lundi 20 avril 2020

NOS COUPS DE COEUR 2020 : NOUVELLES DES NOUVELLES


En attendant la fin du confinement et en attendant la sortie du numéro 56 de la revue HARFANG (prévue fin mai) en voici quelques extraits, chroniques de nos coups de cœur en liaison avec l’actualité

 Au chevet des vivants, Françoise GuÉrin, Zonaires éditions, 72 p., 9 €

 Urgence est le mot-clé de ce recueil. Avec treize nouvelles pour dire l’urgence dans les milieux (in)hospitaliers que l’auteur connait bien depuis des années par profession.

Dès la première nouvelle, le lecteur pénètre avec un patient dans l’univers des urgences. Réduit au silence par la douleur, il n’est plus qu’un corps, qu’un objet entre les mains des soignants… « on le pique, on le sonde, on le remplit, goutte à goutte… ». Ce « on » n’est autre que la foule des soignants, devenus anonymes, réduits à la « fonction, l’acronyme, le sarrau fatigué », tributaires des statistiques, de la rentabilité, des restrictions… Pas un mot du patient. Pas un mot au patient. « On te sauve la vie, de quoi te plains-tu ? ». Il ne retrouve la parole qu’en sortant, avec l’urgence de dire que paradoxalement l’hôpital et les soignants sont au moins aussi malades que les malades eux-mêmes !

Soignants qui se battent pour rester vivants « au chevet des vivants » et pour réintroduire un peu d’humanité dans un univers de technologie médicalisée comme cette infirmière de service de Réanimation Néonatale, cette « passeuse » qui guide Sophia, une jeune maman vers sa petite Rose prématurée.

Pour F. Guérin, il y avait urgence à raconter le quotidien des soignés et des soignants, dans les maternités, dans les cliniques, dans les hôpitaux psychiatriques, dans les maisons de retraite…

Pour nous, lecteurs, il y a urgence en ces temps de crise à lire ces nouvelles qui nous parlent de cette réalité que nous ne voulons pas toujours voir en face.
Joël Glaziou  

 (Nouvelles et entretien de F. GuÉrin à lire dans HARFANG 56 à paraître et dans HS N° 9)

 
Chanson bretonne, J. M. G. Le Clezio, Gallimard, 160 p., 16,50 €

Depuis longtemps J.M.G. Le Clézio s’est affranchi des étiquettes, des appellations de genre ou autres « singulières antiquités qui ne trompent plus personne » comme il l’écrivait déjà en 1965 en introduction à son premier recueil La Fièvre. Et il précisait en 1967 dans L’extase matérielle : «  Les formes que prend l’écriture, les genres qu’elle adopte ne sont pas tellement intéressants. Une seule chose compte pour moi ; c’est l’acte d’écrire. Les structures des genres sont faibles ». Cette fois encore, on peut s’interroger sur les informations figurant sur la couverture : conte, chanson ? Mais aussi pourquoi pas  récit, nouvelle, essai… ? Dans Chanson bretonne, les dix-sept textes de souvenirs de vacances passées en Bretagne dans les années 1950 sont sous-titrés « contes » dans le sens où il s’agit de rendre compte de ce que la mémoire raconte en sachant très bien ce qu’il peut y avoir de lacunaire et d’imaginaire dans une telle entreprise.

 Mais là n’est pas l’essentiel. Le Clézio poursuit avec ces textes courts sa recherche familiale et autobiographique, commencée à travers plusieurs romans. Sans nostalgie, à partir de son expérience personnelle, il nous rappelle entre autres choses, la transition très brutale qui s’est faite dans l’après-guerre entre le monde rural et le monde moderne, la perte de la langue bretonne dans la vie quotidienne et les mutations sociales et culturelles.

 Remontant plus loin encore dans « L’enfant et la guerre », Le Clézio essaie de rendre compte de ses sensations d’enfant pendant la seconde guerre mondiale alors qu’il est réfugié avec sa mère, son frère et ses grands parents dans la vallée de la Vésubie, période où il connaîtra la faim, la peur et une certaine forme d’exil. C’est ce vécu qui lui permet de comprendre aujourd’hui la situation des enfants dans les guerres, la situation des migrants…

Paradoxalement, ce retour dans le passé et dans les souvenirs d’enfance est aussi une meilleure compréhension de l’actualité. Et l’expérience singulière, particulière, rejoint comme souvent chez Le Clézio le général, l’universel.  
Joël Glaziou

 
La belle Hélène, Pascale Roze, Stock, 190 pages, 18 €

 Qu’un roman puisse prendre la défense de la nouvelle, cela pourrait bien paraître paradoxal. Mais à travers son roman La belle Hélène que ce soit Pascale Roze (prix Goncourt 1996 pour son roman Chasseur zéro) qui en fasse la défense, cela n’a rien d’étonnant si l’on se rappelle qu’elle a commencé en illustrant le genre de la nouvelle avec un premier recueil remarquable intitulé Histoires dérangées en 1994.

