dimanche 14 décembre 2014

OFFREZ (VOUS) DES NOUVELLES DE PRIX !


Pour Noël, offrez des nouvelles a vos proches
et pour la nouvelle année, lisez des nouvelles
Voici un petit rappel des meilleurs recueils primés en 2014
 
Prix Goncourt de la Nouvelle 2014
Vie de Monsieur Leguat de Nicolas Cavaillès (Éditions du Sonneur)

Grand Prix de la Nouvelle SGDL 2014
Nos gloires secrètes de Tonino Benacquista (Gallimard).

Prix Litter’Halles 2014
Noche triste de Stéphane Monnot (Antidata)

Prix Boccace 2014
Le Grand Labeur de Jean-Pierre Cannet (Rhubarbe) 120 pages, 10 €

Après romans, poésies et pièces de théâtre, J. - P. Cannet revient avec un recueil de 16 nouvelles (dont « Le revenant » publié dans Harfang N° 40) où l’on retrouve une prose poétique très personnelle et une peinture expressionniste d’un « paysage de catastrophe » qui se caractérise par la force de ses images et par son écriture au couteau.

Dans la plupart des nouvelles, cela commence par une violence sourde, celle des guerres quand les avions menacent dans le ciel et « quand les chevaux finissent dans les arbres » (p. 12) ; celle des conflits sociaux, des conflits au sein des couples et des familles quand la mort rôde déjà et qu’on attend que le père ou le grand-père en finisse avec la vie. La nature, les animaux (chevaux, singes, poissons, bœufs…) et les enfants sont les premières victimes. Mais dans cet enfer des hommes où la mort ne résout rien, les adultes semblent continuer à vivre, à survivre sans rien voir de la réalité environnante... Et les valeurs sont inversées : seul l’aveugle semble prévoir l’attaque aérienne en envoyant l’enfant se cacher dans une bouche de métro. Alors la solution serait-elle de se cacher dans les entrailles de la terre ? de se réfugier dans la mer ? ou dans la mère… comme le suggère symboliquement le « voyage à l’envers » de la petite sœur trop chétive pour vivre qui retrouve la « chambre de muqueuses » du ventre maternel. Comme le décrit aussi la scène finale où deux enfants, fuyant une charge de police lors d’une émeute, trouvent refuge dans « l’intime du bœuf et bien après sa mort » attendant dans les « lueurs d’igloo, des muqueuses de voile, l’aube d’un bleu qui point ».

Les images surgissent avec force à chaque phrase. Et les mots, dans leur nudité originelle, retrouvent toute leur force et leur cruauté pour crier la vérité crue du monde comme il va.

J.-P. Cannet nous rappelle ici que les hommes ont encore un « grand labeur » devant eux pour le « remorquage de la mer » et pour l’oubli des déserts qui nous entourent.

Joël Glaziou (in Harfang N° 44)

Prix du Premier Recueil (SGDL) 2014
Sangliers noirs pivoines roses de Gaëlle Heureux (La Table ronde) 160 p., 16 €

Dès les premières lignes, le lecteur est plongé in medias res dans un décor kitsch où l’on trouve une tête de sanglier accrochée au mur (elle se décrochera et tuera le père), une bibliothèque de faux livres, une vitrine de chiens en porcelaine, une collection de porte-clés publicitaires… Autant d’objets insignifiants et de « petits riens » qui reviennent, comme dans un rêve, d’une nouvelle à l’autre et dont on dit « c’est curieux comme certains détails restent alors que l’essentiel s’efface » (p. 52). Ainsi on se rappelle les petits carnets bleus mais pas « le jour où ma sœur est morte » ; on oublie tout pour un « poulet avec beaucoup de mayonnaise » dont on dit « j’ai peur que ce ne soit là l’essentiel » (p. 95).

Ces petits riens récurrents qui traversent les 15 nouvelles donnent une tonalité particulière et une grande unité à ce recueil. Un univers original se met en place où les pivoines roses d’une nappe dans la cuisine font écho aux pivoines que le mari violent offre à sa femme pour se faire pardonner un « tympan crevé » ! Un univers où le constat d’une vie qui sombre dans la banalité et le train-train quotidien fait écho à la violence qui s’exerce sur les hommes et les femmes : usure des couples et des corps, maladie, mort. Un univers onirique enfin où surgit parfois un élément qui vient perturber l’ordre normal : une tête coupée dans la poubelle qui vient hantée l’esprit d’une mercière, un violoncelle enfermé dans le ventre de l’arrière-grand-mère, un potamochère qui traverse le rêve d’un moine (signalons que outre les sangliers et autres cochons - que l’on égorge-, chats, chevaux rouges, poissons rouges -que l’on pêche dans une piscine- et autres animaux sont légion !)

