Pour Noël, offrez des
nouvelles a vos proches
et pour la nouvelle année,
lisez des nouvelles
Voici un petit rappel des
meilleurs recueils primés en 2014
Prix Goncourt de la Nouvelle
2014
Vie de Monsieur Leguat de Nicolas Cavaillès
(Éditions du Sonneur)
Grand Prix de la Nouvelle SGDL
2014
Nos gloires
secrètes de Tonino Benacquista (Gallimard).
Prix Litter’Halles 2014
Noche triste de Stéphane Monnot
(Antidata)
Prix Boccace 2014
Le Grand Labeur de Jean-Pierre Cannet (Rhubarbe) 120 pages, 10 €
Après romans, poésies et pièces de théâtre, J. - P. Cannet revient avec un recueil de 16
nouvelles (dont « Le revenant »
publié dans Harfang N° 40) où l’on retrouve une prose poétique très personnelle
et une peinture expressionniste d’un « paysage
de catastrophe » qui se caractérise par la force de ses images et par
son écriture au couteau.
Dans la plupart des nouvelles, cela commence par une
violence sourde, celle des guerres quand les avions menacent dans le ciel et « quand les chevaux finissent dans les
arbres » (p. 12) ; celle des conflits sociaux, des conflits au
sein des couples et des familles quand la mort rôde déjà et qu’on attend que le
père ou le grand-père en finisse avec la vie. La nature, les animaux (chevaux, singes,
poissons, bœufs…) et les enfants sont les premières victimes. Mais dans cet
enfer des hommes où la mort ne résout rien, les adultes semblent continuer à
vivre, à survivre sans rien voir de la réalité environnante... Et les valeurs
sont inversées : seul l’aveugle semble prévoir l’attaque aérienne en
envoyant l’enfant se cacher dans une bouche de métro. Alors la solution
serait-elle de se cacher dans les entrailles de la terre ? de se réfugier
dans la mer ? ou dans la mère… comme le suggère symboliquement le « voyage à l’envers » de la
petite sœur trop chétive pour vivre qui retrouve la « chambre de muqueuses » du ventre maternel. Comme le
décrit aussi la scène finale où deux enfants,
fuyant une charge de police lors d’une émeute, trouvent refuge dans « l’intime du bœuf et bien après sa
mort » attendant dans les « lueurs
d’igloo, des muqueuses de voile, l’aube d’un bleu qui point ».
Les images surgissent avec force à chaque phrase. Et
les mots, dans leur nudité originelle, retrouvent toute leur force et leur
cruauté pour crier la vérité crue du monde comme il va.
J.-P. Cannet
nous rappelle ici que les hommes ont encore un « grand labeur » devant eux pour le « remorquage de la mer » et pour l’oubli des déserts qui
nous entourent.
Joël Glaziou (in Harfang N° 44)
Prix du Premier Recueil
(SGDL) 2014
Sangliers
noirs pivoines roses de Gaëlle Heureux (La Table ronde) 160 p., 16 €
Dès les premières lignes, le lecteur est plongé in medias res dans un décor kitsch où l’on
trouve une tête de sanglier accrochée au mur (elle se décrochera et tuera le
père), une bibliothèque de faux livres, une vitrine de chiens en porcelaine,
une collection de porte-clés publicitaires… Autant d’objets insignifiants et de
« petits riens » qui
reviennent, comme dans un rêve, d’une nouvelle à l’autre et dont on dit « c’est curieux comme certains détails
restent alors que l’essentiel s’efface » (p. 52). Ainsi on se rappelle
les petits carnets bleus mais pas « le
jour où ma sœur est morte » ; on oublie tout pour un « poulet avec beaucoup de
mayonnaise » dont on dit « j’ai
peur que ce ne soit là l’essentiel » (p. 95).
Ces petits riens récurrents qui traversent les 15
nouvelles donnent une tonalité particulière et une grande unité à ce recueil.
Un univers original se met en place où les pivoines
roses d’une nappe dans la cuisine font écho aux pivoines que le mari
violent offre à sa femme pour se faire pardonner un « tympan crevé » ! Un univers où le constat d’une
vie qui sombre dans la banalité et le train-train quotidien fait écho à la
violence qui s’exerce sur les hommes et les femmes : usure des couples et
des corps, maladie, mort. Un univers onirique enfin où surgit parfois un
élément qui vient perturber l’ordre normal : une tête coupée dans la
poubelle qui vient hantée l’esprit d’une mercière, un violoncelle enfermé dans
le ventre de l’arrière-grand-mère, un potamochère qui traverse le rêve d’un
moine (signalons que outre les sangliers et autres cochons - que l’on égorge-,
chats, chevaux rouges, poissons rouges -que l’on pêche dans une piscine- et
autres animaux sont légion !)
