Les impudiques, Philippe Adam, Verticales, 208 pages, 18 € 50
Après
avoir traité la vieillesse dans Centenaires (2010) et les jeux de
hasard dans Jours de chance (2011), P. Adam
reprend ici le même dispositif narratif en inventant des témoignages sur la sexualité.
Entre enquête sociologique et reportage journalistique, il donne la parole à
nos contemporains en proie à la libido. Le lecteur se trouve alors devant une
sorte de kaléidoscope, multipliant les points de vue et composant ainsi une
sorte de patchwork fait d’instantanés, de fragments, de monologues…
De
longueur, de registre et de ton très différents, certains de ces instantanés
qui saisissent souvent avec dérision la misère sexuelle de l’époque ne sont pas
sans rappeler les « nouvelles en
trois lignes » de F. Fénéon
ou encore les « microfictions »
de R. Jauffret.
Pour
éviter la dispersion et l’ennui, P. Adam a
introduit quelques séries, sortes de mini-feuilletons qui apportent une
certaine continuité à l’ensemble. D’abord avec cette femme qui raconte sa première fois, sa deuxième… sa
vingtième… et « les fois d’après »
tant la série semble inépuisable ! Puis les messages échangés avec
Jean-Louis sur un forum… Et l’histoire de la vengeance de Suzanne malmenée sur
le tournage d’un film porno. Aussi l’histoire de Solange, la mamie vedette de « Solange est aux anges »et « Solange s’envoie en l’air »
qui tourne des pornos pour arrondir ses fins de mois ! Ou encore les
déboires d’un couple homosexuel à Avranches. Et enfin les aventures, vécues épisode
par épisode, de cette chinoise qui arrive dans un village de montagne où
n’habitent plus que des hommes.
S’il
s’agit bien de récits impudiques, il
convient pourtant de préciser que l’on est loin de la vogue hard et des clichés
à la mode sur l’érotisme. Et d’ajouter qu’il y a aussi de l’humour (avec ceux
qui annotent le dictionnaire médical sur l’anatomie
d’un sein ou d’une verge), de la
dérision (ah ! les récits de fiascos !) et enfin beaucoup de
tendresse pour tous ces personnages qui sont souvent à la dérive.
Signalons
enfin (cerise sur le gâteau !) le plaisir de lire de superbes « micro-nouvelles » qui
auraient pu figurer dans notre rubrique « Cent
mots pour le dire ». À lire entre autres « Compter les moutons » (p. 128) ou « Sans rancune » (p. 155) : un régal !
Joël Glaziou
L’Empouse et autres
écarts,
Sylvie Dubin, Paul&Mike, 258 p., 15 €
Après
la galerie de femmes de son premier recueil (Selon elles qui lui a
valu le Prix de la Nouvelle de la Ville d’Angers en 2010), S. Dubin offre aux lecteurs un recueil tout
aussi composé, mais dans un registre très différent, souvent proche d’un
fantastique littéraire et « insolite »
comme le qualifie Myriam Boucharenc
dans la préface.
Chacune
des 14 nouvelles se situe entre rêve et réalité et repose sur un écart par rapport à la norme ou la logique
dans les actes les plus simples de la vie quotidienne. Écart aussi par rapport
aux codes et aux genres littéraires. Écart de langage enfin qui génère souvent l’histoire
elle-même.
Ainsi
dès la première nouvelle, le titre (Le
chagrin dans la peau) et le nom du personnage (Valentin Azerty)
renvoient le lecteur au fantastique balzacien.
Et aussi au conte de fées puisque la machine à écrire chinée dans
une brocante possède le don de « dire
la vérité » et que chaque phrase écrite est aussitôt exaucée…
Mais pour trouver le vœu ultime avant l’usure du ruban, il faudra quitter le fantastique en revenant à la réalité et à la situation initiale.
Mais pour trouver le vœu ultime avant l’usure du ruban, il faudra quitter le fantastique en revenant à la réalité et à la situation initiale.
Écart
également par rapport aux mythes quand dans une nouvelle proche de la
science-fiction, « Mutatis mutandis »,
le mythe biblique de la création est inversé. Quand Gabriel, ancien torero et
nouveau Thésée, inverse le mythe du minotaure dans les « passages circulaires » et le labyrinthe des arènes dont
il est devenu le gardien. Ou quand à
la faveur d’un froissement de voile, c’est
Galatée qui crée littéralement le sculpteur.
Écart
enfin par rapport aux codes et aux genres quand dans la nouvelle centrale (le
recueil étant composé en miroir) « In
folio », le personnage se retrouve dans le décor d’un roman policier
qu’il a lu autrefois et où personnage et lecteur sont invités à chercher « derrière le rideau ».
