jeudi 28 juin 2018

PRIX DE LA NOUVELLE D'ANGERS : plus que 3 finalistes !


En février, quand la compétition commença, nous avions enregistré 111 recueils.
Et au fil des jours, des semaines et des mois, les 6 groupes de lectrices et de lecteurs ont lu, relu, échangé, discuté, comparé… et par les tris et les filtrages successifs ont tout d’abord « nominé » 28 recueils, puis ils en ont « présélectionné » 14… pour ne retenir que 3 recueils « finalistes » !

Les 3 nouvellistes ont été informés… mais il leur faudra encore être patients et attendre le début du mois de septembre pour savoir lequel d’entre eux montera sur la plus haute marche pour recevoir les lauriers !

D’ici là, les 23 personnes qui composent le jury final devront au cours de l’été choisir entre les  recueils dont les thématiques abordées, les compositions et les styles sont très différents… Que le meilleur gagne !

D’ores et déjà les finalistes sont assurés de voir une nouvelle extraite de leur recueil publiée dans le N° 53 de la revue Harfang qui sortira le jour de la remise du Prix, le vendredi 16 novembre 2018 et où l’on pourra lire un entretien avec le (ou la) lauréate.

Ainsi nous espérons faire partager nos plaisirs de lecture. C’est dans ce même esprit que chaque participant recevra, fin novembre, un exemplaire du recueil primé (et publié aux éditions Paul&Mike).

Avant même la fin de cette belle compétition (rappelons que ce prix est le seul qui récompense un recueil sur manuscrit), que les 111 participants soient ici remerciés.

 

mercredi 27 juin 2018

COUPS DE COEUR POUR L'ETE : JAUFFRET, MAUGUIN, PUJOL


Avant de boucler la valise ou le sac à dos, n’oubliez pas de glisser un recueil ou deux, en pensant aux heures de transport dans le train, l’avion ou le bateau, aux moments de pause sur le sable ou sur l’herbe au bord d’un chemin… Et recueillez-vous à l’ombre d’un arbre ou d’un parasol ! Selon votre humeur et la couleur du ciel, Harfang vous propose ses coups de cœur pour l’été : du noir avec Régis Jauffret au rouge avec Véronique Pujol en passant par une palette de toutes les couleurs avec Marc Mauguin… et Edward Hopper.

Bon été et bonnes lectures !

Microfictions 2018, Régis Jauffret, Gallimard, 1024 pages, 25 €
Même si le mot « roman » est écrit sur la couverture, il s’agit bien de 500 « microfictions » de deux feuillets maximum (comme pour le premier volume de Microfictions paru en 2007). L’on sait bien que les notions de genre, les appellations sont souvent de simples étiquettes sur un emballage. Roman donc, mais aussi fragments de vies et nouvelles du monde d’aujourd’hui.
L’essentiel est que l’ensemble ainsi constitué offre un tableau  exceptionnel de notre société contemporaine à travers des récits de vie, tous écrits à la première personne, alternativement masculine ou féminine. Cette collection de « curriculum vitae » concurrence à la fois les registres d’état civil, les pages blanches de l’annuaire téléphonique (il est d’ailleurs classé par ordre alphabétique des titres d’Alexandre Crémeux à Xavière Téton) et le dictionnaire des personnages de la Comédie Humaine de Balzac… qu’il faudrait simplement rebaptiser « tragédie humaine » en raison de la noirceur accumulée d’un bout à l’autre.
Car toutes les vies y sont ratées, contrariées, empêchées.
Tout y est misérable qu’il s’agisse de travail, d’argent ou de sexe. Tout y est maladie (comme dans « Papa cancer » ou « Moi le sein, lui la prostate »), crime (« Poisson pané ») et perversion (« Vendredi sodomie » ou « Nuit de Walpurgis »).
Tout y est violence quotidienne dans la société, au bureau, en famille où se succèdent suicides, infanticides…
On ne peut qu’être perturbé par la noirceur du propos et en même temps on ne peut être qu’admiratif devant la prouesse qui réside sans doute dans le style parfaitement maîtrisé à la fois dans chaque texte écrit au couteau, creusant la vie et les chairs dans les moindres détails et aussi dans l’impression d’unité qui se dégage de l’ensemble dont la lecture ne peut laisser indemne.
  Joël Glaziou


Les attentifs, Marc MAUGUIN, Collection « Les Passe-murailles », Robert Laffont, 192 pages, 18 €

