Première personne du singulier, Patrice
Franceschi,
Dans les quatre nouvelles de ce recueil, Patrice Franceschi raconte des situations tragiques
où face à un dilemme un homme seul doit choisir entre deux solutions aussi inacceptables
l’une que l’autre.
Tempête
(Deux novellas), J. M. G. Le Clezio,
Voici donc un recueil composé de deux
« novellas » *, deux volets d’un diptyque, commençant et se terminant
sur fond de mer qui, loin d’être un simple décor, joue ici le rôle de miroir et
de révélateur.
Joël Glaziou
Points Seuil, 212 p.,
12 €
Dès la première nouvelle « Un fanal arrière qui s’éteint », le lecteur est littéralement
embarqué en 1884 sur un brick de commerce « La Providence » où le
vieux marin Flaherty est obligé de choisir entre son fils et son équipage. Un
homme ou quarante… il doit trancher et « sacrifier
de ses propres mains son fils unique auquel il tenait plus qu’à
lui-même ».
Dans le « Carrefour
54 », on se retrouve face aux Panzer allemands avec le sous-lieutenant
Vernaud qui, en mai 1940, choisit de tenir seul une position que ses hommes ont
abandonnée sans qu’il puisse les retenir.
Dans « Le
naufrage du lieutenant Wells », on découvre au fil d’une enquête
journalistique comment en 2013 un capitaine impose le silence à son équipage
après avoir refusé de porter secours à
un bateau de réfugiés et comment un certain Wells choisit de faire justice lui-même
dans le cas de ce crime qui risquait de demeurer impuni… au risque de forcer le
navire au naufrage et de se retrouver forcé à la clandestinité sur une île
déserte.
Au final, ce sont deux cents pages de tension extrême.
Et si elles se lisent d’une traite sans reprendre souffle, c’est que l’écriture
est également tendue à l’extrême comme dans les meilleurs récits classiques. On
pense à d’autres grands classiques, d’autres grands écrivains et marins, les Conrad, Melville et autres Hemingway. D’ailleurs les personnages
eux-mêmes sont des lecteurs assidus de grands classiques : Flaherty lit,
debout, sur le pont de son brick ; Vernaud, dans sa tranchée, lit Hugo et « fait
commerce avec les morts en lisant les textes d’écrivains disparus depuis
longtemps » ; enfin Wells s’entretient aussi avec les
morts : Balzac, Hugo, Buzzati, Malraux.
Peut-être la littérature les a-t-elle aidés à faire des choix ?
Puisse ce recueil qui vient de recevoir le Prix
Goncourt de la nouvelle aider chaque lecteur à faire le meilleur choix s’il se
trouve dans une situation extrême.
Joël Glaziou
Villes Chinoises, Virginie Bouyx,
Gallimard, 224 pages, 18 € 90
Après un premier recueil
prometteur et remarqué, Les fleuristes (lire Harfang N°42),
V. Bouyx offre au lecteur un
recueil de onze nouvelles qui se situent dans onze villes chinoises (de Pékin à
Suzhou et de Shanghai à Hangzhou…) et dont l’action se déroule sur une année,
en liaison avec les saisons et les fêtes du calendrier chinois. Au-delà de la
description d’une Chine moderne et urbaine (que l’auteur connait pour y avoir
vécu et travaillé), chaque nouvelle raconte la vie quotidienne d’employés
exilés, français pour la plupart, mais aussi russe, canadien, américain,
allemand… On les voit se démener dans le petit cercle des entreprises où ils
travaillent avec leurs problèmes, leurs conflits, leurs désillusions et dans le
petit cercle des amis qui se croisent, se quittent et se retrouvent.
Chacun, à un moment dans son
parcours, se retrouve isolé dans un pays dont il ne maîtrise parfaitement ni la
langue ni la culture ni les codes sociaux… Coupé de la famille et souvent aussi
des amis, notamment au moment des fêtes (qu’il s’agisse du Nouvel An Chinois ou
du Nouvel An occidental), l’un se perd dans la nostalgie, un autre a quelque velléité de retour au pays. Bruno,
qui vit dans la hantise de l’épidémie de
grippe aviaire, de la pollution, pense démissionner. Clyde, l’écossais, ancien
professeur devenu guide, va même jusqu’à penser au suicide. Thierry, quant à
lui, sombre dans l’alcool et un jour de fête nationale chinoise part dans une
station balnéaire à la recherche d’une
certaine Siying, qui n’existe que dans son imagination ! Paradoxalement,
chacun reste étranger sans pour autant être vraiment dépaysé et aucun ne semble
pouvoir partir. Autant de réflexions sur la solitude, sur l’exil et sur
ces forces contradictoires qui agissent en chacun : l’une centrifuge qui
pousserait à fuir et à rentrer au pays, l’autre centripète qui vous ramène
constamment au centre des grandes villes (qui bientôt se ressemblent toutes).