Pour amener le lecteur à entrer sans réserve dans cet univers et dans cette galerie de personnages dont elle fait des portraits savoureux, G. Heureux a choisi des procédés simples : narration à la première personne, narrateurs très majoritairement masculins.

Un premier recueil prometteur d’une jeune auteur (qu’Harfang a déjà publiée N° 42 & 43). À suivre.

Joël Glaziou (in Harfang N° 44)

Prix de la Femme Renard 2014
Les Dames du Chemin de Maryline Martin (Glyphe) 156 p., 12 €

Au seuil de l’année 2014 où l’on commémorera le centenaire de la Première Guerre Mondiale, ce recueil (avant sans doute les nombreux autres ouvrages qui ne manqueront pas d’être publiés sur le sujet) vient à point nous rappeler ce que fut le quotidien de ceux qui ont subi l’enfer du « Chemin des Dames » ainsi que le quotidien des « Dames » qui les ont accompagnés sur ce chemin.

M. Martin a su choisir parmi tant d’autres possibles, douze situations qui permettent de plonger le lecteur au cœur de cette tragédie et aussi des consciences de l’époque.

D’abord en relatant la vie quotidienne des poilus dans les tranchées sans épargner au lecteur les « relents de chloroforme, de cadavres, de chlorure de chaux et de merde », celle des poilus en « perm » qui retournent au village et se payent un peu de bon temps, celle des « gueules cassées » renvoyés dans les hôpitaux à l’arrière, et des « planqués » à Paris… mais aussi celle des femmes, infirmières, marraines de guerre, mères, femmes, sœurs, fiancées… Le tout est historiquement bien documenté, jusqu’à noter les petits détails vestimentaires et à restituer le vocabulaire imagé des poilus eux-mêmes.

Chacune des douze nouvelles est comme une petite scène saisie, un instantané. Tout l’intérêt de ce recueil étant de ne pas tomber dans le manichéisme facile des images d’Epinal et des cartes postales d’époque.

Ainsi on peut suivre Paul qui, comme beaucoup d’autres, part « fleur au fusil » et passe une dernière nuit avec une femme dans une chambre d’hôtel avant de monter au front : se reverront-ils ? Puis Ferdinand qui, ayant refusé de monter en ligne, est passé en conseil de guerre, a été condamné à mort dans un premier temps, puis finalement aux travaux forcés : reverra-t-il Marguerite ? Quant à Abdoulaye, tirailleur sénégalais, reverra-t-il Hortense, sa marraine de guerre, une fois rentré au pays ?

Quand Auguste arrive en « perm » à Paris, il s’étonne de voir que la vie continue comme si de rien n’était pour les profiteurs de guerre et les « embusqués » de l’arrière. Mais quand il retrouve Renée à la Lanterne rouge, il lui parle des rats et des poux… mais il tait les morts et les obus ! Quand un autre retrouve le temps d’une « perm » sa Normandie natale et Marie, sa « jolie fiancée » et d’autres « dames du chemin », c’est une courte pause car le « Chemin des Dames » l’attend qui deviendra pour lui « chemin des armes, chemin des larmes » avant de devenir « chemin de croix » et de se terminer dans la boue de Verdun sous une croix de bois et la plaque « Tué à l’ennemi. Mort pour la France ».

D’autres ne retrouvent l’arrière que blessé comme Michel, futur « gueule cassée » qui voit un « ange blanc » en chaque infirmière. Ou comme ceux qui amnésiques, aphasiques, névrosés, blessés sans blessure, sont entassés et cachés et dont les ombres font une « ronde » dans les cours des hôpitaux.

Enfin M. Martin n’oublie pas les femmes et les enfants, victimes elles aussi, de cette guerre. Petite fille qui tient son journal et envoie des lettres au papa parti au front. « Enfant de personne » qu’aucun ne veut voir, comme celui de Noémie, violée par l’ennemi, enceinte, qui accouchera d’un enfant « né le cordon autour du cou, préférant rester dans les limbes de la nuit ». Femme contrainte au travail dans les fermes ou dans les usines. Et aussi veuve de guerre, devenue agent double pour venger son mari sous le nom d’Alouette, qui couche avec Helmut, un baron allemand des services de renseignements.

