à qui sera le plus bruyant ! Et voilà que les rivaux s’emportent, brandissent leurs capes sombres, dressent le chef, s’indignent. Le ton monte. On bombe le torse. Les plus fougueux se rebiffent. Le capitaine s’agace, bat de l’aile; les lieutenants s’inclinent. Fin du rapport. D’un seul élan, tous, ils s’envolent. Quand tombe la nuit, où dorment les corbeaux ?

 © Jean-Yves ROBICHON (Mai 202

lundi 1 janvier 2024

BONNE ANNEE 2024


 

HARFANG
notre chouette fétiche
vous souhaite une 
BONNE ANNEE 2024
riche en lectures, en découvertes, en rencontres...

...et vous donne rendez-vous
 semestriellement avec les numéros 64 (en mai) et 65 (en novembre)
et mensuellement avec la "micro du mois"