Onze nouvelles, comme autant d’instantanés sur la
Chine d’aujourd’hui qui ne sont en rien des clichés… car si cela se passe en
Chine, cela pourrait tout aussi bien se passer ailleurs. Onze nouvelles qui
composent un recueil d’une grande unité, très agréable à lire, qui est
construit un peu comme une exposition photographique mêlant habilement une galerie
de portraits d’expatriés et un reportage sur la vie quotidienne dans les
grandes villes chinoises d’aujourd’hui.
Joël Glaziou
Gallimard, 240 pages, 19 € 50
En amont de ces deux histoires racontées par Le Clézio, le viol, la guerre, la
violence sont comme une tache originelle qui marque chacun des personnages dont
la vie sera une succession de combats et de tempêtes. Tempêtes en des eaux
violentes et ambivalentes où l’on peut se noyer mais aussi se régénérer.
Ainsi quand Philip Kyo revient sur l’île coréenne
d’Udo trente ans après y avoir séjourné en compagnie de Mary, il a déjà essuyé
quelques tempêtes. C’est là qu’il a rencontré Mary, chanteuse de bues, dont le
père était un GI qui a disparu après avoir violé sa mère…. et c’est là que Mary
s’est noyée. C’est là aussi qu’après quelques années de prison, il a essayé
d’oublier son passé de photographe, condamné pour n’avoir pas porté secours à
une jeune fille violée par quatre soldats à Hué, pendant la guerre du Vietnam.
Mais il va rencontrer June, 13 ans, dont la mère est une des « femmes de la mer » qui
chaque jour plonge pour pêcher les ormeaux et dont le père est inconnu, soldat
qui a disparu dès l’annonce de la grossesse.
Entre l’homme de 58 ans et la fillette de 13 ans, une
amitié nait, chacun révélant peu à peu à l’autre des vérités essentielles. Au
contact de la mer et de June, Philip oublie son passé et n’a « plus envie de mourir, il est
libre » et il repart sans laisser d’adresse… De son côté, June croit
avoir trouvé « sa vérité » en plongeant dans la mer : elle sera
sauvée de justesse d’une noyade et quittera définitivement l’île avec sa mère.
Chaque « novella » étant un peu le miroir de l’autre, la seconde intitulée « Une femme sans identité » se présente comme le deuxième volet du diptyque. Rachel, née d’un viol, abandonnée par sa mère est recueillie par son père qui vit près de la plage de Tokoradi au Ghana avec une nouvelle femme et leur fille, Bibi ou Abigaïl. Faillite du père et état de guerre les contraignent à venir en France. Arrivée en banlieue parisienne, Rachel apprend rapidement qu’il lui faut « oublier le passé ». Cette Cendrillon africaine est rejetée par tous, sa belle-mère, son père et même sa sœur qu’elle essaie pourtant de défendre et de protéger, mais qui sera à son tour victime d’un viol. Rejetée, sans papier, sans identité, déçue par cette France « civilisée, où sa petite sœur Bibi a été violée », au moment même où sa mère biologique cherche à la rencontrer… Rachel sombre et a même quelque velléité de meurtre ! Finalement, après ces années d’exil, elle retournera en Afrique en tant qu’assistante volontaire de « médecins du monde » et commencera une « autre vie » près de la plage qui l’a vue naître.
Avec June l’Asiatique et Rachel l’Africaine, Le Clézio poursuit ainsi ses portraits de femmes, constituant désormais une véritable galerie. Femmes victimes de violences et d’injustices : ici femmes violées qui rappellent, Christine, violée dans les caves du quartier de l’« Ariane » à Nice (La Ronde, 1982). Femmes solitaires et fortes qui se libèrent et reprennent leur destin en main : rappelons nous Ujine dans L’histoire du pied (2012)…
Chaque « novella » étant un peu le miroir de l’autre, la seconde intitulée « Une femme sans identité » se présente comme le deuxième volet du diptyque. Rachel, née d’un viol, abandonnée par sa mère est recueillie par son père qui vit près de la plage de Tokoradi au Ghana avec une nouvelle femme et leur fille, Bibi ou Abigaïl. Faillite du père et état de guerre les contraignent à venir en France. Arrivée en banlieue parisienne, Rachel apprend rapidement qu’il lui faut « oublier le passé ». Cette Cendrillon africaine est rejetée par tous, sa belle-mère, son père et même sa sœur qu’elle essaie pourtant de défendre et de protéger, mais qui sera à son tour victime d’un viol. Rejetée, sans papier, sans identité, déçue par cette France « civilisée, où sa petite sœur Bibi a été violée », au moment même où sa mère biologique cherche à la rencontrer… Rachel sombre et a même quelque velléité de meurtre ! Finalement, après ces années d’exil, elle retournera en Afrique en tant qu’assistante volontaire de « médecins du monde » et commencera une « autre vie » près de la plage qui l’a vue naître.
