Au moment où commence la troisième
saison de notre rubrique intitulée la « micro-nouvelle
du mois » ou « 100 mots
pour le dire » et où la « meilleure micro-nouvelle 2014 »
vient d’être distinguée, nous voulons prendre le temps d’une petite réflexion
sur cet engouement pour ces « petits
textes brefs en prose » qui apportent autant de plaisir aux auteurs
qu’aux lecteurs.
Car tout au long de l’année, pas un
jour ou presque sans qu’une micro-nouvelle n’arrive dans notre boîte. Dans cette
lecture quotidienne, ce qui frappe d’emblée, c’est la grande liberté et
l’extrême diversité de tons, de registres, de styles : on passe d’un
dialogue à une lettre, du fantastique à l’absurde, de la science-fiction au
polar, de l’aphorisme au poème en prose…
Nous ferons l’économie d’un discours
théorique sur les différentes définitions et autres appellations… sinon en
rappelant que proche de la « micro-fiction »
ou de la « short short story » selon
la dénomination anglo-saxonne, elle désigne un texte caractérisé par une
brièveté extrême, mais dont la longueur peut cependant varier entre quelques
mots et 1000 mots maximum !
Ce qui pourrait apparaître comme un
nouveau genre est attesté depuis quelques années par des
publications : les 500 Microfictions de Régis Jauffret
(2007, Gallimard) ainsi que Cent onze micronouvelles (éd. Le Grand fleuve, 2007) autour
de Laurent Berthiaume et du collectif Oxymoron ou plus récemment les 50 Élucidations
d’Alexis Jenni (2014, Gallimard). Parallèlement, la micro-nouvelle s'est sans
doute développée avec l'arrivée d'Internet, média favorisant les textes courts et concis et avec l’habitude de « twitter » en 140
caractères (lire par exemple le recueil de Bernard Pivot Les
tweets sont des chats ! (2013, Albin, Michel).
Pourtant l’art du bref n’est pas
nouveau ! Sa pratique, selon les époques et les codes, a connu sous des formes, des fonctions (de narration,
de description, d’information, de réflexion…) et des appellations différentes
une présence constante depuis l’Antiquité ! Souvenons-nous des anecdotes, des histoires, des fables du
monde grec !
Ainsi pour mémoire Le
loup et le chien tiré des Fables d'Esope (vers 420 av. J.-C.)
"Un loup voyant un très gros chien attaché
par un collier lui demanda : « Qui t’a lié et nourri de la
sorte ? — Un chasseur, » répondit le chien. « Ah ! Dieu
garde de cela le loup qui m’est cher ! Autant la faim qu’un collier
pesant. »
Cette
fable montre que dans le malheur on n’a même pas les plaisirs du ventre."
Souvenons-nous aussi des poèmes en
prose qui ont fleuri au XIXe siècle, comme ce modèle de perfection qu’est « L’étranger »
de Charles Baudelaire dans Petits poèmes en prose » (1869)
"Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ? - Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le
sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est
située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et
immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh ! Qu'aimes-tu donc, extraordinaire
étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui
passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !"
N’oublions pas, au seuil du XXe siècle, les Nouvelles en trois lignes publiées
dans les journaux à partir de 1906 par Félix Fénéon qui transforme alors les « faits divers » en véritables
« haikus journalistiques ».
"C'est au cochonnet que l'apoplexie a terrassé
M. André, 75 ans, de Levallois.
Sa boule roulait encore qu'il n'était déjà plus."
Puis – légende ou
réalité ? – l’apport d’un autre écrivain journaliste en la personne
d’Ernest Hemingway (1899-1961) signe le véritable bulletin de naissance de la
micro-nouvelle. D’abord en lui donnant un cadre précis : elle doit pouvoir
être écrite « au dos d’une boîte
d’allumettes » et ensuite en l’illustrant de superbe
manière avec un texte de six mots qui deviendra célèbre :
"For
sale : baby shoes, never worn"
("À
vendre : chaussures de bébé, jamais portées").
Finalement, 6 mots, 3 lignes, 140 caractères, 100
mots ou plus… peu importe. Peu importe aussi l’appellation selon les pays et
les langues (dans les littératures anglo-saxonnes, francophones,
hispanophones…). Ce qui compte, c’est la grande vivacité de cette pratique
aujourd’hui. Nous n’en donnerons que quelques preuves – sans souci
d’exhaustivité – avec le Prix Pépin qui récompense depuis 2008 un texte de
science fiction de 300 signes maximum (titre inclus) ou avec quelques
publications récentes des recueils originaux : Isabelle Sojfer Cent
quinze romans-fleuves (Les Petits matins, 2007), Luc-Michel Fouassier Histoires Jivaro (Quadrature, 2008),
Jean-Jacques Nuel Courts métrages
(Pont au Change, 2013)… et bien d’autres encore (arrêtons là notre liste par
souci de concision, qualité première requise à tout amateur de micro-nouvelles !)
Alors lisez, écrivez des micro-nouvelles et poursuivez l’aventure en nous adressant vos « 100 mots pour le dire » !
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