 Avec ce recueil, M. Mauguin inaugure une nouvelle collection qui se propose de mettre des mots « entre rêve et réalité » sur des tableaux, des photographies ou des films…
Il a choisi 12 tableaux du peintre américain Edward Hopper (1882-1967). Tableaux que chacun a en mémoire et que chacun croit connaître. Mais ici ils sont revisités. Car les personnages, souvent des femmes, se mettent à vivre sous nos yeux. Souvent figés sur la toile comme dans un arrêt sur image,  on les voit s’animer comme dans un film, on découvre leurs sentiments, leurs émotions, leurs sensations, leurs attentes. D’où le titre peut-être puisqu’ils sont tous sens en alerte, en attente d’une suite. Peu à peu leur histoire se révèle en développant un détail de leur vie passée ou en dévoilant ce qui se cachait derrière l’image instantanée du présent. Un détail au « second plan » d’un paysage ou d’un décor intérieur pouvant devenir l’élément central au « premier plan » de la nouvelle.
Chaque tableau pourrait alors n’être qu’un « pré-texte » mais les mots n’en sont ni la traduction ni la trahison. La réussite de ce recueil est d’avoir été au-delà en proposant une analyse psychologique et sociologique de l’Amérique des années 1930-1960. Ce qui aurait pu être un jeu de miroir entre image et texte, simple plaisir de lecture, divertissement léger, devient plus grave -sans aucune lourdeur ni didactisme- en informant sur la situation sociale et en interrogeant sur les drames vécus par chacun. Entre grave et léger, chaque tableau invite à pénétrer un aspect de la vie américaine, de la vie d’un homme, d’une femme avec ses interrogations, ses drames quotidiens à travers divorces, départs, abandons, fuites... Devant l’extrême variété des sujets abordés, l’unité de cette suite est assurée par certains personnages récurrents. On passe de la nostalgie pour une femme à sa fenêtre quand le passé revient (dans « Lointain ») à la jalousie pour celle qui repense à sa vie (dans « Ombre portée »). On passe de l’hypocrisie face aux codes et aux convenances d’une société (dans « Premier plan ») aux interrogations sur la vieillesse, la maladie (dans « Contraste » et « Empâtement ») et la pensée de la mort (dans « Cadres »).
M. Mauguin réussit là une belle galerie de portraits qui transporte le lecteur au cœur de l’Amérique du XXe siècle.

Joël Glaziou

 
Sanguines, Pascale Pujol, Quadrature, 96 pages, 15 €

Si les mots fleurissent quand il s’agit de parler des règles, menstrues, lunes et autres fleurs rouges arborées par les femmes chaque mois, P. Pujol a choisi de parler de « sanguines », mot riche de sens et de sang. Et d’en parler sans tabou en utilisant différents registres et tonalités pour mieux s’adresser à tous les gen(re)s, pour mieux montrer comment les femmes mais aussi les hommes appréhendent cette réalité cachée, souvent refoulée.
Si certaines attitudes relèvent de pratiques occultes proches de la « magie rouge » où Vénus est invoquée pour séduire un homme, proches des « délires ésotériques » chez trois colocataires qui cochent leur calendrier mens(tr)uel en attente de vérifier « l’alignement des planètes » ou encore proches des rituels d’initiation ou de « passage » lorsqu’on se transmet de mère en fille « la boîte à secrets », d’autres attitudes vérifient encore la permanence de tabous lorsqu’un simple « vernis à ongles » sur les doigts signifie l’interdiction de toutes relations sexuelles. Et « la coupe est pleine »  lorsque les membres  (tous plus sexistes et machistes que les autres) d’un conseil de direction d’une entreprise essayent de trouver les meilleurs moyens d’écouler leur production de serviettes périodiques.
Mais les plus nombreuses enfreignent ou renversent les interdits, préjugés, codes et autres « règles » sociales habituelles. Ainsi lorsque les hommes, ces « messieurs Ragnagnas » se retrouvent au rayon de l’hygiène féminine dans une grande surface. Quand un jeune homme décroche son premier emploi dans la société « Lady net » spécialisée dans le nettoyage des toilettes féminines. Enfin quand un médecin, tout en discutant autour d’un « samovar », fait changer d’avis une jeune femme venue pour avorter avant son mariage.
Sanguines est bien ce mot juste, ce fil rouge qui permet d’enchaîner sans lourdeur les données biologiques, sociales, économiques qui traversent ces douze « tableaux »… sans oublier -last but not least-  la donnée esthétique quand on désigne ainsi quelques œuvres sur papier qui n’ont jamais si bien porté ce nom et qu’on présente pudiquement sous l’appellation de « technique mixte » !
Sanguines : un recueil à lire sans modération et à mettre entre toutes les mains… sans aucune protection.  
Joël Glaziou

 

dimanche 10 juin 2018

MICROFICTIONS 2018 de R. JAUFFRET : nouvelles ou/et roman ?