Avec June l’Asiatique et Rachel l’Africaine, Le Clézio poursuit ainsi ses portraits de femmes, constituant désormais une véritable galerie. Femmes victimes de violences et d’injustices : ici femmes violées qui rappellent, Christine, violée dans les caves du quartier de l’« Ariane » à Nice (La Ronde, 1982). Femmes solitaires et fortes qui se libèrent et reprennent leur destin en main : rappelons nous Ujine dans L’histoire du pied (2012)…
De livre en livre, roman ou nouvelle, Le Clézio continue de raconter des
histoires d’aujourd’hui. Des histoires qui semblent simples, sans manichéisme,
sans leçon de morale. Des histoires universelles qui nous concernent toutes et
tous, qu’elles se passent en France, en Afrique, en Asie ou ailleurs.
* Si le terme de « novellas » est employé
ici en sous-titre pour la première fois par Le
Clézio, remarquons que ce dernier a déjà utilisé plusieurs fois le
format de la longue nouvelle (entre autres dans
Hasard suivi d’Angoli Mala en 1999) et qu’à chacun
de ses recueils parus depuis 40 ans a été accolée une étiquette
différente : histoires, fictions,
faits divers, romances… sans doute pour rappeler que la notion de genre n’est pas pour lui prioritaire.
Les Dames du Chemin, Maryline Martin
Ed. Glyphe, 156 p., 12 €
Au seuil de l’année 2014 où l’on commémorera le
centenaire de la Première Guerre Mondiale, ce recueil (avant sans doute les
nombreux autres ouvrages qui ne manqueront pas d’être publiés sur le sujet)
vient à point nous rappeler ce que fut le quotidien de ceux qui ont subi
l’enfer du « Chemin des Dames »
ainsi que le quotidien des « Dames »
qui les ont accompagnés sur ce chemin.
M. Martin
a su choisir parmi tant d’autres possibles, douze situations qui permettent de
plonger le lecteur au cœur de cette tragédie et aussi des consciences de l’époque.
D’abord en relatant la vie quotidienne des poilus dans
les tranchées sans épargner au lecteur les « relents
de chloroforme, de cadavres, de chlorure de chaux et de merde », celle
des poilus en « perm » qui retournent au village et se payent un peu
de bon temps, celle des « gueules
cassées » renvoyés dans les hôpitaux à l’arrière, et des
« planqués » à Paris… mais aussi celle des femmes, infirmières,
marraines de guerre, mères, femmes, sœurs, fiancées… Le tout est historiquement
bien documenté, jusqu’à noter les petits détails vestimentaires et à restituer
le vocabulaire imagé des poilus eux-mêmes.
Chacune des douze nouvelles est comme une petite scène
saisie, un instantané. Tout l’intérêt de ce recueil étant de ne pas tomber dans
le manichéisme facile des images d’Epinal et des cartes postales d’époque.
Ainsi on peut suivre Paul qui, comme beaucoup
d’autres, part « fleur au
fusil » et passe une dernière nuit avec une femme dans une chambre
d’hôtel avant de monter au front : se reverront-ils ? Puis Ferdinand
qui, ayant refusé de monter en ligne, est passé en conseil de guerre, a été
condamné à mort dans un premier temps, puis finalement aux travaux
forcés : reverra-t-il Marguerite ? Quant à Abdoulaye, tirailleur
sénégalais, reverra-t-il Hortense, sa marraine de guerre, une fois rentré au
pays ?
Quand Auguste arrive en « perm » à Paris, il
s’étonne de voir que la vie continue comme si de rien n’était pour les
profiteurs de guerre et les « embusqués »
de l’arrière. Mais quand il retrouve Renée à la Lanterne rouge, il lui
parle des rats et des poux… mais il tait les morts et les obus ! Quand un
autre retrouve le temps d’une « perm » sa Normandie natale et Marie,
sa « jolie fiancée » et
d’autres « dames du chemin »,
c’est une courte pause car le « Chemin
des Dames » l’attend qui deviendra pour lui « chemin des armes, chemin des larmes » avant de devenir « chemin de croix » et de se
terminer dans la boue de Verdun sous une croix de bois et la plaque « Tué à l’ennemi. Mort pour la
France ».
D’autres ne retrouvent l’arrière que blessé comme
Michel, futur « gueule cassée »
qui voit un « ange blanc »
en chaque infirmière. Ou comme ceux
qui amnésiques, aphasiques, névrosés, blessés sans blessure, sont entassés et
cachés et dont les ombres font une « ronde »
dans les cours des hôpitaux.
Enfin M. Martin n’oublie
pas les femmes et les enfants,
victimes elles aussi, de cette guerre. Petite fille qui tient son journal et
envoie des lettres au papa parti au front. « Enfant
de personne » qu’aucun ne veut voir, comme celui de Noémie, violée par
l’ennemi, enceinte, qui accouchera d’un enfant « né le cordon autour du cou, préférant rester dans les limbes de
la nuit ». Femme contrainte au travail dans les fermes ou dans les
usines. Et aussi veuve de guerre, devenue agent double pour venger son mari
sous le nom d’Alouette, qui couche
avec Helmut, un baron allemand des services de renseignements.