Seule lueur d’espoir dans ce sombre tableau avec Victorine remerciant la « Providence » qui a permis à Victor de traverser cinq années d’épreuves et qui rentrera du front pour faire connaissance avec sa fille, bien nommée Victoire… née le 11 novembre 1918 !

Alors, avant de relire tous les grands textes écrits depuis un siècle de Barbusse, Dorgelès et Genevoix à Cendrars, Céline et Rouaud… et avant de découvrir tous les ouvrages qui ne manqueront pas sur le sujet dans les années à venir, un conseil : lisez ce recueil qui en douze petits tableaux a su saisir l’essentiel. 

Joël Glaziou (in Harfang N°43)

 Prix Oroir’elles 2014
Derrière les grilles du Luxembourg de Pablo Mehler (Moires)

Prix de la Nouvelle d’Angers 2014 (sur manuscrit)
Sept fois presque rien d’Estelle Granet (D’un Noir Si Bleu) 96 pages, 10 €
 (cf. Harfang N°45)

Voici un recueil qui sous un titre (faussement) modeste, est très abouti.

Dans sa structure d’abord. Unité de lieu (le Brésil), unité narrative avec une construction chorale (un personnage secondaire d’un récit devient le personnage central du suivant). Mais ce travail d’unification du recueil n’a rien d’artificiel et ne répond pas à un impératif de pure forme ; il vient au contraire au service du propos : décrire ce « presque rien » qui donne son titre au livre.
Ainsi le Brésil n’est-il pas traité pour son potentiel d’exotisme. Bien sûr, il y a le fleuve et la forêt équatoriale ; mais le  fleuve (jamais nommé) et la forêt (à peine décrite) n’apparaissent que dans la première et dernière nouvelle ; ils enchâssent les récits, comme ferait le cadre pour un tableau. Au milieu de ce cadre, c’est la ville qui sert de décor. Et un décor « métonymique » : c’est « le lotissement » où vit Isabela au pied de la colline dans Le Mont d’os, « le centre-ville » (mais de laquelle ?) et son hôtel Plaza dans Beliza, un quartier d’affaire, son « immeuble Uruguay » et sa place avec « le banc en fer forgé » dans Clarisse, un bord de mer mangé par le béton dans Fuschia  On ne trouvera pas davantage d’analyse sociologique, encore moins ethnographique, même si sont évoqués les enfants des rues, les maisons de religion où les déshérités se mettent en transe en invoquant les orishas ou encore les indiens du fleuve que va rencontrer une jeune et naïve anthropologue.
Autant le dire, c’est un autre lointain qui  intéresse l’auteure : le « lointain intérieur » (Michaux).
     Là est son ambition : saisir « l’humanité commune » en flagrant délit de déséquilibre. Voilà pourquoi le Brésil n’est pas une simple toile de fond au recueil, mais le pays où ce déséquilibre a trouvé son expression unique, la saudade, mot absolument intraduisible. Quelque chose comme le « manque à être »  ou « l’être à côté », « l’exil à soi-même », pas tout à fait la mélancolie ni la nostalgie, pas tout à fait le désir de mourir ni celui de vivre… Tous les personnages sont en effet comme Paulo (Volte-face) qui est « mal ici, mal là-bas », qui a le « mal d’ailleurs ». Tous ont le sentiment de ne pas être là où ils sont, d’être poursuivis par une ombre intime qu’ils n’identifient pas, de vouloir quelque chose - mais quoi ? Leur mélancolie est irrationnelle, parfois enfantine ; elle est déclenchée par une migraine, un frisson, un bruit, une odeur. Ils approchent alors aux frontières de la folie, les franchissent parfois, reviennent - mais pas tous -  dans la vraie vie. Ceux qui sont sauvés le sont par l’amour, grâce à quoi la fissure est colmatée, du moins provisoirement. Car les récits ne sont jamais vraiment achevés, ils restent suspendus au-dessus des failles qu’ils nous ont fait apercevoir. Et on se demande ce qui s’est passé, finalement. Un chagrin pour rien, une angoisse pour rien, une colère pour rien.        Trois fois rien.
 
     Trois fois rien ?  Non : Sept fois presque rien, mais qui en dit beaucoup.
Sylvie Dubin

 

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