Si une hirondelle
ne fait pas le printemps, un prix littéraire ne fait pas plus le printemps de
la nouvelle ! Cependant, ces quelques semaines, cinq prix littéraires
viennent de récompenser cinq recueils de nouvelles parus depuis un an…
Pour autant n’est-ce
là qu’une manifestation printanière ? une exception culturelle… (« ah !
la belle cérémonie traditionnelle de remise de prix… ! » diront même certains
sur un ton nostalgique) ?
N’est-ce là qu’une
opération commerciale ? On peut en douter, car cela se saurait… Si les Goncourt,
Renaudot, Fémina, Médicis et autres Grands Prix font vendre, les
« petits » prix, notamment ceux de la nouvelle, font rarement parler
d’eux et sont peu mis en avant : pas de tête de gondole, pas de bandeau de
couverture pour les recueils dont nous allons parler ! Alors quelle est
leur véritable utilité ?
Est-ce un moyen de faire
émerger quelques titres de qualité des énormes vagues de publications qui
inondent toute l’année nos librairies ? Mais ne rêvons pas… loin des milliers
de romans qui paraissent chaque année en France, le nombre de recueils de
nouvelles publiés est limité : même pas une centaine, quelques dizaines
tout au plus, toutes éditions confondues !
Alors après la
première sélection faite par les éditeurs et les critques, est-il nécessaire de
faire un nouveau tri ?
Est-ce un moyen de faire
émerger les valeurs « sûres » ? Si l’on regarde les décennies
qui viennent de s’écouler, et sans jugement sur les choix faits par les jurys,
constatons que certains recueils et nouvellistes sont déjà oubliés et ne
passeront sûrement pas à la postérité : qui se souvient de Stéphane Denis
et de son recueil « Elle a maigri
pour le festival » (Fayard), Bourse Goncourt 2001 ? D’autres au
contraire semblent faire la quasi unanimité des jurys : ainsi en 2008
trois prix (Goncourt de la Nouvelle, Prix Renaissance, Prix Thyde Monnier de la
SGDL) ont récompensé le recueil « Ultimes
vérités sur la mort d’un nageur » (Verdier) de Jean-Yves Masson (lire
Harfang N° 33). Et notons que les avis des jurys sont souvent concordants. Certains
nouvellistes ayant obtenu 2, 3 ou 4 prix parmi les plus prestigieux :
Annie Saumont : Goncourt en 1981, SGDL en 1989, Renaissance en 1991… ;
Christiane Baroche : Goncourt en 1978, SGDL en 1994… ;
Georges-Olivier Châteaureynaud : Goncourt en 2005… La liste serait longue.
D’autres encore
viennent couronner, parfois tardivement, un nouvelliste déjà reconnu. Ainsi le
Goncourt de la Nouvelle essayant de sauver sa valeur et se rattrapant en
récompensant Châteaureynaud en 2005 pour « Singe
savant tabassé par deux clowns » (Grasset) ou Didier Daeninckx en 2012
pour « L’espoir en
contrebande » (Cherche-Midi).
Enfin, force est de
reconnaître qu’un nouvelliste primé est souvent un romancier en puissance et qu’un
premier « petit prix » est souvent un tremplin pour une
reconnaissance plus générale et pour des prix plus importants : Jean
Vautrin, Goncourt de la Nouvelle en 1986 pour « Baby Boom » obtiendra le Goncourt en 1989 pour son
roman « Grand pas vers le bon
dieu » ; Philippe Claudel, Goncourt de la Nouvelle 2003 pour son
recueil « Les petites
mécaniques » (Mercure de France) obtiendra quelques mois plus tard le
Renaudot pour « Les âmes
grises » (Stock) et le Goncourt des lycéens 2007 pour « Le rapport de Brodeck » (Stock)…
Là aussi la liste serait longue.
Qu’en est-il en ce
printemps 2013 ?
Commençons par le
Goncourt de la Nouvelle (ex Bourse Goncourt de la Nouvelle) créée par Hervé
Bazin il y a juste quarante ans. Dès 1974, il récompensait Daniel Boulanger pour
« Fouette cocher »
(Gallimard), Christiane Baroche en 1978 pour « Chambre avec vue sur le passé » (Gallimard), Annie
Saumont en 1981 pour « Quelquefois
dans les cérémonies » (Gallimard)… et plus récemment Olivier Adam en
2001 pour « Passer l’hiver »
(L’Olivier).