Seule lueur d’espoir dans ce sombre tableau avec Victorine
remerciant la « Providence » qui a permis à Victor de traverser cinq
années d’épreuves et qui rentrera du front pour faire connaissance avec sa
fille, bien nommée Victoire… née le 11 novembre 1918 !
Alors, avant de relire tous les grands textes écrits
depuis un siècle de Barbusse, Dorgelès et Genevoix à Cendrars, Céline et Rouaud…
et avant de découvrir tous les ouvrages qui ne manqueront pas sur le sujet dans
les années à venir, un conseil : lisez ce recueil qui en douze petits
tableaux a su saisir l’essentiel.
Joël Glaziou
Devenir immortel et puis mourir, Éric Faye,
José Corti, 208 p., 17 €

Lire des nouvelles d’Éric Faye offre souvent un double plaisir. Plaisir de mêler le connu à l’inconnu, le réel au fantastique… mais dans ce nouveau recueil on trouve aussi le plaisir de la relecture à travers les allusions, les références à d’autres ouvrages littéraires ou cinématographiques, créant ainsi une forte connivence avec le lecteur.
Dans
« L’inachèvement », comment
ne pas penser à J. L. Borgès et
aussi au « Passe Muraille »
de M. Aymé… face à cet écrivain, perturbé
par un bruit étrange venu de l’autre côté du mur, qui n’arrive pas à achever
son roman… sur l’inachèvement ! Jusqu’au jour où il découvre que son
voisin, S. Spiegelman (l’homme du « miroir »
-sans tain sans doute- devenu son double dans une mise en abyme de sa propre
impuissance) vient de publier un roman intitulé justement « L’inachèvement » !
À
l’inverse, la deuxième nouvelle intitulée « La
nuit du Verdict » nous rappelle la nuit du 22 au 23 septembre 1912 où
F. Kafka après quelque panne
d’écriture, écrit d’une seule traite sa nouvelle « Le verdict ». Il avoue que « son esprit s’est ouvert totalement au travail d’écriture »
et dans l’euphorie, annonce qu’il aimerait « écrire
un jour sur la Grande Muraille et l’Empereur de Chine ».
Transition
évidente (où naturellement la littérature semble engendrer la littérature)… la
troisième nouvelle raconte l’histoire de ce premier empereur chinois Qin Shi Huangdi qui fut à l’origine de
la Grande Muraille et qui est en quête de tous les moyens pour devenir
immortel : « champignon de
jouvence sur l’île des immortels », construction d’un mausolée qui
serait « son vaisseau vers
l’immortalité… au fond duquel il traverserait les siècles »… Mais tandis
que des milliers de soldats de terre cuite veilleront la dépouille de l’un de
ses sosies, l’empereur errera à travers les siècles jusqu’à nous, jusqu’à
rencontrer Mao… et trouver la
réponse à sa quête en visionnant un film de J. L. Godard « À bout
de souffle » dont une des répliques donne le titre à la nouvelle et au
recueil « Quelle est votre plus
grande ambition dans la vie ? Devenir immortel et puis mourir ».
Les
références cinématographiques jouent aussi un rôle important dans « le mur de Planck » où un
chercheur en physique des particules, venu au Japon participer à un colloque sur
la « théorie des cordes »
veut voir le Fuji… Il est détourné un instant de sa quête par la rencontre d’une
collègue japonaise qui lui rappelle Mariko Okada
dans La source thermale d’Akitsu de Yoshida. Et il ne trouvera satisfaction
que par hasard au détour d’une route et d’un incident…
Qu’il
s’agisse de recherche scientifique, de recherche de l’immortalité, de recherche
de soi, de l’autre, du Mont Fuji… ou de quelque révélation que ce soit, ces quatre
nouvelles nous rappellent que ce que l’on cherche n’est pas forcément ce que
l’on trouve…
Pour
revenir au plaisir de la lecture, n’est-ce pas aussi celui de la surprise que d’y
découvrir tout autre chose que l’on ne cherchait pas ?
Joël Glaziou
Le Seuil, 192 p., 17 €
Faut-il considérer ce troisième recueil comme une suite des précédents (L’angoisse de la première phrase en 2005 et Contes carnivores en 2008) ? Au-delà des différences de sujets, de nombreux points communs dessinent un ensemble cohérent : d’abord parce que chaque recueil peut être considéré comme un véritable « cabinet de curiosités »… Et aussi parce que tout s’organise autour d’un personnage récurrent, « l’invraisemblable » Pierre Gould qui collectionne les ouvrages littéraires les plus rares et les plus extraordinaires dans sa bibliothèque personnelle !
On y trouve les ouvrages de Robert Martelain (amnésique qui écrit toujours le même livre), Matthieu Mandelieu, Albert Megammay, Paul Lespallières (qui écrit des « livres gigognes »), Claude Guérard (qui renie son premier roman « Antre pourri » et passe sa vie à en détruire tous les exemplaires), Alfred Benders (dont les ouvrages « s’allègent » chaque année de quelques centaines de mots !), Hyppolite Baronnier… ? Inutile de vous précipiter sur le dictionnaire le plus proche, d’interroger les encyclopédies en ligne pour en savoir plus… Il faudra sans doute attendre un prochain recueil où B. Quiriny dressera un catalogue exhaustif de la bibliothèque de Gould et qu’il écrive un Dictionnaire des écrivains imaginaires !