En racontant le quotidien d’Hélène Bourguignon, deux fois veuve, qui anime un atelier pour les étudiants de Sciences-Po, P. Roze nous donne une leçon de lecture et une leçon de vie en s’appuyant sur quatre nouvelles qui lui semblent exemplaires. Nouvelles de R. Brautigan, D. Buzzatti, R. Musil et Y. Reza dont l’analyse détaillée (autant pratique, psychologique que littéraire) alimente la vie d’Hèlène et de ses étudiant(e)s. Chaque cours se nourrissant des souvenirs, des deuils, des joies d’Hélène. La vie alimentant la lecture des textes et les textes alimentant la compréhension du monde, de l’autre, de soi. Car «  la littérature ne parle pas d’un autre monde que le nôtre » (p. 19).

Il en est ainsi des amours estudiantines de Marion et de Quentin. Et aussi d’Hélène qui retrouve la Bourgogne de son enfance tout en redécouvrant l’amour après sa rencontre avec Jean, qui à son tour  lui offre les paysages ensoleillés de la Corse.

Irrigué par de nombreuses lectures (il faudrait aussi citer Épictète, Marc-AurÈle, Chamfort, Perros… et même quelques chansons), ce roman fait l’éloge de la littérature comme expérience de la pensée où le texte éclaire l’expérience personnelle et où le texte à son tour est éclairé par le vécu.  

En imbriquant étroitement la vie et la littérature, P. Roze signe là un superbe « roman médecine » qui fait du bien.

À prescrire sans modération, en ces temps de grisaille générale.
Joël Glaziou

 
Ne quittez pas !, Marie Sizun, Arléa, 240 pages, 20 €

 
Après Vous n’avez pas vu Violette ? en 2017 (Prix de la Nouvelle de l’Académie Française 2018), M. Sizun récidive avec une quarantaine de nouvelles courtes qui ont le téléphone comme dénominateur commun. De l’antique téléphone à cadran en bakélite noire au portable dernier cri et de la cabine au répondeur-enregistreur à cassette, tous les modèles sont les témoins de nos joies, de nos peines, de nos doutes, de nos interrogations… ils en sont même les révélateurs, les catalyseurs.

Ah ! ce « maudit appareil qui a ses vertus… c’est un peu l’instrument des dieux » depuis qu’il s’est installé dans nos vies, qu’il occupe de plus en plus de place dans notre quotidien et qu’il nous tient parfois lieu de destin.

Pourtant, il ne fait que prolonger, que révéler avec plus de force et de rapidité nos sentiments,  nos émotions. Reflet ou miroir, ils nous les renvoient bruts ou déformés, ils les accentuent parfois, générant des situations comiques ou tragiques. Permettant ainsi à l’épouse de découvrir la « double vie » de son mari ; permettant aux passagers du métro de partager la conversation de « l’indiscrète ». Ou au contraire brouillant les relations quand un « quiproquo » s’installe entre un certain Arnaud et une certaine Alice, ou quand une fille impose à sa mère « l’installation du téléphone…  animal étrange posé sur le meuble » qui devient « l’image de leur impossible communication ».

Il ne fait que prolonger ces voix que l’on associe à un visage, à un nom, même lorsqu’il y a erreur, doute ou ambigüité comme dans la première nouvelle « Qui est à l’appareil ? » où une femme entre deux âges reçoit un appel lointain, où elle reconnait « la voix brouillée » d’un ancien amant qui se meurt sur son lit d’hôpital. Il ne fait que prolonger avec nostalgie ces voix qui appartiennent au passé dans « Comme sa voix a changé », et aussi celle stockée dans la mémoire du « Vieux répondeur » et celle de la « Dernière conversation ».

 Chacun pourra se reconnaître dans telle ou telle situation et ne pourra que constater qu’il n’y a rien de plus étrange que ce téléphone, « de plus comique, de plus tragique, de plus banal et de plus surprenant ».

Un excellent recueil thématique, avec la délicatesse habituelle de l’auteur qui pourrait bien lui valoir un nouveau prix, tout à fait mérité.

Joël Glaziou

Les dimanches d’Angèle, Linda Vanden Bemden, Quadrature, 86 pages,  10 €

 En 75 micro-nouvelles de quelques lignes à un feuillet maximum,  L. Vanden Bemden brosse le tableau de la vie quotidienne dans les maisons de retraite, ces « maisons de vie et de soins » où il y a « plein de vieux qui ont été jeunes ».  

Forte de sa longue expérience (cinq années de visite à sa grand-mère) et de son sens de l’observation pour saisir au vol un mot, une phrase, une attitude, une situation, elle a réussi à restituer l’essentiel en quelques lignes, comme autant de coups de crayon pour une caricature. L’humour n’étant jamais loin sous la tendresse ou l’acuité du regard, selon les cas.

Car en ces lieux, le quotidien, c’est la mémoire qui flanche, le dentier perdu, le déodorant à la place du dentifrice…

Naguère, certains en auraient tiré quelques saynètes à monter sur les planches, d’autres auraient peint quelques miniatures à accrocher aux cimaises. Aujourd’hui, certains exposent leurs clichés « instantanés » dans une galerie et les plus nombreux postent chaque jour quelques mini-vidéos sur les réseaux sociaux. Ce faisant, L. Vanden Bemden fait la chronique des jours qui passent avec beaucoup de tendresse et d’humanité...

Lire la suite et autres chroniques dans le « nouvellaire » d’HARFANG N° 56 à paraître fin mai 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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