Cette année, une
première sélection de 4 recueils décidée par les 10 jurés Goncourt a eu lieu vers
le mois de février et, début Mai, le Goncourt de la Nouvelle 2013 a été
attribué à Fouad Laroui pour son recueil « L’étrange
affaire du pantalon de Dassoukine » (Julliard). Rappelons que ce même
Fouad Laroui avait obtenu le Prix de la Nouvelle de la SGDL en 2004 pour son
recueil « Tu n’as rien compris à
Hassan II ».
La plupart des 9 nouvelles de ce recueil font référence au Café de l’Univers situé dans une ville du Maroc. Les propos qu’y tiennent les protagonistes pourraient avoir été tenus sur la Canebière avec des accents de Pagnol et de Giono… L’universalité des situations évoquées renvoie à l’absurdité de notre condition… traitée ici avec humour parfois teintée d’ironie, mais toujours avec une très grande humanité. En quelque sorte des brèves de comptoir traitant des situations de la vie quotidienne et des relations avec l’administration, les fonctionnaires…
Toute la force de ces nouvelles tient dans le fait que mêlant la tradition orale du conte et la modernité des situations et des propos, le lecteur est emporté par l’histoire, qui ne s’encombre ni de discours ni de morale… jusqu’à la fin, lorsqu’après le plaisir commence la réflexion, plus grave peut-être.
Le lecteur ne pourra jamais oublier ce fonctionnaire marocain, ridicule dans un pantalon emprunté, qui réussit cependant sa mission devant la Commission européenne à Bruxelles. Pas plus qu’il n’oubliera cet édile d’une petite ville à l’intérieur du Maroc qui en l’absence de piscine se verra contraint d’inventer le concept de « natation sèche ». Il n’oubliera pas enfin ce jeune qui découvre qu’il est « né nulle part »… et surtout pas à Khzazna un deux janvier comme l’indique sa carte d’identité !
Un recueil de 9 nouvelles à lire absolument !
Le 30 Mai dernier
le Prix SGDL de la Nouvelle 2013 a été attribué à « La fête sauvage » (Éditions du Chemin de fer » pour
la première fois conjointement à une nouvelle isolée d’Annie Mignard et aux
illustrations d’Emmanuel Tête… récompensant ainsi - à juste titre- le travail
d’un éditeur, d’une nouvelliste et d’un graphiste.
Dans cette nouvelle, Annie Mignard
part d’un fait divers datant de
1981 : en Italie, près de Rome, un enfant de six ans tombe dans un puits,
reste coincé trois jours et trois nuits avant de mourir sans qu’on puisse le
secourir sous les yeux de millions d’italiens qui suivent pour la première fois
un tel événement en direct sur les écrans de télévision.
Parallèlement au récit de la
tragédie personnelle vécue par l’enfant et sa mère qui continue de lui parler pendant
trois jours pour le rassurer, l’auteur analyse aussi la foule attirée par le
malheur, présente comme un chœur de tragédie antique commentant les faits et
propageant les rumeurs.
Brossant
le double portrait d’une mère en piéta antique sortie d’un tableau de la
Renaissance et d’une mère en piéta moderne assaillie par les micros et caméras
(ce que soulignent les dessins de Emmanuel Tête)
cette nouvelle atteint une dimension intemporelle et universelle. Hier, c’est
aujourd’hui et c’est demain. Après avoir donné à un fait divers journalistique
une épaisseur sociologique, elle permet d’entrevoir la vérité éternelle du
mythe : celui de la terre mère qui réclame son dû de chair fraîche, celui
du sacrifice d’un enfant au milieu d’une « fête
sauvage ». (extrait d’Harfang N°42)
Le Prix Renaissance de la Nouvelle, créé par Carlo Masoni et Michel Lambert en 1991 et doté de 3000 €, est remis chaque année à Ottignies (Belgique). Depuis 1992, il a récompensé, entre autres, Annie Saumont pour « Les voilà quel bonheur ! » (Julliard) en 1994, Hubert Haddad pour « Mirabilia » (Fayard) en 2000, Marie-Hélène Lafon pour « Liturgie » (Buchet-Chastel) en 2003… Le jury est composé d’une demi-douzaine de nouvellistes belges et français.