La littérature réelle n’est pourtant pas absente… et à côté des classiques cités (on a souvent parlé de J. L. Borges ou de M. Aymé à son propos), il s’agit pour Quiriny, en véritable « auteur » de créer et d’ajouter de nouvelles références à la Bibliothèque de Babel ! Pour maintenir l’ambigüité, il y a même dans la liste « des livres qui sauvent et les livres qui tuent », le titre d’un ouvrage bien réel d’Enrique Vila Matas « La lecture assassine » ! Proust, Montherlant ou Borges sont aussi présents… puisque Gould est aussi l’inventeur d’une machine à écrire programmée qui écrit des chefs-d’œuvre comme «Un amour de Swann » ou « La Recherche » quelles que soient les touches que l’on frappe !
Mais l’esprit collectionneur de Gould ne se cantonne pas à la seule littérature, il s’intéresse aussi à certains faits de société étonnants (comme les « résurrections massives » ou « la dégglomération ») et à dix villes imaginaires (d’Albicia à Volsan, « ville du silence » en passant par Port Lafar) qui viennent s’ajouter à la liste déjà longue d’I. Calvino & C° !
Le recueil, composé en alternance par ces trois séries ou collections de livres étranges, de villes improbables et de faits de société pour le moins curieux, est également traversé en alternance par l’humour, l’ironie, la parodie et autres tonalités qui instaurent une distanciation et maintiennent une ambigüité constante entre réel et fiction, entre sérieux et futile.
On sent bien que Quiriny prend plaisir à jouer avec les livres et les lecteurs… Ce recueil, comme les précédents, ressemblent étrangement aux « silènes » -qu’il évoque en dernière page à la suite de Rabelais-, ces petites boîtes décorées de manière « joyeuse et frivole » et dont on imagine que le contenu est à l’image de leur apparence… mais qui contiennent en fait « des choses précieuses ». Manière rabelaisienne de rappeler que chaque livre est un os dont il faut chercher la « substantifique moelle ».
Le lecteur trouvera aussi son plaisir dans un tel recueil où chaque page adresse de petits clins d’œil de connivence et où chaque texte est un feu d’artifice aux couleurs de l’imagination !
Joël Glaziou
Le tapis du salon, Annie Saumont, Julliard, 196 pages, 16 €
Dans trois nouvelles (sur les 18 de ce recueil), une petite tache (de sang ? de graisse ? de pisse ?) sur un « tapis de salon » revient comme un refrain lancinant, comme un leitmotiv. Tout semble se concentrer sur ce petit détail qui change tout… même si les histoires sont différentes et n’ont aucun lien entre elles.
Un petit détail, un objet insolite, un silence, une petite phrase qui restent inaperçus pour la plupart d’entre nous, sont l’occasion pour Annie Saumont de bâtir une nouvelle. Ainsi un verre à whisky, un scarabée, une petite fille rousse, un kidnappeur, un puzzle… (Non ! ce n’est pas un nouvel inventaire à la Prévert ! Non, ce n’est pas une liste de mots imposés en atelier d’écriture !) servent de matériau pour la première nouvelle du recueil, intitulée « Apprivoise-moi ».
Elle collectionne les petits riens de la vie quotidienne, note les petites phrases volées dans la rue au détour d’une conversation, traque les mots eux-mêmes qui contiennent la trame de l’histoire (ainsi en trois phrases : « Je m’étais tapi dans un coin. Je n’ai pas pissé sur le tapis. Je n’ai pas tapissé le salon »)… et avec tous ces éléments, comme autant de petits fils de couleur, il ne reste qu’à les assembler pour faire un puzzle ou tisser un tapis !…
Cette simplicité artisanale n’est qu’une apparence car il faut beaucoup de savoir-faire pour tresser une histoire avec des bandes de textes qu’elle coupe et qu’elle colle, pour tisser une histoire entre fil de trame et fil de chaîne où se mêlent le drame d’un poète amateur et son poème sur « le vent » écrit pour « Le Printemps des Poètes », où les alexandrins des « Pauvres gens » tirés « La Légende des siècles » de Victor Hugo qu’un jeune des banlieue « aurait bien aimé réciter » à sa copine Lahi se mêlent à ses commentaires passionnés sur les courses de Formule 1 !
Petit à petit, de recueil en recueil (en 30 ans plus de 30 recueils et près de 300 nouvelles), Annie Saumont tisse son œuvre dont on s’apercevra dans quelques années, quelques décennies qu’elle a brossé là une galerie de portraits de nos contemporains, oubliés et anonymes, et une fresque de notre monde, point par point, fil à fil, ligne par ligne, par petites touches à la manière d’un peintre pointilliste…
Du grand art !