Pour amener le lecteur à entrer sans réserve dans cet
univers et dans cette galerie de personnages dont elle fait des portraits
savoureux, G. Heureux a choisi des
procédés simples : narration à la première personne, narrateurs très
majoritairement masculins.
Un premier recueil prometteur d’une jeune auteur (qu’Harfang
a déjà publiée N° 42 & 43). À suivre.
Joël Glaziou (in Harfang
N° 44)
Prix de la Femme
Renard 2014
Les
Dames du Chemin de Maryline Martin (Glyphe) 156 p., 12 €
Au seuil de l’année 2014 où l’on commémorera le
centenaire de la Première Guerre Mondiale, ce recueil (avant sans doute les
nombreux autres ouvrages qui ne manqueront pas d’être publiés sur le sujet)
vient à point nous rappeler ce que fut le quotidien de ceux qui ont subi l’enfer
du « Chemin des Dames »
ainsi que le quotidien des « Dames »
qui les ont accompagnés sur ce chemin.
M. Martin
a su choisir parmi tant d’autres possibles, douze situations qui permettent de
plonger le lecteur au cœur de cette tragédie et aussi des consciences de l’époque.
D’abord en relatant la vie quotidienne des poilus dans
les tranchées sans épargner au lecteur les « relents
de chloroforme, de cadavres, de chlorure de chaux et de merde », celle
des poilus en « perm » qui retournent au village et se payent un peu
de bon temps, celle des « gueules
cassées » renvoyés dans les hôpitaux à l’arrière, et des
« planqués » à Paris… mais aussi celle des femmes, infirmières,
marraines de guerre, mères, femmes, sœurs, fiancées… Le tout est historiquement
bien documenté, jusqu’à noter les petits détails vestimentaires et à restituer
le vocabulaire imagé des poilus eux-mêmes.
Chacune des douze nouvelles est comme une petite scène
saisie, un instantané. Tout l’intérêt de ce recueil étant de ne pas tomber dans
le manichéisme facile des images d’Epinal et des cartes postales d’époque.
Ainsi on peut suivre Paul qui, comme beaucoup d’autres,
part « fleur au fusil » et
passe une dernière nuit avec une femme dans une chambre d’hôtel avant de monter
au front : se reverront-ils ? Puis Ferdinand qui, ayant refusé de
monter en ligne, est passé en conseil de guerre, a été condamné à mort dans un
premier temps, puis finalement aux travaux forcés : reverra-t-il
Marguerite ? Quant à Abdoulaye, tirailleur sénégalais, reverra-t-il
Hortense, sa marraine de guerre, une fois rentré au pays ?
Quand Auguste arrive en « perm » à Paris, il
s’étonne de voir que la vie continue comme si de rien n’était pour les
profiteurs de guerre et les « embusqués »
de l’arrière. Mais quand il retrouve Renée à la Lanterne rouge, il lui
parle des rats et des poux… mais il tait les morts et les obus ! Quand un
autre retrouve le temps d’une « perm » sa Normandie natale et Marie,
sa « jolie fiancée » et d’autres
« dames du chemin », c’est
une courte pause car le « Chemin des
Dames » l’attend qui deviendra pour lui « chemin des armes, chemin des larmes » avant de devenir « chemin de croix » et de se
terminer dans la boue de Verdun sous une croix de bois et la plaque « Tué à l’ennemi. Mort pour la
France ».
D’autres ne retrouvent l’arrière que blessé comme
Michel, futur « gueule cassée »
qui voit un « ange blanc »
en chaque infirmière. Ou comme ceux
qui amnésiques, aphasiques, névrosés, blessés sans blessure, sont entassés et
cachés et dont les ombres font une « ronde »
dans les cours des hôpitaux.
Enfin M. Martin n’oublie
pas les femmes et les enfants,
victimes elles aussi, de cette guerre. Petite fille qui tient son journal et
envoie des lettres au papa parti au front. « Enfant
de personne » qu’aucun ne veut voir, comme celui de Noémie, violée par
l’ennemi, enceinte, qui accouchera d’un enfant « né le cordon autour du cou, préférant rester dans les limbes de
la nuit ». Femme contrainte au travail dans les fermes ou dans les
usines. Et aussi veuve de guerre, devenue agent double pour venger son mari
sous le nom d’Alouette, qui couche
avec Helmut, un baron allemand des services de renseignements.