Cette année, pour
sa 22e édition, le Prix Renaissance de la Nouvelle a été remis à
Roger Grenier pour son recueil « Brefs
récits pour une longue histoire » (Gallimard).
Après une dizaine de recueils de
nouvelles et au moins autant de romans et d’essais, Roger Grenier (94 ans) offre
au lecteur 13 nouvelles légères et graves alternant des textes qui saisissent
de brefs morceaux de vie comme cet épisode de la Seconde Guerre Mondiale où le
jeune Olivier Marquis perd son pucelage, à la suite d’un quiproquo, en croyant
participer à la « libération de
l’Hôtel Matignon ! »… et d’autres brefs récits (plus éloignés de la conception traditionnelle de la
nouvelle) qui brossent la longue histoire
d’individus et de couples, de leur naissance jusqu’à leur mort. Qu’il s’agisse
de la vie réduite ici à trois feuillets de Louis Marin, que son épouse Béatrice
retrace « à son chevet »… Ou,
en quatre feuillets, de la passion amoureuse qui a réuni toute leur vie
Jean-François Privat et Geneviève Passin malgré leur mariage respectif… Ou
encore en six feuillets, toute la vie tumultueuse de Blanche Moulin « vamp, dompteuse de tigres et bonne de
curé » dont voici l’incipit pour le moins paradoxal : « Ceci n’est pas tout à fait une
nouvelle, plutôt un roman en raison de l’abondance des péripéties. Mais ce
n’est pas davantage un roman, puisque tout est vrai dans cette histoire… ».
Histoires, récits, romans… peu importe les appellations quand il s’agit de
bonnes nouvelles !
Le Prix Boccace (du
nom de l’écrivain italien auteur du recueil de contes « Le Décaméron » vers 1350, considéré comme le précurseur du genre de la nouvelle) a été créé en 2011 par
l’Association « Tu connais la Nouvelle ». Il est doté de 2500 € et
est soutenu par le Conseil Général du Loiret. Ont déjà été primés : en
2011 Frédérique Clémençon pour « Les
petits » (L’Olivier) et en 2012 Serge Pey pour « Le trésor de la Guerre d’Espagne » (Zulma). L’originalité
de ce Prix réside dans son fonctionnement puisqu’un premier choix est effectué
par un comité de sélection composé d’une demi-douzaine de nouvellistes (cette
année C. Baroche, J.-M. Blas de Roblès, D. Daeninckx, V. Engel; H. Le Tellier… entre autres, qui ont proposé cinq
recueils finalistes, sur les trente deux présélectionnés). Le choix final est
le travail d’un comité de lecture composé de bénévoles.
Le 9 juin dernier,
au Château de Chamerolles, près de Saint Jean de Braye (45), le troisième Prix Boccace a été remis à Arnaud
Modat pour son recueil « La Fée Amphète »
(Éditions Quadrature).
Arnaud
Modat fait partie de ces auteurs qui ont fait leurs premiers pas sur la toile,
notamment sur les forums consacrés à la nouvelle… Tout comme Lunatik avec « Tous crocs dehors » qui a
obtenu le Prix Inter’Halles en 2012 et qui est éditée aussi chez Quadrature. Tous
deux appartiennent à une nouvelle vague de nouvellistes pour lesquels la composition,
l’unité d’ensemble sont sans doute secondaires au profit d’une narration plus
forte et plus rythmée et d’un style plus baroque, qu’il faudra plutôt
orthographier « bas rock ». Car ils font entendre là une autre
musique, une nouvelle musique…
Certes,
ce recueil de onze nouvelles est quelque peu déjanté…Il est vrai qu’on y croise
des êtres étranges : un type qui rencontre la « Fée Amphète » sur une piste d’auto-tamponneuses dont il
cherche en vain la sortie... et qui se shoote à la barbe à papa (parce que « le prix au kilo de la barbe à papa
est supérieur à celui de la cocaïne »… et qu’ainsi il fait des
économies !).
Le lecteur est prévenu, s’il lit
la quatrième de couverture : « nombreux
sont les textes qui prêtent à sourire, mais le recueil ne sera pas remboursé en
cas de suicide au gaz. Certaines nouvelles peuvent contenir des résidus de cynisme
et des traces de noisette en quantités infimes ».