Avec
ces écarts et ces petits décalages, l’auteur laisse du jeu, crée un espace où le
sens peut s’insinuer et le lecteur faire preuve de perspicacité et
d’imagination. Qu’il s’agisse du jeu de piste ou du jeu de mots, d’une enquête policière ou d’une quête de sens, le lecteur est invité à
déchiffrer, à décoder ce qui s’écrit à l’envers du texte, « derrière le rideau ». Pour cela, il doit lire dans
chaque mot, dans chaque écart la trace laissée par l’auteur. Un peu comme
les cailloux du Petit Poucet pour retrouver son chemin.
Ainsi
la deuxième nouvelle joue sur la polysémie puisque l’histoire se construit sur
les trois acceptions du mot « empouse » :
insecte, spectre et fausse idée.
Pour
d’autres, onomastique et anagramme sont autant d’indices de lecture. Dans « À corps écrit », le
personnage qui voit sa peau se couvrir de lettres, de mots, de « phrases-Babel » qui mêlent des
langues inconnues… s’appelle Lentiret (anagramme de « lettrine »)… Quant au double qui parasite la vie du
narrateur qui voulait se suicider, il s’appelle Anderich (ander-ich : « l’autre-moi »
en allemand).
Enfin,
si la contrepèterie finale dans « Les
scélérates » peut être une aide secondaire pour le lecteur, le jeu palindromique présent dans les onze
sous-titres de la très borgésienne « Prophétie
des miroirs » est essentiel pour sa compréhension.
Avec
son lot de miroirs, de doubles, de cercles et de labyrinthes, on se trouve bien
dans un univers fantastique. Mais au-delà des clins d’œil évidents à Borgès et Cortazar, dans cette bibliothèque infinie qui se tient à
l’envers de ce recueil, il y a aussi des
références à des livres et des auteurs imaginaires qui ne doivent pas faire
oublier que l’humour est aussi une forme d’écart, une prise de distance par
rapport au réel.
Ce
faisant, à la manière d’un Raymond Roussel
qui livra la clé de ses romans dans son ouvrage intitulé « Comment j’ai écrit certains de mes livres », S. Dubin lève le voile ou le rideau en nous
livrant métaphoriquement quelques secrets d’écriture et quelques leçons de
lecture. Qu’elle en soit ici remerciée !
Joël Glaziou
Femmes
de rêve, bananes et framboises,
Simonetta Greggio, Flammarion, 144 p., 17 €
Voici
sept nouvelles traversées par l’amour et la mort. Vie, amour et mort mêlées en
une danse légère et grave comme dans la chanson de Paolo Conte qui mêle « femmes de rêve, bananes et framboises » et qui donne son titre à ce recueil.
Dans
« Os de lune », il y a la
légèreté d’un « rêve d’oiseaux de
toutes les couleurs » et d’un air de violon en plein cœur du camp
d’Auschwitz, au moment où le personnage perd son ami Mirko. Il y a aussi le
regard de Mond, la chienne SS au nom de
lune qui « était du côté de la
vie » et qui l’accompagne au moment de fuir le camp au péril de sa
vie.
Légèreté
et gravité aussi, dans l’évocation de Romain Gary
dont la vie oscille entre « la joyeuseté
de la rage [et] la vitalité de la colère » et dont la silhouette hante
la nouvelle « quelque chose comme du
bleu ». Et l’on sent le regard de compassion de Simonetta sur un Romain Gary
au moment où sa vie bascule, où Jean Seberg
s’éloigne et où il se dédouble en Emile Ajar !
N’est-ce
pas ce même regard que l’on retrouve chez le personnage de la nouvelle « il pleuvait quand je suis
partie » (déjà
publiée dans Harfang N° 42)
qui avoue n’aimer que ceux qui sortent
de la norme : « je n’aime que
les anomalies et les fêlures chez les êtres, les déchirures et les failles, car
c’est par là que s’engouffre la vie, que la lumière passe » (p. 95) ?
Car
S. Greggio porte sur ses
personnages un regard bienveillant, un regard de compassion, « compassion animale, celle que l’homme
devrait avoir pour l’homme, pour les arbres et l’herbe et tout ce qui
l’entoure » (p. 17). Regard de compassion sur l’enfant qui nait, sur
l’ami qui meurt, sur l’amant après l’amour, sur l’amour qui s’éloigne.
Enfin,
léger et grave, il y a l’amour jusque dans la mort quand S. Greggio dresse la liste de tout ce
qu’elle aime dans la vie (nager la nuit,
dîner sous le mûrier, écouter les Suites pour violoncelle de Bach, frissonner
de fièvre, penser à la mort, penser à la vie…) et organise ses propres
funérailles en souhaitant que des garçons « nus
et gémissants, se jettent sur [son] cercueil » !
Joël Glaziou
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