En juillet 2015, nous nous interrogions ici même sur la différence entre roman et recueil de nouvelles et sur la confiance que le lecteur peut accorder aux appellations et délimitations de genres. Depuis, les exemples sont nombreux qui démontrent que les frontières entre genres sont plus poreuses qu’il n’y parait.

En 2016, Tristan Garcia publie « 7 » aux éditions Gallimard et décroche le Prix France Inter. Cet ouvrage est sous-titré « romans » et la quatrième de couverture annonce qu’il s’agit de « sept romans miniatures » mais l’on pourrait dire aussi qu’il s’agit de sept longues nouvelles, de sept récits indépendants dont le lecteur découvre au fil des 570 pages qu’ils sont étroitement liés.

 
En d’autres temps, des écrivains ont essayé de conceptualiser cette double appartenance et ont proposé des appellations intéressantes même si elles sont aujourd’hui oubliées. Marcel Arland parlait de « recueils ensembles » à propos de Il faut de tout pour faire un monde (Gallimard, 1947) ou L’eau et le feu (Gallimard, 1956). Plus récemment Jean-Noël Blanc parle de « romans-par-nouvelles » à propos de Esperluette et compagnie (Seghers, 1991) ou Hôtel intérieur nuit (HB éditions, 1995).

 
 
 

Un autre exemple intéressant est celui de Régis Jauffret qui vient de publier Microfictions 2018 (Gallimard) après Microfictions (Gallimard, 2007). Dans les deux cas, il s’agit de 500 « microfictions » de deux feuillets maximum. Dans les deux cas, de même que pour Bravo (Gallimard, 2015) les ouvrages sont sous titrés « roman », selon la volonté commune de l’éditeur et de l’auteur. Cependant, premier paradoxe, les membres de l’Académie Goncourt n’ont pas tenu compte de cette donnée puisqu’ils viennent de lui attribuer le Prix Goncourt de la Nouvelle 2018. Second paradoxe quand l’auteur lui-même annonce que l’ouvrage rassemble des histoires d’hommes et de femmes qui composent le « roman de la foule » et déclare aussi dans Lire (en février 2018) que c’est « un dictionnaire d’histoires qui peut être lu d’une traite… ou on peut piocher dedans comme on l’entend. À l’endroit, à l’envers, dans n’importe quel sens ».

 


 On peut alors s’interroger pour savoir quels critères permettent d’affirmer qu’une nouvelle (ou une microfiction) peut devenir roman ou morceau de roman.

D’un côté, pour l’auteur, il y a bien un même travail d’organisation et de composition en recherchant tous les moyens d’assembler des nouvelles en recueil ou des chapitres en roman. De ce point de vue, on ne voit pas en quoi le recueil serait inférieur au roman et le « complexe » du nouvelliste par rapport au romancier n’a pas lieu d’être.

Du côté de l’éditeur, on peut soupçonner depuis des lustres qu’il privilégie par stratégie commerciale l’appellation de « roman » plus porteuse en termes de ventes et de chances d’obtenir un prix (les prix de la nouvelle se comptant sur les doigts de la main !).

Mais c’est peut-être du côté du lecteur que les critères sont les plus pertinents. Car ce dernier lit de manière linéaire de la première à la dernière page ce qui s’impose pour un roman ou bien il lit de manière aléatoire « dans n’importe quel sens »  selon la formule de R. Jauffret ce qui n’est pas possible pour un roman qui implique une chronologie avec un début et une fin.

Il n’en reste pas moins que certains ouvrages se moquent des critères, des frontières, des appellations et des délimitations. D’ailleurs n’est-ce pas ce qu’on demande avant tout à un auteur, un créateur sinon de ne pas répéter les formes, les moules, les genres préexistants mais plutôt de les subvertir et de créer de nouvelles formes, de nouveaux modèles, de nouveaux concepts ! La nouvelle portant bien son nom quand il s’agit dans une sorte de laboratoire littéraire de forger de nouvelles formes.

Alors selon ce critère, on peut établir

-           Qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles quand chaque nouvelle peut être lue de manière isolée et que l’ensemble peut être lu de manière aléatoire.

-           Qu’il s’agit d’un roman quand la lecture ne peut être que linéaire de la première à la dernière page.

-           Que certains ouvrages « transgéniques » peuvent comporter certaines caractéristiques du roman et du recueil… que l’on peut lire à la fois -successivement sinon simultanément- comme un roman et comme un recueil de nouvelles.

Le paradoxe soulevé par les Microfictions de Régis Jauffret n’est donc qu’apparent. Et c’est sans doute là toute l’originalité de son propos et de son projet. Et c’est sûrement là aussi tout le plaisir que le lecteur peut trouver dans sa lecture.

Joël GLAZIOU