mercredi 27 février 2013

Coup de coeur de l'hiver : "Dix rêves de pierre" de Blandine Le Callet


Parmi les nombreux recueils parus ces deux derniers mois et arrivés dans la boîte à lettres d’Harfang, notre chouette fétiche a eu un coup de cœur pour le recueil de Blandine Le Callet…
 
 
 
Dix rêves de pierre, Blandine Le Callet, Stock, 254 pages, 18 €
 
La forme lapidaire de certains faits divers (« les nouvelles en 3 lignes » de F. Fénéon en étant la forme la plus aboutie) a permis à beaucoup de nouvellistes de révéler et de développer quelques « vies minuscules ».
Dans un registre proche, B. Le Callet a choisi de collecter quelques épitaphes dont la puissance d’évocation l’a poussée à écrire la légende de dix rêves de pierre et à faire surgir les fantômes d’hommes et de femmes disparus depuis des siècles…
Chaque dalle funéraire n’est-elle pas une couverture de pierre refermée sur une vie ? Quelques mots inscrits sont comme le résumé d’une histoire. Quelques mots qui donnent envie d’en savoir plus : il suffit alors d’ouvrir et de feuilleter les pages. Quelques mots seulement pour ressusciter les morts et rappeler quelques moments forts de leur vie.
Ainsi au IIè siècle en Turquie, Thrason élève une stèle en mémoire de ses deux fils et d’Hermès leur précepteur qui est mort en protégeant les deux enfants lors d’un tremblement de terre alors qu’à Lyon Pompeius Catussa élève un tombeau à la mémoire de son épouse incomparable, Blandinia, jeune femme innocente morte à l’âge de 18 ans, 9 mois et 5 jours
Dans la cathédrale de Rouen en 1103, on enterre Sibylle qui meurt empoisonnée par les « amandes amères » et la jalousie de Robert, son  mari de retour de Croisade… tandis que dans l’église Saint Jean de Grève, « gisent le frère et la sœur », Julien et Marguerite, accusés d’inceste et d’adultère, exécutés en Place de Grève à Paris en 1603.
Au XIXè siècle, un certain Jacques Jouet, bon époux bon père, grand philanthrope, meurt par hasard dans une maison de passe dont la patronne lui avait promis de financer ses bonnes œuvres : il repose au cimetière du Père Lachaise. Et en Isère, on s’incline devant un « ange au ciel » et devant les hortensias sous lesquels tous les enfants nés avant terme à 7 mois de grossesse sont enterrés sans épitaphe !
Enfin en ce début de XXIè siècle que dire devant cette formule gravée dans la pierre : « Maman tu as semé la zizanie entre tes enfants. Repose »… sinon qu’il faut toujours faire attention aux petits carnets que l’on laisse derrière soi !
De la plus ancienne à la plus récente, ces dix nouvelles historiques ont en commun d’être souvent révélatrices d’une époque, avec ses croyances, ses problèmes, ses mœurs… Dix nouvelles comme dix peintures de genre où une présence animale, quelque chien jaune, chiot ou autre bâtard affectueux est à la fois le témoin, le messager de mauvaise augure et aussi la signature vivante qui authentifie la scène comme le faisaient certains peintres des siècles passés.
Décidément, ce recueil est un cimetière virtuel plein de vie !
Un recueil remarquable que les prix à venir devraient bien récompenser…
Joël Glaziou