Le Prix Litter’Halles est le petit dernier de cette liste… le plus récent aussi puisque
sa première édition en 2012 a couronné le recueil de Lunatik « Tous crocs dehors » (lire
nouvelle et entretien dans Harfang N° 41). Il est organisé par une association
de Decize et est doté de 700 €. Le mode opératoire est innovant puisqu’il n’y a
aucun juré professionnel parmi les 65 membres composant les 9 comités de
lecture qui sélectionnent dans un premier temps une trentaine de recueils parus
dans l’année (36 en 2012), pour ne retenir dans un deuxième temps que sept
finalistes… avant de désigner le lauréat.
Cette année, le 5 mai dernier, Lunatik a symboliquement passé le relais au lauréat 2013: Patrick de Silva pour son recueil « À la guerre » (L’Amourier).
Ce
sont d’abord trois récits en triptyque comme les trois volets d’une tragédie qu’est
la guerre, la première ou la seconde, n’importe quelle guerre. Et il y a ceux
qui meurent à la guerre, mais il y a
pire pour ceux qui survivent à la guerre : les hommes qui en reviennent blessés,
« gueules cassées » et autres mutilés de la vie, sans oublier les
femmes qui en subissent les conséquences… et finalement les familles entières
qui explosent littéralement.
Ce
sont aussi trois confessions faites longtemps après les événements. Leur
violence fait écho aux horreurs de la guerre. D’abord la confession d’un enfant
bâtard, qui l’été de ses « dix ans »,
voit la guerre, puis l’Occupation et qui voudra venger sa mère tondue à la Libération.
Puis celle posthume d’un frère, infirme de naissance, qui avoue avoir « donné »
Tania la fiancée de son frère entré en Résistance (« Confession » qui n’est pas sans rappeler celle que
Marguerite de Thérelles fait à sœur au moment de mourir dans la nouvelle de
Maupassant). Celle enfin qui constitue le panneau central et le joyau de ce
recueil, long monologue (50 pages) d’une seule « coulée » de paroles
où une femme se délivre en révélant toutes les violences subies dans sa vie, depuis
le retour de guerre de son mari, comme autant des bombes à retardement : défiguration
au vitriol, meurtre, suicide, inceste, avortement… Face à un prêtre qui reste
silencieux dans l’ombre, c’est pour elle
le seul moyen pour retrouver un peu de bonheur de vivre « au soleil ».
Ce
sont finalement trois destins auxquels P. da Silva a su donner une langue, un
souffle et une force rares.
Les palmarès
montrent une belle alternance entre les nouvelles plumes à découvrir et les
plumes déjà reconnues.
Nous attendrons les
Prix distribués à l’automne pour conclure :
-
Le
Prix de la Femme renarde qui sera remis le 8 Septembre à Lauzerte (82) :
cinq recueils sont déjà sélectionnés pour la finale.
-
Le
Prix Ozoir’elles (jury de lectrices d’Ozoir et de six femmes écrivains) qui
sera remis le 26 octobre à Ozoir (77).
-
Les
Prix d’automne de la SGDL, notamment avec la première édition du Prix du
premier recueil, créé par Christiane Baroche (doté de 2000 €).
Mais d’ores et
déjà, on peut dire que le cru 2013 est de qualité et que ce millésime présente
des thématiques et des écritures très variées, des conceptions très différentes
de la nouvelle et du recueil et de nouvelles
tendances très intéressantes à découvrir.
Voilà donc des prix
de valeurs et des recueils de premiers choix… qui sont autant de conseils de
lectures à déguster dès maintenant… mais aussi des « valeurs sûres » à
conserver et à suivre dans les années à venir.
Notons aussi -- en raison du petit nombre d'éditeurs -- la difficulté pour les auteurs de recueils d'accéder à la publication de ceux-ci. En particulier, celle de leur premier recueil. C'est tout de même une clef importante.
RépondreSupprimerPlusieurs excellents éditeurs comme d'un Noir si bleu, La dernière goutte, affichent sur leur site web un message demandant à ce que l'on ne leur envoie plus de manuscrits pour l'instant.
La seule voie pour être lu dans l'attente d'une publication éditeur -- mais par un public de quelques centaines de lecteurs en France -- est donc la revue qui, heureusement, existe grâce au travail de Harfang, Brèves, Rue Saint Ambroise, Borborygmes, Dissonances, La femelle du requin et d'autres. Merci à elles.
...et les éditions de l'Abat-Jour: http://editionsdelabatjour.com/
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