Joël Glaziou
Histoire du pied et autres fantaisies,
J. M. G. Le Clézio, Gallimard, 352 pages, 22 €
Depuis le Prix Nobel de littérature attribué en 2008, Le Clézio n’avait pas donné de ses nouvelles à ses lecteurs. Certains attendaient avec impatience la parution d’un nouvel ouvrage, certainement un roman. D’autres s’interrogeaient : aura-t-il changé ? sera-t-il à la hauteur ? aura-t-il la « grosse tête » ? les chevilles enflées ?
La réponse leur est donnée d’emblée avec le titre du recueil qui vient de paraître Histoire du pied (pied de nez à ses détracteurs éventuels ?). Chacun sera rassuré, Le Clézio a les pieds bien sur terre : le recueil est un modèle de modestie, de liberté et de créativité. Modeste d’abord, parce qu’en choisissant un recueil composé de 9 nouvelles et d’un « à peu près apologue », il privilégie le genre court et non le roman. Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on se rappelle que pour lui, il n’y a pas de hiérarchie entre les genres, « les genres littéraires existent, mais ils n’ont aucune importance » écrivait-il en 1966 dans L’extase matérielle. Il n’y a ni genre majeur ni genre mineur : « Les poésies, les romans, les nouvelles sont de singulières antiquités qui ne trompent plus personne […] L’écriture, il ne reste que l’écriture » comme il l’affirmait déjà en 1965 dans la lettre introductive à son premier recueil La Fièvre. Les trente volumes parus depuis montrent qu’il n’a jamais cessé d’alterner et de mêler les textes courts et les romans.
Libre donc par rapport aux genres, il l’est aussi par rapport aux étiquettes et aux définitions… (ce qui déplaira peut-être aux puristes qui pensent posséder une définition de la nouvelle) avec le sous titre « et autres fantaisies » qui prévient le lecteur qu’il prend quelques libertés ; ainsi certains textes relèvent du conte comme « L’arbre Yama », d’autres de la biographie historique comme « L.E.L., les derniers jours » qui raconte la vie de la jeune poétesse anglaise Letitia Elizabeth Landon, partie en Afrique suivre son mari, qui se bat jusqu’à la mort pour rester en vie dans un milieu hostile, et d’autres enfin de l’apologue ou « à peu près »… Mais n’oublions pas que les recueils précédents possédaient aussi des sous-titres, qui dénotent un refus de s’enfermer dans une quelconque définition. Rappelons-nous de La fièvre et autres petites fictions (1965), Mondo et autres histoires (1978), La Ronde et autres faits divers (1982), Printemps et autres saisons (1989), Cœur brûle et autres romances (2000)…
Modeste, il l’est aussi par son titre et son sujet : « le pied » pourrait sembler aux yeux de certains un sujet terre à terre, un sujet manquant de noblesse et de hauteur… Pourtant dans ces neuf « fantaisies », Le Clézio s’attache à brosser le portrait de femmes, fortes et « puissantes » qui affrontent le réel, qui se battent, qui se tiennent debout en toutes circonstances face à l’adversité. Ce sont des sœurs de Bea B., de Lalla, de Gaby, Zinna ou Zobeïde. Elles marchent, elles avancent, elles ont les pieds sur terre, elles restent stoïques face aux aléas de la vie. À commencer par Ugine dont « le pied ne s’abandonne pas. Debout face au vent et à la mer, comme s’il résistait ». Ugine qui devra corriger, enfermer ses pieds plats, les punir en faisant de la danse, en portant des talons hauts… et qui acceptera sa grossesse, refusera le suicide et gardera son enfant contre l’avis de son amant Samuel… En continuant avec Fatou, enfermée dans l’île de Gorée, qui partira sur les traces de Watson qui a voulu venir en Europe et dont elle retrouve la trace en prison… Pour finir avec Andrea qui raconte l’histoire de « Maya la vieille indienne » aux filles qui sont enfermées dans le silence et la violence de la prison… Chacune pour s’en sortir, fait de son mieux, fait de ses pieds, de ses mains, de sa langue.
Neuf histoires de femmes et d’enfants, neuf histoires de vie quotidienne, neuf histoires « terre à terre » qui ne font pourtant « qu’une seule histoire, toujours la même, jamais semblable, toujours nouvelle » (p. 329), une « histoire commune ». Que ce soit en France ou en Afrique, sur l’île de Gorée, à Lanzarote, à l’île Maurice… que ce soit dans le métro de Paris, de Londres, de Séoul… ces histoires racontent toujours les violences faites aux femmes, aux enfants, les exils, les prisons, les guerres.
Cependant le propos reste libre de toute théorie ou idéologie. Le Clézio parle du monde qui nous entoure sans faire de morale, ni de leçon (tout juste un « apologue, à peu près »). Ses personnages ne sont pas des héros ou des héroïnes, mais plutôt des anonymes, des sans-noms, ils ne sont « personne » comme ce jeune qui devient soldat « quand il reviendra, il ne sera plus personne » (p. 319), et aussi comme ces mort-nés parce que leur mère enceinte est tuée dans un attentat kamikaze… et peu importe que cela soit à Tripoli, à Jenine, à Algésiras ou à Kandahar !
