"- Que faisiez-vous au temps chaud ?
- Nuit et jour à tout venant
je lisais, ne vous déplaise !
- Et que lisiez-vous donc ?
- Outre les 4 recueils finalistes du Prix de la Nouvelle d'Angers 2012...
outre les "petits polars du Monde" (13 nouvelles publiées en petit format par le Monde chaque semaine pendant l'été, signées entre autres par Daeninckx, Granotier, Pelletier, Pelot, Pouy, Quint, Villard...), j'ai dégusté le premier recueil de 2 nouvellistes :
- Frédérique Germanaud pour "La chambre d'écho" aux éditions L'escampette (dont Harfang avait publié "Le silence des hérons" dans son numéro 36)
- Benoît Camus pour "Import Export" aux éditions Jacques Flament (dont Harfang avait publié "Lampedusa" dans son numéro 33)
Deux petits bijoux à lire sans attendre. Qu'on se le dise !
La chambre d’écho, Frédérique Germanaud, L’Escampette, 128 p. 14 €
Pour
son premier recueil, F. Germanaud
a choisi de brosser le portrait de cinq solitaires, de ceux qui ont choisi de
se dépouiller du poids de la vie urbaine pour se retrouver dans le silence face
à eux-mêmes et à la nature. « Mise à
l’écart volontaire » de celui ou celle qui « regarde le monde sans être vu », qui s’efface et se fond dans le paysage jusqu’à devenir
transparent. Retiré en ces lieux d’oubli, chacun aiguise ses sens,
l’observation précédant toujours la réflexion. C’est vrai pour ce parisien, qui
vient passer quelques « jours de sable »
pour se refaire une santé dans une maison à la frontière du désert algérien… Pour
ce pêcheur au carrelet isolé dans sa cabane de la côte atlantique… Pour ce
passeur qui a quitté son navire pour jeter l’ancre sur une île plantée de
saules…Pour cette exilée venue tenir son « rouge
café » sur une île de Loire… Ou encore pour ce vieil écrivain (Julien Gracq ?) qui passe sa retraite face
au « silence des hérons ».
Sans doute, F. Germanaud
n’a-t-elle fait que croiser ces solitaires… Sans doute, les a-t-elle
observés sans leur parler… Sans doute ont-ils en commun de trouver dans le lieu
-toujours situé à la lisière, à la frontière de deux mondes (maison, cabane,
île ou chambre…)- un équilibre entre le
monde extérieur et leur monde intérieur… qui résonne alors comme une « chambre d’écho ». Mais
au-delà de l’observation, l’imagination a permis à la narration et aux
descriptions de se développer en écho
avec ce qu’elle ressentait elle-même.
Car
ces cinq portraits alternent avec des textes où l’auteur -par un retour sur
elle-même - se livre de manière plus personnelle en évoquant des souvenirs d’enfance
et offre aussi les éléments permettant de comprendre la genèse de chacun des
textes. Où l’auteur livre aussi ses références littéraires (Follain, Vernet…) et picturales (Debré, Soulages…). Où l’auteur enfin
livre ses réflexions sur l’écriture et
montre son souci de trouver le mot juste, de nommer chaque fleur, chaque
plante, de chercher la poésie des mots.
Là
résident sûrement l’originalité et la réussite de ce recueil, qui est d’avoir su
trouver un juste équilibre entre des genres souvent considérés séparément :
la nouvelle, l’essai et la poésie.
Import-Export, B. Camus, Jacques Flament éd., 148 p., 13 € 90
Les êtres humains sont-ils des marchandises, comme
pourrait le laisser supposer le titre de ce recueil et comme le montrent certains
faits divers à la une des médias ? Depuis 2007, Benoît Camus (dont la première nouvelle « Lampedusa » publiée dans le N°33 ouvre le recueil) collectionne ces drames quotidiens : exilés
ou émigrés contraints de quitter leur pays, clandestins traversant les
frontières souvent arrêtés ou refoulés, sans papiers frappant aux portes de nos
pays qui leur semblaient un
eldorado… La liste est longue et nous
est connue : la répétition des comptes-rendus journalistiques les noie
dans l’anonymat des foules ! Mais loin de cela, B. Camus donne un nom et un visage aux hommes et aux femmes
dont il raconte l’histoire, la quête personnelle… Loin de tout manichéisme, il
montre la complexité de chaque cas, il démonte la logique du clandestin tout
comme celle du policier, du passeur, celle du marin ou du camionneur.
Même
si la plupart du temps, il s’agit bien d’un
commerce pour acheter le « passage »… on se demande s’il n’y a pas
tromperie sur la marchandise. L’un fuit un monde de misère… pour un monde de
richesse : mais n’est-ce pas un mirage ? L’autre part à la recherche d’une
vie meilleure… mais cela vaut-il de
perdre la vie ? D’autres fuient un monde d’exploitation pour plus de
liberté… soit, mais que faire, sans papier, en pays étranger ? Ainsi deux
survivants de l’enfer qui, passant de Birmanie en Thaïlande, s’échappent de
leurs travaux forcés et enfin libres… se demandent : « On va où maintenant ? »
Ce faisant, B. Camus
nous plonge au cœur des tragédies de notre époque moderne, dans la conscience
des marins se demandant s’il faut jeter les clandestins par-dessus bord, dans celle
du policier s’interrogeant sur la nécessité d’arrêter ceux qui franchissent la
frontière. Ni discours, ni morale de la part de l’auteur, certaines nouvelles
se terminant non par la chute fatale… mais par une ouverture sur un avenir
incertain !
Joël Glaziou
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