Seule lueur d’espoir dans ce sombre tableau avec Victorine
remerciant la « Providence » qui a permis à Victor de traverser cinq
années d’épreuves et qui rentrera du front pour faire connaissance avec sa
fille, bien nommée Victoire… née le 11 novembre 1918 !
Alors, avant de relire tous les grands textes écrits
depuis un siècle de Barbusse, Dorgelès et Genevoix à Cendrars, Céline et Rouaud…
et avant de découvrir tous les ouvrages qui ne manqueront pas sur le sujet dans
les années à venir, un conseil : lisez ce recueil qui en douze petits
tableaux a su saisir l’essentiel.
Joël Glaziou (in Harfang N°43)
Derrière
les grilles du Luxembourg de
Pablo Mehler (Moires)
Prix de la
Nouvelle d’Angers 2014 (sur
manuscrit)
Sept fois presque rien d’Estelle Granet
(D’un Noir Si Bleu) 96 pages, 10 €
(cf. Harfang N°45)
Voici un recueil qui sous un titre (faussement)
modeste, est très abouti.
Dans sa structure d’abord. Unité de lieu (le Brésil),
unité narrative avec une construction chorale (un personnage secondaire d’un
récit devient le personnage central du suivant). Mais ce travail d’unification
du recueil n’a rien d’artificiel et ne répond pas à un impératif de pure forme
; il vient au contraire au service du propos : décrire ce « presque rien »
qui donne son titre au livre.
Ainsi le Brésil n’est-il pas traité pour son potentiel
d’exotisme. Bien sûr, il y a le fleuve et la forêt équatoriale ; mais le fleuve (jamais nommé) et la forêt (à peine
décrite) n’apparaissent que dans la première et dernière nouvelle ; ils
enchâssent les récits, comme ferait le cadre pour un tableau. Au milieu de ce
cadre, c’est la ville qui sert de décor. Et un décor « métonymique »
: c’est « le lotissement » où vit Isabela au pied de la colline dans Le Mont d’os, « le centre-ville »
(mais de laquelle ?) et son hôtel Plaza dans Beliza, un quartier d’affaire, son « immeuble Uruguay »
et sa place avec « le banc en fer forgé » dans Clarisse, un bord de mer mangé par le béton dans Fuschia…
On ne trouvera pas davantage d’analyse sociologique, encore moins
ethnographique, même si sont évoqués les enfants des rues, les maisons de
religion où les déshérités se mettent en transe en invoquant les orishas ou
encore les indiens du fleuve que va rencontrer une jeune et naïve anthropologue.
Autant le dire, c’est un autre lointain qui
intéresse l’auteure : le « lointain intérieur » (Michaux).
Là est son ambition : saisir « l’humanité commune »
en flagrant délit de déséquilibre. Voilà pourquoi le Brésil n’est pas une
simple toile de fond au recueil, mais le pays où ce déséquilibre a trouvé son
expression unique, la saudade, mot
absolument intraduisible. Quelque chose comme le « manque à être » ou « l’être à côté », « l’exil
à soi-même », pas tout à fait la mélancolie ni la nostalgie, pas tout à
fait le désir de mourir ni celui de vivre… Tous les personnages sont en effet
comme Paulo (Volte-face) qui est « mal
ici, mal là-bas », qui a le « mal d’ailleurs ». Tous ont le
sentiment de ne pas être là où ils sont, d’être poursuivis par une ombre intime
qu’ils n’identifient pas, de vouloir quelque chose - mais quoi ? Leur
mélancolie est irrationnelle, parfois enfantine ; elle est déclenchée par une
migraine, un frisson, un bruit, une odeur. Ils approchent alors aux frontières
de la folie, les franchissent parfois, reviennent - mais pas tous - dans la vraie vie. Ceux qui sont sauvés le
sont par l’amour, grâce à quoi la fissure est colmatée, du moins
provisoirement. Car les récits ne sont jamais vraiment achevés, ils restent
suspendus au-dessus des failles qu’ils nous ont fait apercevoir. Et on se
demande ce qui s’est passé, finalement. Un chagrin pour rien, une angoisse pour
rien, une colère pour rien. Trois fois rien.
Trois fois rien ?
Non : Sept fois presque rien,
mais qui en dit beaucoup.
Sylvie Dubin
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