Modestie et liberté qui laissent à l’auteur la possibilité d’une véritable « créativité » dans son travail d’écriture dont il dit dans le texte final que cela ne peut être qu’une « aventure », qu’un écrivain ne peut être qu’un « chasseur aventureux » guidé par l’instinct. Espérons que Le Clézio continuera à observer le monde qui l’environne et de rapporter dans sa gibecière de conteur des histoires, des faits divers, des romances, des fantaisies dont la force, la nouveauté mais aussi la fraîcheur, la naïveté, loin de se répéter et de nous endormir, continueront aussi à nous étonner et nous réveiller.
La réponse leur est donnée d’emblée avec le titre du recueil qui vient de paraître Histoire du pied (pied de nez à ses détracteurs éventuels ?). Chacun sera rassuré, Le Clézio a les pieds bien sur terre : le recueil est un modèle de modestie, de liberté et de créativité. Modeste d’abord, parce qu’en choisissant un recueil composé de 9 nouvelles et d’un « à peu près apologue », il privilégie le genre court et non le roman. Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on se rappelle que pour lui, il n’y a pas de hiérarchie entre les genres, « les genres littéraires existent, mais ils n’ont aucune importance » écrivait-il en 1966 dans L’extase matérielle. Il n’y a ni genre majeur ni genre mineur : « Les poésies, les romans, les nouvelles sont de singulières antiquités qui ne trompent plus personne […] L’écriture, il ne reste que l’écriture » comme il l’affirmait déjà en 1965 dans la lettre introductive à son premier recueil La Fièvre. Les trente volumes parus depuis montrent qu’il n’a jamais cessé d’alterner et de mêler les textes courts et les romans.
Libre donc par rapport aux genres, il l’est aussi par rapport aux étiquettes et aux définitions… (ce qui déplaira peut-être aux puristes qui pensent posséder une définition de la nouvelle) avec le sous titre « et autres fantaisies » qui prévient le lecteur qu’il prend quelques libertés ; ainsi certains textes relèvent du conte comme « L’arbre Yama », d’autres de la biographie historique comme « L.E.L., les derniers jours » qui raconte la vie de la jeune poétesse anglaise Letitia Elizabeth Landon, partie en Afrique suivre son mari, qui se bat jusqu’à la mort pour rester en vie dans un milieu hostile, et d’autres enfin de l’apologue ou « à peu près »… Mais n’oublions pas que les recueils précédents possédaient aussi des sous-titres, qui dénotent un refus de s’enfermer dans une quelconque définition. Rappelons-nous de La fièvre et autres petites fictions (1965), Mondo et autres histoires (1978), La Ronde et autres faits divers (1982), Printemps et autres saisons (1989), Cœur brûle et autres romances (2000)…
Modeste, il l’est aussi par son titre et son sujet : « le pied » pourrait sembler aux yeux de certains un sujet terre à terre, un sujet manquant de noblesse et de hauteur… Pourtant dans ces neuf « fantaisies », Le Clézio s’attache à brosser le portrait de femmes, fortes et « puissantes » qui affrontent le réel, qui se battent, qui se tiennent debout en toutes circonstances face à l’adversité. Ce sont des sœurs de Bea B., de Lalla, de Gaby, Zinna ou Zobeïde. Elles marchent, elles avancent, elles ont les pieds sur terre, elles restent stoïques face aux aléas de la vie. À commencer par Ugine dont « le pied ne s’abandonne pas. Debout face au vent et à la mer, comme s’il résistait ». Ugine qui devra corriger, enfermer ses pieds plats, les punir en faisant de la danse, en portant des talons hauts… et qui acceptera sa grossesse, refusera le suicide et gardera son enfant contre l’avis de son amant Samuel… En continuant avec Fatou, enfermée dans l’île de Gorée, qui partira sur les traces de Watson qui a voulu venir en Europe et dont elle retrouve la trace en prison… Pour finir avec Andrea qui raconte l’histoire de « Maya la vieille indienne » aux filles qui sont enfermées dans le silence et la violence de la prison… Chacune pour s’en sortir, fait de son mieux, fait de ses pieds, de ses mains, de sa langue.
Neuf histoires de femmes et d’enfants, neuf histoires de vie quotidienne, neuf histoires « terre à terre » qui ne font pourtant « qu’une seule histoire, toujours la même, jamais semblable, toujours nouvelle » (p. 329), une « histoire commune ». Que ce soit en France ou en Afrique, sur l’île de Gorée, à Lanzarote, à l’île Maurice… que ce soit dans le métro de Paris, de Londres, de Séoul… ces histoires racontent toujours les violences faites aux femmes, aux enfants, les exils, les prisons, les guerres.
Cependant le propos reste libre de toute théorie ou idéologie. Le Clézio parle du monde qui nous entoure sans faire de morale, ni de leçon (tout juste un « apologue, à peu près »). Ses personnages ne sont pas des héros ou des héroïnes, mais plutôt des anonymes, des sans-noms, ils ne sont « personne » comme ce jeune qui devient soldat « quand il reviendra, il ne sera plus personne » (p. 319), et aussi comme ces mort-nés parce que leur mère enceinte est tuée dans un attentat kamikaze… et peu importe que cela soit à Tripoli, à Jenine, à Algésiras ou à Kandahar !
Modestie et liberté qui laissent à l’auteur la possibilité d’une véritable « créativité » dans son travail d’écriture dont il dit dans le texte final que cela ne peut être qu’une « aventure », qu’un écrivain ne peut être qu’un « chasseur aventureux » guidé par l’instinct. Espérons que Le Clézio continuera à observer le monde qui l’environne et de rapporter dans sa gibecière de conteur des histoires, des faits divers, des romances, des fantaisies dont la force, la nouveauté mais aussi la fraîcheur, la naïveté, loin de se répéter et de nous endormir, continueront aussi à nous étonner et nous réveiller.
Joël Glaziou
Nouvelles du jour et de la nuit, Hubert Haddad, Zulma,
( 2 coffrets de 5 volumes de 128 pages), 30 € le coffret
Haddad : de l’arabe hadidâ, qui signifie morceau ou barre de fer, désignant soit le métier de forgeron, soit un homme endurant.
Cette définition s’applique parfaitement à Hubert Haddad. Il est à la fois ce forgeron, cet artisan, qui entre jour et nuit, entre réalité et fiction, crée avec ses mots, ce langage toujours ciselé et réinventé, un véritable univers où la permanence côtoie l’insaisissable. Il est aussi l’auteur de ces deux coffrets de plus de soixante nouvelles qui s’organisent et s’articulent pour former une énième pièce qu’il convient d’ajouter à l’originale horlogerie de cette œuvre qu’il construit depuis plus de vingt ans. Pourtant de l’artisan à l’artiste, le pas se franchit sans encombre. Une fois de plus Hubert Haddad nous offre un instant de lecture à part, pur et vrai. Un instant de grâce.
Le lecteur se retrouve au centre d’un puzzle, certaines nouvelles étaient déjà très connues, et pourtant, tout semble recréé, repensé. Cette organisation, cette dissociation entre jour et nuit apporte beaucoup. Alors, se reconstitue un ensemble, les deux côtés d’une même pièce, le dieu Janus d’une pensée. Prises individuellement ou dans leur unité, les histoires se livrent sans fard au lecteur et se déroulent, les personnages s’animent dans un espace entre songe et réalité. Ces Nouvelles du jour et de la nuit forment un territoire à part entière, et à la fois très singulier. On sent que tout peut y arriver, les aventures seront multiples, les rencontres laisseront des traces. On y croise des individus simples, perdus entre leurs désirs et leurs peurs, des individus qui se heurtent parfois à la fine paroi qui sépare le réel de l’onirique. Apparaissent aussi tour à tour des monstres, des clowns, des entités venues des temps les plus anciens, ou des êtres mystérieux tout droit sortis de l’avenir. Les lieux aussi sont déroutants. Le lecteur est projeté dans une vision kaléidoscopique, fragmentée, proche des tableaux de Dali, là où rien n’est vraiment ce qu’il y paraît. Mouvements, fusions, distorsions, on sent sous la croûte encore mille autres mondes s’agiter. Ainsi l’écrivain nous fait passer d’un château en ruines au pont d’un navire qui va sombrer dans l’écume, du cœur d’une ville royale aux couloirs d’un musée antique, pour nous égarer dans une bibliothèque bannie, au sein d’un monde où les livres ont disparu.
Souvent revient ce thème, ou cette peur de l’errance, du vagabondage, on emprunte de nombreuses routes, sinueuses, inextricablement enchevêtrées dans un paysage désolé. Mais même dans les plus sombres descentes aux enfers, nous, Orphée, sommes toujours guidés par cette écriture forte, élégante, qui non simplement jolie, cherche à s’approcher au plus près de la vérité. Les mots d’Haddad résonnent encore longtemps dans la tête du lecteur. Cette langue déroutante semble couler naturellement. Elle cache pourtant un vrai travail, on sent toute l’énergie et l’amour de cet écrivain pour ces (ses) mots, de ceux qui ne s’offrent qu’après une longue lutte. L’œuvre d’Hubert Haddad porte les stigmates de cet acharnement, les stigmates de ses folles histoires qui ne peuvent naître que de la rencontre foudroyante d’un artiste et de son matériau.
À cette œuvre encore inclassable, à certains moments fantastique, à d’autres historique, toujours poétique, aucune étiquette ne peut convenir. De l’invention, de la fantaisie, voire de la folie, c’est cela qui s’insinue dans les veines du lecteur. Que vous décidiez de picorer, piochant de-ci de-là un texte, vous en remettant au hasard, ou que vous plongiez à cœur perdu dans le tourbillon de ces deux coffrets, vous ne lirez plus jamais pareil.
Coralie Auder